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«Français noir» oui, mais…

Raphaël Confiant

Raphaël Confiant et Lilyan Thuram
Raphaël Confiant et Lilyan Thuram à la Foire du Livre de Turin (avril 2005).

 

Une nouvelle expression est en train de s’installer dans le langage politico-médiatique français suite aux émeutes des banlieues et aux diverses controverses autour d’un certain article de loi vantant le rôle positif de la colonisation ainsi que de la commémoration de Napoléon Bonaparte, de ses pompes et de ses œuvres: il s’agit de l’expression «Français noir». Il apparaît que celle-ci est véhiculée et promotionnée surtout par des associations composées d’originaires d’Afrique noire, même si certains originaires des Antilles participent à ce mouvement. Or, cette expression demande à être clarifiée, ses contours demandent à être bien cernés, si l’on ne veut pas qu’elle devienne un boomerang contre la lutte des peuples africains et antillais pour leur nécessaire émancipation.

En effet, si «Français noir» signifie «descendant de 2è ou 3è génération des centaines de milliers d’Antillais et d’Africains venus au cours des 30 glorieuses (1950-80) aider au relèvement et à l’épanouissement de l’économie hexagonale», il n’y a aucun problème. Ces personnes ont le droit le plus absolu de réclamer les mêmes droits que les descendants de «Gaulois», de les exiger même et de se révolter comme beaucoup l’ont fait dernièrement à Clichy-sous-bois ou ailleurs. Leurs parents, vivant dans des foyers SONACOTRA, dans des taudis en lisière de la lumière des villes, se sont sacrifiés, marteau-piqueur en main, pour construire des HLM, des autoroutes, des métros; ils se sont esquintés la santé dans les usines automobiles Renault ou Peugeot; ils ont affronté les rigueurs de l’hiver pour distribuer le courrier ou ramasser les poubelles des grandes métropoles françaises. Leurs descendants ont donc droit au «respect», comme on entend ce mot dans les banlieues.

Ainsi, l’équipe de France est composée de 6 «Français noirs» (et même de 7, si l’on considère que l’un d’eux est arrivé en France vers l’âge de 8-10 ans), c’est-à-dire de gens nés, élevés et éduqués dans l’Hexagone. Dire, comme on le fait trop vite, que cette équipe est majoritairement «antillaise» est une erreur grossière, erreur qui flatte l’ego des Antillais vivant au pays mais qui ne reflète aucunement la réalité. Se moquer d’elle comme le fait Alain Finkielkraut en la qualifiant d’équipe «black-black-black», ce qui sous-entend qu’elle serait formée de joueurs nés et élevés aux Antilles et en Afrique, est là encore une grossièreté. En effet, nés et élevés en France les Anelka, Henry ou Wiltord ont parfaitement le droit de jouer dans l’équipe nationale de leur pays, de même qu’il n’y a aucun problème à ce que la majorité des joueurs de l’équipe de rugby d’Afrique du Sud soit composée de Blancs. Rien que de très normal: ce sont des Africains blancs, c’est-à-dire des gens nés et élevés en Afrique. Nelson Mandela, lui-même, n’a pas craint de les féliciter publiquement lors de leur victoire à la Coupe du monde en 1985 et même d’endosser le maillot de l’équipe. Entre parenthèses, les sionistes négrophobes tels que Finkielkraut n’ont rien vu de mal à cette équipe white-white-white en plein continent africain. Curieux.

Et enfin, les Français noirs ont le droit de faire allégeance à qui ils veulent, y compris à Nicolas Sarkozy, si certains l’apprécient ou le jugent utile pour le succès de leurs revendications. C’est leur problème!

Par contre, si «Français noir» signifie «seul avenir des jeunes africains et antillais vivant en Afrique et aux Antilles et disposant d’un certain niveau scolaire», alors là, cela ne va plus du tout. Si la chose est présentée comme un objectif à atteindre, un espoir à caresser, une porte de sortie face au chômage et à la détresse de notre jeunesse vivant au pays, il y a là non seulement une escroquerie intellectuelle mais aussi une manière de lâcheté et une démission face aux responsabilités qui sont les nôtres, nous autres «élites» antillaises et africaines.

