Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

La montagne rouge 17

Posture ou imposture

Extrait

José Le Moigne

Ils étaient cent. Cent jeunes gens égarés dans une guerre bien trop grande pour eux. Ils ne venaient pas tous de l’Argoat, mais de quels endroits de Bretagne qu’ils vinssent, la montagne se présentait à eux comme un terrain de jeux offert à leur bestialité.

— Dis-moi, quelle différence fais-tu entre posture et imposture?

— Mince, je crois. Très mince.

Qui pouvait croire cela? A peine revenus de l’île de la jument en pays vannetais qu’ils avaient mis à sac avec une douzaine de douaniers allemands Gouez et Le Maout, et, comme si rien ne s’était passé, Gouez et Le Maout, assis sur leurs châlits comme des universitaires tranquillement installés à une terrasse du Quartier Latin,  parlaient philosophie.

Pourtant, l’affaire avait été terrible. Les miliciens, avertis par dieu sait qui que l’île cachait des maquisards, avaient torturés sans pitié, procédés à de nombreuses arrestations et, à leur retour à Rennes, s’ils ne s’étaient pas mêlés de fusiller les patriotes, ce n’était pas que le remords les avait envahi, mais, plus prosaïquement, parce que les tâches répressives, pour quelques temps encore, se trouvaient réparties de la sorte. D’ailleurs, pas plus qu’ils ne s’étaient bouché les oreilles quand les martyres avaient chanté, hurlé plutôt, La Marseillaise et le Chant du Départ, ils n’avaient pas fermé les yeux lorsque, à peine étaient-ils revenus, ils avaient vu creuser des fosses au long du maître mur de la caserne.

Posture ou imposture? Targaz n’était pas de ceux qui manient les concepts. Pourtant, avec évidemment bien moins de pertinence que Gouez et Le Maôut instituteurs dans le civil, il pressentait combien ces deux termes, également chargés d’une puissance négative, dans le fond cousinaient. Mais comment l’exprimer avec ses pauvres mots? Il n’allait tout de même pas lever le doigt et demander qu’on lui explique? Même à l’école, cela lui répugnait.

La Bretonische Waffenverband der SS, Bezen Perrot pour les bretons, n’avait rien d’une pouponnière. On pouvait tout y prôner sauf la tendresse et la pitié. Pour Targaz et les autres, l’affaire de l’île de la Jument n’était que la dernière d’une série qui commençait à s’allonger. A chaque fois la cruauté était montée d’un cran et Targaz, à trop la fréquenter, devenait peu à peu hermétique à la souffrance humaine. Pourtant, ce soir, poussé peut-être par quelque reste de conscience, il n’arrivait pas à comprendre comment, Gouez et Le Maôut, dont les mains poissaient encore du sang des partisans, pouvaient afficher sans frémir un détachement aussi profond.

Pour la première fois depuis des mois il pensa à Moysan. Les nouvelles vont vite dans les périodes clandestines et il n’ignorait pas que son copain d’enfance avait rejoint les maquisards. Que se passerait-il s’ils devaient se faire face un fusil à la main? Targaz n’était pas naïf. Il savait que ce ne serait pas comme au cinéma. Cela ne se pouvait, même s’ils s’aiment encore, ils ne tomberaient pas ensemble dans la poussière. La question était donc de savoir qui, en tirant le premier, allait précipiter son vis-à-vis dans le néant? Targaz, même s’il prétendait pouvoir tout balayer sur son passage, n’était pas bien certain qu’il serait celui-là. Quelle ironie! Peut-être allait-il crever parce que, une fraction de seconde, son ancienne amitié lui était revenue. Alors, pour faire bonne mesure, voulant ainsi neutraliser le trouble qui l’avait saisi, Targaz, avec toute la candeur dont il était capable, s'immergea dans sa petite enfance. 

©José Le Moigne 2013

boule

 Viré monté