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La confession

José Le Moigne

La porte s’ouvrait sur corridor qui se poursuivait par un couloir lambrissé à gauche duquel se trouvait la salle de réunion. Le mobilier était austère, le papier peint faussement exotique, la lumière chiche et glauque. Si ce n’était le crucifix au-dessus de la porte et les remugles de chou et de viande bouillie qui dénonçaient la présence discrète et dévouée d’une vraie kabaressen, mon imagination ayant repris du service, on aurait pu se croire dans une fumerie d’opium ou, encore, dans une de ces officines clandestines comme on n’en trouve que dans les ports.

L’atmosphère convenait parfaitement à Léostic qui en jouait avec la science consommée d’un bon metteur en scène. Assis en bout de table, il entreprit d’aligner devant lui des crayons et des feuilles volantes. Puis il joignit les mains, déposa son menton délicat sur ses phalanges jointes, ferma les yeux comme un saint de vitrail, les rouvrit pour mesurer du regard nos attitudes embarrassées, puis lâcha sur un ton brusquement impatient:

— Jeunes gens, si ce n’est pas trop vous demander, peut-être pourrions-nous commencer?

Nous connaissions l’antienne. À présent il fallait nous soumettre à une rafale de questions plus saugrenues les unes que les autres. C’était comme à confesse où il fallait prendre garde de ne pas se laisser emberlificoter par le vicaire aux aguets derrière la niche grillagée qui sentait le vieux bois. Pour éviter d’être piégé, après la formule rituelle: Mon père, bénissez-moi, car j’ai beaucoup fauté; par parole, par pensée, par action et par omission et le répons tout aussi rituel: Ne craignez rien, mon fils, ici, Dieu seul écoute, il fallait très vite balancer quelque chose de neuf qui saurait détourner son attention malsaine. J’exagère. Sans doute. Mais c’est ainsi que je le ressentais.

Je n’en étais pas encore à remettre en question la religion et j’ignorais tout encore du doute pascalien. Mais que Dieu puisse avoir choisi de s’exprimer par la bouche de cet homme dont la langue claquait de plaisir à chacun de mes aveux insignifiants, voilà qui dépassait mon jeune entendement.

Car ce n’était pas fini. Dans la cage moisie, la voix d’ombre poursuivait:

― Tchip! Tchip! Tchip! Mon garçon! N’y a-t-il pas une autre chose que tu n’oses avouer?

Ça devenait sérieux. L’instant était venu de lui livrer l’unique péché qu’il attendait, le seul qui dans la hiérarchie des fautes capitales le faisait saliver, celui que tous les jeunes garçons redoutaient d’avouer. Alors, je lui lâchais d’une voix éteinte à force d’être retenue:

― J’ai été impur.

Nul besoin de le voir. Je le devinais, comme frappé par la foudre, se racornissant dans la pénombre, levant les bras au ciel, avant de soupirer d’une voix d’agonisant:

— Ego te absolvo a peccatis tuis au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Pour ta pénitence, tu diras…

Il se signait. Je me signais. Le tour était joué.

À genoux dans la nef je m’acquittais à la va-vite d’une douzaine de Notre père et de Je vous salue Marie et, lorsqu’enfin je sortais de l’église, à défaut d’être certain de m’être lavé de toutes mes souillures, du moins m’étais-je libéré d’un pénible devoir.

©José Le Moigne
Chemin de la mangrove
L’Harmattan 1999

boule

 Viré monté