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La montagne rouge 16

L'engagement

Extrait

José Le Moigne

 

 

 

 

 

 

 

 

Miliciens bretons. (Archives)

Célestin Lainé

Et maintenant il était là, sur le point de signer, dans ce bureau étroit que décorait le drapeau blanc et noir de la nation bretonne, son engagement dans la Waffen SS.

L’homme qui lui faisait face, sorte de moine-soldat au profil acéré, posa ses mains nerveuses bien à plat sur la table.

— J’espère, petit, que tu sais n’est-ce pas ce que tu fais? dit-il en le fixant droit dans les yeux. Ici on fait la chasse au terrorisme. Donc, très vite, il te faudra tirer sur des bretons. Réfléchis bien. Impossible de se défiler. En es-tu bien conscient?

— Est-ce qu’ils se gênent, eux?  L’abbé Perrot était un saint. Ils l’ont exécuté. Je suis ici pour lui rendre justice.

Cela sentait la leçon bien apprise. Loïc sachant qu’on lui poserait ce genre de questions, avait profité du voyage pour peaufiner ses arguments et, à présent, il la régurgitait.

Son vis-à-vis sourit.

— Armée allemande, mais tu le sais déjà, cela veut dire aussi les uniformes, les grades et les insignes. Il te faudra bien sûr les connaître et saluer à bon escient mais, quand nous sommes entre-nous, pas question d’obersturmführer, d’obersharfürer ou d’untersharfüreur.  Nous sommes des kentour1, des kerenour et des gours. Nous restons un clan celte au sein de la Waffen SS. Questions?

— Non, aucune.

— Même pas la solde?2

— Monsieur, je ne suis pas un mercenaire. Ce n’est pas pour l’argent que je veux m’engager.  

— Je sais. Pour la Bretagne. Il faut quand même que je t’informe. La solde d’un gour c’est 4000 francs par mois sur lesquels il te sera retenu 1800 francs pour la nourriture et 500 francs pour l’école bretonnante de Plestin. Au bout du compte, il te restera environ l’équivalent du salaire d’un instituteur. Ça fait pas mal d’argent pour un gamin; mais pas question de parader en uniforme pour épater les filles! Pas de mariage non plus avant d’avoir conquis l’autonomie de la Bretagne…

— Tout ça me va.

— Autre chose, si jamais tu désertes, c’est la feldgendarmerie que tu auras aux trousses. Inutile, n’est-ce pas, de t’indiquer la suite!

— Pourquoi voudriez-vous que je déserte?

— En effet, pourquoi, mais on ne sait jamais ... Comment déjà t’appelles-tu?  

— Loïc Kermanac’h.

— Eh bien, à partir d’aujourd’hui, ton nom sera Targaz.3  Retiens-le bien parce que personne ne devra plus entendre ton vrai blaze. La règle est absolue et valable pour tous. Rappelle-toi, Lainé c’est Henaff et moi je suis Le Maître. Pour les autres tu verras. En attendant, voilà ton engagement.

L’imprimé était rédigé en allemand. Le Maître, bien qu’il connût parfaitement la langue, s’abstint de le traduire. Targaz, conscient que seule la signature comptait, apposa son paraphe. Voilà comment, Voilà comment, parce qu’un curé avait été assassiné, un petits gars de la montagne, pas plus malin ni plus méchant qu’un autre, plus exalté sans doute, vendit son âme au diable.

Le drame était écrit, il ne restait plus qu’à le jouer.

©José Le Moigne 2013

Notes

  1. Kentour: Sergent.
     
  2. En 1943 le salaire d’un instituteur s’élevait à environ de 2500 francs de l’époque.
     
  3. Targaz: Matou.

boule

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