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La montagne rouge 16

Dilasser

Extrait

José Le Moigne

— Trop fier ou trop plouc pour demander sa route ! trancha Anastase Dilasser en voyant le jeune homme sortir de la gare.

Lourd, trapu et malgré tout d’une aérienne courtoisie, Dilasser, moitié dandy moitié clochard était de ces figures qui participent, faute d’en être l’agrément, au pittoresque de nos villes. La guerre n’y avait rien changé. Depuis près de vingt ans Dilasser exerçait aux portes de la gare son petit commerce qui consistait à renseigner les voyageurs désorientés. Il ne tendait jamais la main mais, comme toute peine mérite récompense, il appréciait que ses obligés, d’eux-mêmes et avec si possible une formule de politesse en réponse à son tact, lui glissent négligemment quelque menue monnaie. Ainsi, mémorialiste improvisé, notre poète sans papier, à battre sans cesse le parvis,  avait-il pu dresser pour son amusement et peut-être le nôtre, un plaisant catalogue de notre triste humanité. Au premier rang de son mémorandum il y avait, suivis des histrions tout juste bons à balancer quelques blagues abscondes, les renfrognés qui passaient leur chemin en plissant la narine; les bourgeoises serrant leur sac contre leurs hanches de peur qu’il ne l’arrache, serraient leur sacs contre leur hanche; et puis, touchantes créatures, les midinettes insouciantes qui lui offraient, à défaut de billon, de candides sourires qui lui mettaient le cœur au chaud pour toute la journée. Hélas, ce matin-là, notre caricaturiste était embarrassé. À son grand déplaisir Loïc Kermanac’h ne trouvait place dans aucune de ses catégories. En d’autres temps il se serait vite passé à autre chose mais, en ces temps de vaches maigres, les sujets à croquer ne courraient pas les gares. Alors, son regard affûté se fit plus vif encore et, à la manière d’un entomologiste, il entreprit disséquer les faits et gestes du jeune homme. Ainsi, le vit-il sortir de sa poche une feuille soigneusement pliée qu’il consulta à plusieurs reprises avant de suivre la longue perspective du boulevard de l’Alma. Un plan, sans doute, supposa Dilasser qui aussitôt, plus par instinct de vieux pisteur que par désir d’espionner, commença à le suivre. La traque ne fut pas longue. Au bout de l’Alma le jeune homme traversa le Champ de Mars puis, après avoir consulté une dernière fois son plan, s’engouffra sous le porche de la caserne du Colombier.

Dilasser grimaça.  Tout ce que son regard pouvait avoir de sympathie d’effaça d’un seul coup.

— Encore une de ces pourritures de milicien, grommela-t-il en tournant les talons.  

©José Le Moigne 2013

Notes

  1. Kentour: Sergent.
     
  2. En 1943 le salaire d’un instituteur s’élevait à environ de 2500 francs de l’époque.
     
  3. Targaz: Matou.

boule

 Viré monté