Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

La montagne rouge 12

Koat-Keo

Extrait

José Le Moigne

abbé Jégou

Koat-Kéo: gisant de l'abbé Jégou. Photo Christine Le Moigne-Simonis.

Poussant sur ses jambes malades, le prêtre, au même instant, allait vers son destin. Depuis l’automne, sans que l’on puisse pour autant parler de prémonition, Yan-Vari était obsédé par le souvenir de ses prédécesseurs, recteurs des périodes troublées, tous morts de mort violente.

En ce dimanche de la Saint-Corentin, dans la chapelle dédiée, l’abbé, blessé au plus profond de lui par la maigreur de l’assistance, avait improvisé un sermon à la mémoire de l’abbé Etienne Bernard mort en prison le 17 juillet 1795. Il avait poursuivi par l’abbé Coz guillotiné à Brest puis conclu en évoquant Claude Jégou, dernier recteur de Koat-Kéo, alors trêve importante de Scrignac, dont le corps mutilé avait été trouvé sur le bord d’un chemin.

C'était en 1797. 

— Un jour, prédisait-il d’un ton sinistre, moi, non plus, je ne reviendrais pas de l’une ou l’autre de mes chapelles. Lorsque  cela arrivera, enterrez-moi à Koat-Kéo, sous la fenêtre de Saint-Divi, du côté soleil couchant. En souvenir de ma dévotion pour la vierge Marie, j’aimerais qu'on inscrive en caractères celtiques ces deux vers sur ma tombe: 

Pas veuloc’h Mari, en he lez.
Va eskern a drido em bez

 Koat-Keo, sa plus grande fierté!

Pendant un millénaire, le sanctuaire dédié à la vierge édifié sur l’ermitage de Kéo, un moine venu de Galles, avait été l’indispensable pèlerinage pour ceux de la montagne. Chaque année, au jour de l’assomption, venus en processions de toutes les paroisses, des pèlerins à la foi rude, ardente et primitive, se pressaient, dans le bourdonnement des oraisons et des cantiques, la fumée de l’encens et les ors des chasubles, dans la chapelle aux murs tapissés d’ex-voto. Des béquilles suspendues à la voûte, certaines très anciennes, témoignaient de la reconnaissance de ceux qui avaient reçu les bienfaits et les grâces de Notre Dame de Koat-Kéo.  Tout cela, comme tant de choses hélas, avait cessées à la Révolution. En quelques mois, ce qui paraissait éternel avait été brisé comme un fétu de paille. La terreur grondait. À Brest, la guillotine, avide de sang frais, moissonnait par brasées les têtes mal pensantes. À Koat Kéo, l’abbé Jégou, réfractaire au serment de la République, maintenait, au risque de sa vie, un culte clandestin.

Keit ha ma vo ar Werc’hez e Koat-Kéo, ar Feiz e Skrignac a jomo béo1! disait-il d’une voix calme et sereine.  

C’était ouvrir grand la porte du martyre et il s’y engouffra au nom de la madone. Au naturel, c’était pourtant un homme simple et sans aspérités. Un de ces bons curés qui ne laissent après eux que le souvenir attendri de leur bénignité; mais sa mort l’avait fait grand et, comment s’en étonner, avec son esprit exalté et le sens du raccourci qui le caractérisait, voyait en lui son frère de souffrance.

Le sachant, on mesure mieux la rage qui l’avait saisi quand, au tout début de son ministère à Scrignac, en lieu et place de l’ancien sanctuaire, il avait découvert un amoncellement de ronces et d’orties d’où n’émergeaient qu’à peine les restes écroulées de la chapelle séculaire.

Quelques pierres échappées à la vente publique, c’était tout ce qui restait de Notre Dame de Koat Kéo.

— Imbécile! Vous voulez vous rompre les os! Gronda une voix sortant de derrière les bâtiments bas, sans doute des écuries, jouxtant le mur de l’ancien cimetière où l’on voyait encore, certaines de guingois, d’autres démembrées et couchées, quelques très vieilles sépultures.

L’homme, une sorte de garde, apparu au grand jour.

— Pardon, Monsieur le recteur, dit-il tout essoufflé, je ne vous avais pas reconnu. Depuis que les maçons de Scaër ont emporté les pierres les plus belles, l’endroit est vraiment dangereux.

L’abbé posa sur lui un regard envoûté.

— Un jour je la relèverai, dit-il en désignant d’un petit geste du menton ce qui restait de l’antique chapelle. Un jour, soyez-en assuré, je la relèverai.

©José Le Moigne 2013

Note

  1. Tant que la Vierge demeurera à Koat-Kéo, la Foi restera vivante à Scrignac!

boule

 Viré monté