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La montagne rouge 23

L'embuscade

José Le Moigne

Targaz ne se posait jamais de questions au long cours. Ses colères étaient semblables aux ruades brutales des rivières en crue qui ne consentent à retrouvent le calme de leurs anciens méandres qu’après avoir foulé et éventré des terres innocentes. L’affaire de Callac avait été pour lui le plus puissant des relatifs et à présent, avec un zèle froid qu’il n’aurait pu imaginer quelques semaines auparavant, il se voulait résolument au premier rang des prédateurs. C’est donc le cœur léger qu’il avait reçu l’ordre d’aller, 12 rue de Châteaudun, tendre une souricière au dénommé Maurice Prestaut. Contrairement à ce qu’il pouvait en paraître, c’était loin d’être une mission facile. Rompu à la clandestinité, Maurice Prestaut, Le Braz en Résistance, chef du principal réseau d’Ile et Vilaine, était ce qu’il est convenu d’appeler un gros poisson; mais, en amont, les espions avaient fait du très bon boulot. De ses horaires jusqu’à la règle qu’il s’imposait, histoire de vérifier qu’il n’était pas suivi, de s’arrêter, à une vingtaine de mètres de chez-lui, pour allumer une dernière cigarette, on n’ignorait rien de ses habitudes.

— La poiscaille est ferrée, dit Targaz à ses compagnons. Mettons-nous de part et d’autre de la rue et pas un bruit. Personne ne bouge avant mon signal.

De la patience, c’était ce qui manquait le plus à Le Deuff et, après coup, Targaz ne comprit pourquoi Péresse, à la réputation de prudence pourtant bien établie, l’avait également désigné pour cette mission. Toujours est-il que, dès qu’il vit Le Barz se livrer à sa petite cérémonie de la cigarette, Le Deuff, perdant tout son sang-froid, se dressa d’une pièce en hurlant:

— Halte, les mains en l’air et surtout pas un geste!

— Espèce de con! rugit Targaz. Pourquoi ne gueules-tu pas Police allemande!

Trop tard. Le drame s’était noué. Comprenant qu’il était acculé, Le Barz ne tenta pas de fuir.

— Tout doux petit, lançât-il pince-sans-rire à Le Deuff. Je suis pris, je me rends… C’est la règle du jeu…

D’emblée il avait pris la posture du maître. Sans se départir de ses manières goguenardes il leva les bras, très haut, jusqu’à toucher sa tête. Un coup de feu claqua et Le Deuff, le masque stupéfait, roula sur le bitume.

— Nom de Dieu, rugit Targaz, en jaillissant de l’ombre, le salopard a planqué un flingue dans son béret!

Suivi de Le Maout il harponna le résistant l’empêchant au passage, ainsi qu’il n’était pas douteux qu’il en eut l’intention, de retourner son arme contre lui. Les deux gours se penchèrent sur Le Deuff. Raide mort, une balle dans le cœur, leur malheureux complice avait payé comptant son instant de panique.

— Ça, mon gaillard, tu vas le regretter!

Qui sait, pour qu’il en reste là, même si c’est faire peu de cas de leur deux caractères, peut-être aurait-il suffit que Le Barz refusa son regard, mais l’autre ne cilla pas. Au contraire, loin d’afficher sa soumission, son œil vif éclata de morgue et de mépris. C’était donner du grain à moudre à Targaz qui en brûlait d’envie. Le coup, d’une violence peu commune, partit en direction du visage de Le Barz qui, la bouche pissant le sang et le nez éclaté, vacilla, ondula comme frappé par un arc électrique, mais, maintenu par Le Maout ce qui accrut encore la violence de l’impact, il ne s’effondra pas. Cependant,quand il se redressa, toisant Targaz sans aménité, son visage tuméfié n’avait pas changé d’expression. On y lisait toujours le plus profond dédain.

— Passe-lui les menottes, hurla Targaz, et direction le siège!

© José Le Moigne 2013

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