Potomitan

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Hommage à Jenny Alpha

José Le Moigne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Coucher de soleil à Schœlcher. Photographie: Christine Le Moigne-Simonis

Coucher de soleil

— Comment tu vas?

— Tu n’as pas lu mon dernier livre?

— Non, je ne savais pas qu’il était sorti…

— Alors, permets-moi de te l’offrir!

Mon Dieu, la femme à qui Laure s’adresse est prodigieusement belle et d’une dignité impressionnante. Je pense en la voyant à ce dossier que le journal L’illustration consacra, quelques semaines avant que le volcan ne donne de la voix, aux mulâtresses de Saint-Pierre.  Ne manque qu’une clarinette, un couple de chas-chas et un violon créole pour que l’illusion soit complète. Je pense à La Caldeira1, à la Rue monte au ciel, à Raphaël Tardon. 

Laure fait les présentations.

— Tu ne connais pas notre grande comédienne?

Là, elle me plonge dans l’embarras. Comment, sans passer pour le dernier des malotrus, répondre par la négative!

Nos regards se croisent, Laure prend la posture d’une hôtesse parfaite et me dit avec du sirop-miel dans la voix :

— Alors, je te présente la grande Jenny Alpha …

Seigneur! Autant dire Joséphine Baker! C’est une icône de la culture noire que j’ai à saluer! Son nom m’est familier. Man Anna en parlait si souvent! Dire qu’elle aurait à peu près le même âge si le destin avait voulu me la garder!

— José Le Moigne, auteur Martiniquais et ami de Joseph Zobel.

Dis, Laure, là tu charries un peu. J’attends Zobel, mais je ne le connais pas. Lui aussi c’est un monument créole. Une citadelle dont j’ignore s’il m’ouvrira la porte. Je te remercie cependant de tout mon cœur. Ce que tu viens de dire est un sacré sésame pour deviser avec Jenny sans paraître à mon corps défendant l’imbécile de service.

— Zobel! C’est un très grand ami. Je l’ai connu à Paris dans les années 40. Il venait nous voir, nous apportait ses manuscrits.

— …

— Savez-vous que j’ai pu lire Diab’-la avant sa publication?

— Non.

— Peut-être vous le dira-t-il un jour. Vous savez, c’est un homme très réservé. Il ne fait pas ses confidences à tout le monde.

— Je sais.

Que pouvais-je faire d’autre que de poursuivre le quiproquo que Laure avait fait naître?

— Vous ne savez pas non plus qu’il a prénommé sa fille Jenny par amitié pour moi?

— Non.

— Laissez faire le temps et vous verrez, vous saurez tout sur lui. Mais il faudra le mériter.

Là-dessus, m’ayant gratifié de son sourire le plus charmant, elle se sauve, happée par ses nombreux amis.

Je ne sais pas pourquoi, mais son court passage m’a conforté dans ce que je savais déjà. Depuis le premier esclave noir qui débarqua aux îles, la clef de la sagesse créole est de savoir attendre.

 

  1. La Caldeira: Raphaël Tardon, éditions Fasquelle 1948, réédition Ibis Rouge éditions 2002.

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