Mais trêve de circonlocutions! Posons la question sans détours, la seule question qui vaille: si tous les jeunes diplômés antillais et africains continuent à se ruer en France dans l’espoir de devenir des «Français noirs», qui sortira nos pays du marasme dans lequel ils se débattent? Oui, qui? Les «Toubabs» peut-être comme on dit en Afrique! Les «Zorey» comme on dit aux Antilles! Nos pères se sont battus pour la décolonisation, certains ont subi la torture et sont morts au combat et voilà qu’aujourd’hui la seule, l’unique ambition de certains nègres à costume-cravate, c’est de devenir conseiller municipal de Garge-les-Gonesses ou bien militant de la section l’UDF ou du Parti Socialiste de Roubaix-Tourcoing. Patrice Lumumba, l’Africain, et Frantz Fanon, l’Antillais, doivent se retourner dans leur tombe!

Enfonçons le clou: il n’est pas normal qu’il y ait davantage de médecins béninois en France qu’au Bénin; davantage d’ingénieurs martiniquais ou camerounais dans l’Hexagone qu’en Martinique ou au Cameroun. Ce n’est pas normal! Que des jeunes non diplômés, des paysans réduits à la famine par la sécheresse, des femmes exploitées continuent à voir dans l’Europe une sorte d’El Dorado, rien de plus compréhensible. Mais que des ingénieurs, des médecins, des architectes, des enseignants et des chercheurs antillais et africains en fassent de même et ne rêvent que d’obtenir le statut de «Français noir», cela dépasse l’entendement. C’est même, à mon sens, une trahison envers nos peuples et nos pays. Et que l’on ne vienne pas me raconter qu’au pays, il n’y a pas de démocratie, que les salaires y sont faibles, que ceci ou que cela! Bien sûr qu’on travaille dans de meilleures conditions dans une université européenne ou nord-américaine, mais est-ce une raison suffisante pour déserter l’université des Antilles-Guyane ou celle de Yaoundé? Bien sûr qu’il est plus facile de publier un journal d’opinion à Paris que chez nous, mais est-ce une raison pour ne pas venir se battre sur place pour l’instauration de la démocratie? Le vaillant journaliste camerounais Pius N’Jawe et son «Messager» ont démontré que c’était là chose parfaitement possible, quitte à faire des séjours réguliers dans les geôles du tyran en place. C’est que justement, il y a, et il y aura, un prix à payer pour changer nos pays et ce prix, c’est nous, «élites» antillaises et africaines qui devons, et devront, le payer. On ne peut pas continuer à fuir en Europe et en Amérique du Nord pour chercher à tout prix à devenir des «Européens noirs ou des Américains noirs», tout en espérant que «toubabs» et «zorey» vont nous livrer à nos pays d’origine la démocratie et le développement clés en mains. Cette démocratie et ce développement, c’est nous, et nous seuls, qui devront les bâtir, quel que soit le prix à payer, et ce n’est pas en aspirant à devenir conseiller municipal, général ou régional, député ou sous-ministre dans l’Hexagone que nous y parviendrons.

Il faut donc arrêter la pompe migratoire. Celle qui aspire en Occident élites et prolétaires antillais et africains. Les 30 glorieuses sont finies. La France et l’Occident, confrontés à la concurrence asiatique, n’ont plus besoin de nous. La première démarche à faire pour inverser le cours des choses consiste pour nos élites antillaises et africaines installées à l’étranger à rentrer au plus vite afin de prendre les choses en main. Tel qui est ingénieur des travaux publics, serait plus utile à construire des routes et des ponts dans son Togo natal que de jouer au maire socialiste d’un obscur village breton de 400 habitants. Répétons-le: ce ne sont pas les « toubabs » qui vont développer nos pays à notre place. Tel autre serait mieux avisé de rentrer enseigner dans son Cameroun natal au lieu de chercher à épater les Gaulois en leur expliquant qu’il n’aime pas le manioc et qu’il est un Bourguignon noir. Et répétons aussi que la présente objurgation ne concerne pas les 2è et 3è générations d’Antillais et d’Africains qui, eux, sont français à part entière et qui peuvent éventuellement nous aider, mais dont la vie et les combats se trouvent dans l’Hexagone et nulle part ailleurs. Elle concerne, cette objurgation, ceux qui, nés à Fort-de-France, à Cotonou, à Pointe-à-Pitre ou à Dakar, qui sont venus en France faire des études, qui y ont obtenu un diplôme et un travail et qui ont tourné le dos à nos pays. Ces « privilégiés » profitent du juste combat que mènent les 2è et 3è générations antillaises et africaines pour avancer des thèses négristes ou blackistes. En réalité, leur seule ambition, c’est de devenir un jour des Colin Powell, des Condoleeza Rice, des Denzel Washington ou des Oprah Winfrey. Pour cela, ils sont prêt à tout : discrimination positive, quotas, lobbys de « minorités visibles », culpabilisation permanente de l’Europe sur le modèle juif etc…

