Potomitan

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Annou voyé kreyòl douvan douvan

Breizh eo ma bro

José Le Moigne

 

Au bout du chemin creux
quand lassé de la boue
tu aspires à marcher
dans l’herbe des prairies
tu vois que le printemps
ne te protège plus

Sur un poème de Paul Vincensini

J’habite une île
Intime et solitaire
Où chaque parole dite
A valeur d’adage

Bouquets de lait
boutons d’or
fleurs de Marie

le busard engourdi
en haut de son poteau
ne veille que d’œil

sous son faîtage de genets
la Bretagne s’étire
comme une nappe d’autel

Ce ne sont pas les douleurs
grandes ou petites qui sont muettes
c’est l’hiver
c’est le froid
la course de l’araignée
qui file sous le meuble
c’est le vent qui se plaît
à masquer les étoiles

J’ai trop trahi le vent
pour parler à la place
des hommes de mon pays

Pourtant je sais
leurs épaules fatiguées
par le poids de l’argile
leurs paupières délavées
par les vapeurs de tourbe
leurs pas épais de naufrageurs

Qui ne s’est pas frotté
à la mystique sauvagerie
des montagnes d’Arrée
ne peut parler de l’âme

Pour Fanny

Je regrette parfois
le temps des processions
des grandes troménies
et des pardons fervents
L’envolée
des bannières
les vagues de dentelles
les jonchères qui dansent
à même le poussière
ce permanent miracle
qu’on appelle l’enfance

Je voudrais me repaitre
de la tendresse oblique
des talus millénaires

un peu blessé sans doute
par les épines d’or
des ronces et des genets

mais sensible pourtant
à l’oiseau qui se glisse
à la césure de la pluie

Au bout du compte
pareil à l’araignée
qui tisse le silence
à l’angle de sa toile
je n’ai pas fait de choix
J’ai remonté l’aber
de pierre en pierre
jusqu’à la source
et je me suis noyé

Je n’écris pas le jour
j’écris de croix en croix
pas celles de la vie
mais celles des chemins
qui portent sur leurs bras
alanguis de lichen
l’élan de foi naïve
des hommes de ma terre
qui mêlaient leurs prières
à celles des talus
tant étaient proches encore
les idoles gauloises

Mon orgueil se limite
à celui des fontaines
des croix votives
et des chapelles solitaires
Je suis comme la terre
abasourdie d’étoiles
une prière fendue
où l’océan pénètre

Je me suis arrêté
sur le bord de l’aber
à regarder le fleuve
renaître dans la vase
Pèlerin chimérique
aux désirs incertains
j’ai ignoré la mer
et ses fausses invites

José Le Moigne
Plourarc’h
15 mai 2019

 Viré monté