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REFLEXION ECRITE EN AVRIL 2007
NON MODIFIEE ET NON PUBLIEE APRES LES RESULTATS DU 6 MAI
François Bayrou
et le centre effectif :
de la complexité en politique française
Khal Torabully
Mai 2007
«Et il émit l’opinion que quiconque pourrait faire pousser deux épis de blé, ou deux brins d’herbe, à un endroit du sol où un seul croissait auparavant, mériterait bien plus de l’humanité et rendrait un service plus éminent à son pays que la race tout entière des politiciens». J. SWIFT, Les voyages de Gulliver
Les intentions de vote en faveur de Bayrou ne cessent de se densifier dans les récents sondages. A tel point que le « nouveau » troisième homme, qui incarnerait une «troisième voie» fait question comme jamais auparavant dans le paysage politique français, non seulement en raison de la situation politique et économique actuelle mais aussi du fait de la crise du politique, perçue comme le résultat de l’incurie d’une caste qui peine à se ressourcer et à proposer des discours et alternatives pouvant répondre aux aspirations profondes de la France, bousculée comme jamais par la globalisation, jusque dans ses repères fondateurs.
Bipartisme et «stabilité des institutions»
Tout d’abord, il est intéressant de se pencher sur les justifications du candidat du «centre» et des arguments de ses détracteurs, pour sonder ce qui affleure dans ce nouveau paysage politique fortement marqué par la bipolarisation gauche/droite, un binarisme motivé par la volonté, dit-on, de garantir la stabilité de la Vème République. Le scrutin à la proportionnelle à l’italienne ne serait que péril en la demeure, et l’on se confie davantage en France à un mode de scrutin qui impose une majorité « claire » à gauche ou à droite. L’on cite, pour illustrer la défense du binarisme politique, les difficultés actuelles du gouvernement de Romano Prodi en Italie, qui serait en proie aux fluctuations de la coalition au pouvoir, menacée dans ses assises dès que les désaccords se concrétisent au niveau de votes (surtout de confiance) dans les institutions de l’état.
Alors, l’on cite en modèle les USA, dominés par le bipartisme aussi, où un certain Bush aurait pu donner de la stabilité politique aux étatsuniens, même au vu des derniers progrès réalisés par les Démocrates lors du dernier scrutin… Cependant, ce fort ancrage présidentiel provient aussi des pouvoirs surdimensionnés, ceux-là même qui ont entraîné son pays dans une «aventure » sanguinaire, dont même ses plus sympathiques supporters semblent en revenir… Les récentes victoires électorales des Démocrates aux USA démontrent aussi que, sans atteindre le pourcentage législatif nécessaire à la remise en cause de la politique bushienne, la contestation de la politique irakienne du président Bush ne fait pas l’unanimité au niveau législatif, et encore moins, dans le peuple usé par cette guerre vietnamisée, mais dont les remises en cause ne remontent pas jusqu’à l’exécutif retranché derrière les assises institutionnelles garanties par le bipartisme et la nature de l’exécutif bushien… Bush a même envoyé des troupes supplémentaires dans le bourbier irakien, donnant une assez saisissante définition à «sa» démocratie étatsunienne.
Quant à l’exemple de la politique Outre-Rhin, il est loisible de l’imaginer stable du côté de la Seine, mais la penser sur les bases de l’opposition gauche-droite en France équivaudrait à juger, par exemple, les institutions britanniques à l’aune de la démocratie à la Poutine. En effet, ce que l’on reprocherait à Bayrou comme manque de courage politique ou signe d’indécision et de faiblesse, est déjà une réalité de la vie politique allemande, où le consensus demeure une référence tangible du pragmatisme allemand, fondé sur un centrage où le dialogue entre les partenaires sociaux et politiques est une denrée courante dans la colaition au pouvoir. Ici, syndicats, patronat, pouvoir politique fédéral régional et local ont développé une culture du dialogue et repoussent les rigidités doctrinaires, réduisant de beaucoup les tensions et conflits sociaux, et donnant à l’Allemagne une capacité de se mobiliser face aux enjeux de la mondialisation au cœur duquel les flux des capitaux sont l’élément le plus incisif, déroutant le politique dans d’autres pays, comme en France, ce qui réduit sa marge de manœuvre, créant ce que d’aucuns appellent le «désenchantement de la politique».
Cette remise en cause du binarisme, fondé sur la voie médiane, instituant un troisième terme ou référence politique, c’est justement ce que propose de faire François Bayrou, en prônant le « bon sens », le dialogue des pensées gauche/droite, loin des formatages médiatiques ou d’appareils politiques à l’américaine, qui épousent une stratégie de l’image, du petit mot ou du look, des réflexes doctrinaires du « camp idéologique » et une démagogie qui frise la médiocrité, comme les un(e)s et les autres ont pu le démontrer.
