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La ducasse d'Anselme

José Le Moigne

Le lendemain matin, le coron tout entier se retrouva à l’église de style néogothique dénudé qui, comme en beaucoup d’endroits sur le bassin minier, avait été bâti en même temps que la cité. Personne, du plus croyant jusqu’au plus mécréant, n’aurait imaginé pouvoir échapper à la messe solennelle que rehaussait la fanfare des mineurs en tenue de travail.

Comme chaque année, après la messe, dans le grand bureau des mines, le directeur reçu les médaillés du travail. On sabla le champagne. Anselme n’y était pas, ce qui ne l’empêchait pas de rire à gorge déployée en me racontant l’aventure du père Baptiste Barlet, un vieux mineur couturé de cicatrices tant il avait vécu au fond, qui, au moment de trinquer avec le directeur, déclara en connaisseur:

Cha, ché d’el bonn’bière!

Et le directeur, loin de le contredire, avait hoché la tête d’un air de connivence. Ses camarades aussi. Ce n’est qu’après – mais cela allait durer des semaines et des mois -, que le coron en fit des gorges chaudes.

- C’était ça le respect du mineur, souffla Anselme la voix enflée de nostalgie. Et dire qu’il  n’y a plus que moi pour te parler de ce temps-là!

Cette fois encore, les officiers de l’ducasse, jeunes gens de la paroisse chargés de préparer la fête, avaient été brillants. Dès la veille, au cri de: «V ‘là les baraques, la place de l’église s’était couverte de baraques. Certes, on avait écouté respectueusement Monsieur le curé enjoignant à ses ouailles – au premier rang desquels se trouvaient les graves marguilliers – de ne pas souiller cette journée de fête par des intempérances, mais on ne se préparait pas moins à une énorme réjouissance.

L’après-midi, les jeunes étaient à leur affaire. Délaissant leurs aînés qui se pressaient encore autour de longues tables qui semblaient toutes droites descendues d’un tableau de Bruegel, ils se précipitaient en habits du dimanche vers le centre de la place où se trouvaient les attractions. Personne d’autre que l’ami Mousseron de Denain, parce qu’il se rappelait avoir été l’un deux, n’a jamais évoqué avec plus de tendresse leurs silhouettes maladroites de poulbots des terrils.

Il avot ses loqu’s des diminches
Capote à pans, souliers qui grinchent
Montre au gousset, capiau findu
Vraimint  …. I n’sé sintot pus.

Inutile, je crois, d’en dire davantage.

Les petites cafus1 les regardaient passer avec des rires d’alouette; mais ils n’en avaient cure. On verrait ça plus tard. Pourtant, débarrassé de leurs frusques de travail – en particulier ce grand foulard qui, bien que leur couvrant les trois quarts du visage, n’empêchaient pas la poussière des gaillettes de leur donner un air de négresse -, elles étaient bien jolies les demoiselles!

Anselme, même si les oreilles lui bouillaient sous le regard appuyé des cafus, était bien trop timide pour reluquer les filles. Il allait droit aux attractions qui promettaient bien du plaisir pourvu qu’on ait deux sous en poche.

Il adorait les claquements secs des fusils visant les pipes de terre cuite; le grincement du balourets qu’on joue pour du pain d’épices et des macarons; l’homme sauvage et son épouse vêtus de peaux de tigre; l’homme canon; les puches2 harnachées à  un équipage; l’homme qui court dins l'fu3; celui qui monte sans asselle sur un qu’vau4;  l’odeur des gaufres, de la poussière et des frites …

C’était du plaisir et du bonheur à ne plus en finir; mais il était si jeune qu’il finissait, toujours, par se retrouver sur le manège aux chevaux de bronze qu’un petit cheval arabe aux yeux bandés faisait tourner, interminablement, tandis que son propriétaire, jovial et rubicond, soufflait dans une trompette en même temps qu’il actionnait la manivelle de sa boite à musique.

                          ©José Le Moigne
                          Une ritournelle Editions Le Manuscrit
                          www. manuscrit.com
                         17,90 euro

Notes

  1. Ouvrières chargées du triage du charbon
     
  2. Puces
     
  3. Dans le feu
     
  4. Sans selle sur un cheval

 Viré monté