C’est donc la confusion entre «Français noirs» d’une part et «Antillo-Guyanais»/ «Africains» de l’autre qui pose problème. Elle obscurcit notre lutte, nous fait entrer dans des combats sans bâton et nous fait perdre de vue que notre objectif principal est, pour les Antillais, d’obtenir le maximum d’autonomie par rapport à la France et l’Europe, pour les Africains de se débarrasser du joug néo-colonialiste de cette même France et de cette même Europe. Et là, on mesure à quel point la confusion est grave car si en France, les intérêts des Français noirs, qu’ils soient d’origine antillaise ou africaine, est le même, il en va tout autrement s’agissant des Antillais et des Africains vivant au pays. D’abord, nous ne vivons pas sur le même continent; ensuite, nous n’avons aucune complémentarité économique et nous sommes mêmes concurrents (cf. la banane antillaise et la banane camerounaise); enfin, nos perspectives d’intégration sont radicalement différentes (l’Afrique noire peut espérer un jour - et l’OUA y travaille - former un seul bloc avec l’Afrique du Nord et se positionner comme une force émergente sur le marché mondial alors que les Antilles aujourd’hui françaises n’ont d’autre avenir que la Caraïbe et plus largement les Amériques). Aucun discours blackiste, négriste ou afro-centriste n’y changera rien.

Et c’est parce qu’ils n’ont pas une position claire et nette sur cette question qu’une association aussi active et combative que le Collectif des Antillais, Guyanais et Réunionnais et son dynamique président Patrick Karam se trouvent aujourd’hui en butte à toutes les attaques suite au soutien qu’il a apporté dernièrement à Nicolas Sarkozy. Le Collectif n’a aucun droit de parler au nom des Antillo-Guyanais et des Réunionnais. Son seul droit est de parler au nom des Français noirs. Dès lors que la chose en viendra à être clarifiée, les Antillo-Guyanais et Réunionnais n’auront à leur tour aucun droit de juger les prises de positions de ce Collectif et de son président. Si le Collectif estime qu’à tel moment ou tel moment, il est important de s’allier à Sarkozy, à Hollande, à Besancenot ou à Tartempion, c’est son problème!

Je respecte la France. J’apprécie la langue et la culture françaises dont certains éléments sont une partie de moi. Mais je ne suis pas et ne serai jamais un «Français noir». Je suis un Créole, un Créole caribéen, américain. La carte d’identité que j’ai présentement entre les mains n’est qu’un document provisoire. Mes ancêtres ont été d’abord des esclaves, c’est-à-dire des non-humains de 1635 à 1848, puis des indigènes c’est-à-dire des sous-hommes de 1848 à 1946 et de 1946 à nos jours des hommes dépersonnalisés, dominés économiquement et politiquement. Demain, je n’ai aucun doute là-dessus, ils deviendront des hommes tout court. L’Histoire ne s’est pas arrêtée, comme par magie, au statut de départementalisation de 1946 ou à la consultation de décembre 2003.

Et surtout j’ai des responsabilités envers mon pays, la Martinique (ou bien tout autre pays-frère du Sud où je peux décider de m’installer un jour): j’ai l’obligation morale d’y vivre et d’y apporter tout ce que j’ai pu apprendre de bon en Europe ou aux Etats-Unis. Certes, je ne suis pas indifférent aux problèmes rencontrés par les Français noirs mais je ne confonds pas mon combat avec le leur. Surtout pas!

Alors, camarades, encore un effort: il est grand temps de clarifier les choses!

Raphaël Confiant

Raphaël Confiant et Lilyan Thuram
Raphaël Confiant et Lilyan Thuram à la Foire du Livre de Turin (avril 2005).

Viré monté