Pourquoi Bayrou fait-il bégayer le système ?
Avec l’entrée en campagne de Nicolas Sarkozy, candidat de droite, et de Ségolène Royal, candidate de gauche, (à qui – signe des temps – les gens de gauche ont demandé de proposer un «engagement à gauche»), en attendant Le Pen, le «troisième homme» des dernières élections présidentielles, qui avait le statut du challenger, et qui se positionne désormais au «centre droit», l’on avait un scénario de base fondé sur des repères traditionnels, avec une possible triangulation Sarkozy-Royal-Le Pen, donc, droite-gauche-extrême-droite. Avec, dans le sillage des un(e)s et des autres, la nébuleuse des tendances de 2 grandes familles politiques. Mais, avec le désenchantement consécutif aux ratés de Royal – dont les erreurs, les qualités oratoires, le flou des promesses, le manque de programme...ont dérouté plus d’un(e) – et de Sarkozy, qui a dit «changer» en cours de campagne (son image de personnalité irascible aurait eu pour effet d’effrayer une partie de son électorat) et avec le «surplace» de Le Pen, dont les idées sont reprises par Philippe de Villiers, voire en partie par Sarkozy (on se rappelle son «La France, aimez-la ou quittez-la», emprunté au chef de l’extrême-droite, de même que ses réponses «On ne coupe pas le mouton dans son appartement», face aux minorités dans l’émission d’Arlette Chabot, ou encore l’idée de l’identité nationale accolée à l’immigration), un autre discours était nécessaire pour aérer la campagne engoncée sous les poncifs et les mélanges explosifs du moment.
L’appel au centre et du centre semblait palpable.
C’est ce que Sarkozy lui-même a ressenti, probablement, en ratissant large au niveau de son discours républicain libéral, voire tantôt hyperlibéral tantôt social (les travailleurs pauvres, s’enrichir en travaillant plus…), citant Jaurès et Blum, héritage que lui conteste Royal, qui, paradoxalement, reprend des idées «autoritaristes» à propos de l’encadrement de jeunes délinquants, ou remet en cause les 35 heures, généralisé par la gauche, manquant régulièrement de ces références à gauche dans ses discours. A tel point qu’hier Laurent Fabius a appelé Royal à investir davantage dans des valeurs de gauche pour contrer le centriste Bayrou, pour le requalifier à droite… En somme, les deux candidats ont eux-mêmes initié ce qu’ils reprochent à Nicolas Bayrou: la «transgression» les frontières idéologiques, rejoignant un discours oscillant entre De Gaulle et Pierre Mendès-France, deux géants qui ont su couper à travers les idéologies, et qui sied tant au candidat béarnais…
Il nous apparaît que cette transgression de la «gauche» et de la «droite» par les candidats du bipartisme démontre que les clivages traditionnels eux-mêmes sont captés dans une «mobilité» des discours idéologiques. Car il s’agit d’éviter le grignotage de l’électorat, de partir à la recherche de votants instables, plus pragmatiques, qui réclament des solutions pratiques à des problèmes quotidiens tels que le logement (presque un français sur deux craint, en effet, de devenir SDF), l’emploi, la formation, la santé…. Dans cette optique d’un choix électoral libéré des diktats médiatiques et des cloisonnements du bipartisme, le credo de Bayrou, de par sa nature intrinsèque d’homme de dialogue, de consensus, gagne de plus en plus de sympathisants devant un débat bipolarisé qui ressemble davantage à un show politique à l’américaine, avec des mises en scène (couleur des habits, mots lâchés pour créer de la symbolique, image maternante de proximité, discours sécuritaire musclé etc etc) qui ont fini par lasser les français qui eux, malgré tout, veulent un vrai changement, après avoir expérimenté la gauche et la droite, et la cohabitation (qui a aussi, paradoxalement, contribué à une culture du dialogue qui est proche du discours de Bayrou). La culture politique récente démontre que l’alternance gauche/droite ne leur donne plus le gage d’une politique à même de pouvoir prendre à bras le corps les nombreux enjeux qui les traversent: précarité, délocalisation, écologie, paupérisation, sécurité, discrimination à l’embauche…
La complexité en politique, source de pragmatisme ?
