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Jimmy le Fellagha |
Rien de nouveau sous le soleil. Bien peu sans doute s’en souviennent, mais, quelques années plus tôt, alors que les événements, pardon la guerre d’Algérie faisait rage, dans notre provisoire, il y avait un sous-ghetto appelé la baraque des Arabes. Combien étaient-ils à vivre là? Cinq, six, peut-être bien dix. Personne ne leur adressait la parole et, le matin, quand, en serrant les coudes, ils partaient au boulot, c’est-à-dire qu’avec d’autres étrangers, ils allaient ajouter leur pierre à la reconstruction du pays d’ici, soit on ricanait, soit on leur tournait le dos, soit on crachait ostensiblement. Un jour, j'ai vu le père d'un copain, un type tout ce qu'il y a de plus banal, balancer son mégot à leur passage, en instituant bien sur le mouvement rotatif du pied, comme s'il c'était agi d'écraser un cloporte, un cancrelat ou une punaise. Je ne vais pas vous faire le coup du moi ceci, moi cela. J’étais comme les autres, con à décorner les vaches. Un peu lâche surtout, car je savais pertinemment qu’il n’était pas bon pour moi de jouer les Don Quichotte. Régulièrement, depuis que je divaguais librement dans les rues du pays d’ici, j’étais interpellé par les hirondelles, vous savez, ces flics à casquette plate et à pèlerine qui circulait à vélo, m’interpellaient et me sommaient de montrer mes papiers. Après, bien sûr, ils s’excusaient en ajoutant:
— Vous autres, ce n’est pas pareil…
Qu’est-ce qui n’était pas pareil? Nom de Dieu de merde, je n’allais tout de même pas me mettre à compter les générations… Pour moi, c’était viscéralement pareil. J’avais envie de leur hurler à la gueule: «Arrêtez de me faire…!» — oui, moi aussi, je sais être vulgaire! —; je suis moi, tu es toi, nous sommes nous. Arrêtez de faire de moi un algorithme!
Je ne l’avais pas prémédité, mais, au fil du temps, j’avais lié une amitié du regard avec Jimmy. Sans doute s’appelait-il Mokhtar, Mohamed ou Salah… C’était sans importance. Pour moi, celui qui paraissait être le chef de la baraque des Arabes avait pour nom Jimmy. Quel touche ce Jimmy! Grand, élancé, avec des épaules de trois quarts de rugby, il avait une tignasse incroyablement crépue — et croyez-moi je m’y connais —, tirée soigneusement en arrière à force de brillantine, qui ressemblait à un casque afro ou à une crête d’Iroquois! J’avais douze ans, peut-être treize et, pour moi, Jimmy le fellagha — qui peut me dire comment fonctionne le cerveau des humains? — était le symbole parfait du mythe américain.
Imagination débridée d’un gamin? Vague notion de melting pot ramenées de l’école? Désir d’humaniste encore embryonnaire? Tout ce que vous voulez. Dans ma petite tête de rêveur invétéré, Jimmy le fellagha était américain. C’était comme ça. Pas besoin d’explications à tire-larigot, Hosanna! Hosanna! Gloria in excelsis Deo…
(…)
©José Le Moigne
Chemin de la mangrove 5
L’effacement
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