L’intérêt des français pour le candidat «centriste», mais d’un centrisme «effectif », c-à-d qui n’est pas neutre ou passif, un centrisme articulant les éléments et de la gauche et de la droite non pas sous l’angle traditionnel du clivage et de l’affrontement, mais sous l’angle de l’articulation des éléments qui marchent et à gauche et à droite, doublé du dépassement et de l’urgence de redéfinir la politique au-devant des enjeux de la globalisation, est patent. Bayrou incarne ce désir du politique en ce moment. D’une part, il exprime le besoin de balayer des référents binaires (à moins que l’on considère que le binarisme tel que celui dessiné par Bush, à savoir l’axe du bien contre l’axe du mal ait une valeur signifiante pour le monde livré aux soubresauts de la marchandisation), et d’autre part, Bayrou rend visible une contestation sereine, profonde du système politique français, lui qui assène «le bon sens paysan», loin des froides déclarations des énarques empêtrés dans des contradictions immobilières (voir les révélations du Canard Enchaîné), coupés des réalités des gens ordinaires. L’électorat a saisi que le monde est entré dans l’ère de la complexité en politique sous les coups de butoir des lois du marché et du transnationalisme financier et économique, car il vit la précarité comme une denrée quotidienne.
Le pragmatisme et non le dogmatisme en politique française (marquée par des décennies de bipolarisation, de bipartisme), voilà ce que réclament les citoyens de ce pays, un consensus, comme une sorte d’union nationale devant les nouveaux défis, contrastant, dans ce pays révolutionnaire marqué par l’affrontement frontal de ses chefs, ou des individus avec l’état (voir derniers mouvements des jeunes contre le CPE, par exemple) est perçu, à tort, comme une indécision ou une faiblesse par de nombreux médias et les détracteurs de Bayrou. Cette position fait part d’une singulière mauvaise foi ou d’une cécité coupable, car croire ad vitam aeternam que les français n’ont pas compris que les clivages présentés comme lignes de démarcation de l’électorat «de gauche» ou de «droite» laisse poindre une lecture erronée des changements des électeurs vis-à-vis de leurs dirigeants issus de deux grandes familles politiques.
N’oublions pas que les dernières élections ont précipité un mouvement politique abolissant le clivage gauche/droite, autour du vote transcendant le bipartisme pour contrer Le Pen. Etait-ce là déjà le signe prémonitoire que pour sortir des situations terribles, le pays devait/pouvait se dépasser, comme il semble le faire aujourd’hui en indiquant un mouvement d’opinions favorable à une politique sociale-démocrate, voire de démocratie chrétienne?
Et si c’était une refondation de la politique qui nous est donnée à comprendre dans le lent mais sûr cheminement de Bayrou vers les sommets de l’état?
Bayrou et l’articulation comme mode opératoire d’une nouvelle politique
Toqueville affirmait ceci: «Il faut une science politique nouvelle à un monde tout nouveau».
Le candidat de l’UDF est-il donc en train d’ancrer une nouvelle culture politique en France?
Au vu des éléments de la campagne Royal-Sarkozy, adoubée par la plupart des médias qui confortent le bipartisme de facto dans le débat actuel, sans vouloir (pouvoir?) intégrer ce nouveau référent dans le paysage politique français, il est crédible de penser que Bayrou exprime un changement profond de l’état d’esprit vis-à-vis du politique façonné par le mouvement de balancier, de l’alternance, dans un cadre bipolaire.
Je considère, bien évidement, qu’il ne faut pas sous-estimer les «votes flottants» dans ce mouvement vers le centre. Mais il est de bon ton de rappeler qu’en démocratie moderne, c’est bien cette frange mouvante qui fait basculer une majorité en minorité et vice-versa, tant le pourcentage semble ténu pour faire pencher la balance dans un sens comme dans l’autre.
La social-démocratie (que des observateurs ont qualifié de «ninisme», en rappelant la méthode de Chirac, prônant un point médian qui abolirait toute distinction entre socialisme et libéralisme) résultant des alternances du pouvoir ont démontré que les thèses gauche-droite se sont rapprochées, et que les lignes de partage sont de plus en plus amenuisées en raison des bouleversements induits par le monde globalisé qui balaie les politiques comme acteurs centraux des règles sociales et économiques. C’est avec ces enjeux d’un nouvel ordre que le citoyen trouve préférable de prendre en mains leur destin politique, au-devant de l’immobilisme perçu chez leurs dirigeants. Cela ne signifie pas la fin de l’état, mais une redéfinition de celui-ci, si l’on considère déjà la construction européenne, les règles de l’OMC, les délocalisations, la virulence des flux financiers qui défient même les banques centrales des pays confrontés à la spéculation galopante et aux profits colossaux des groupes et de pays émergeants.
Les français sons conscients de cela, et un discours récurrent se forge : les politiques font des promesses qu’ils ne pourront pas tenir. D’où le désenchantement avec la politique, et le besoin de refonder sa capacité de créer du sens dans un milieu changeant, précarisé, protéiforme.
Et si c’était Bayrou qui détenait le vrai sens de la «démocratie participative», en ce qu’il demande la participation du citoyen non seulement avant, en amont d’un programme à élaborer dans une campagne, mais aussi pendant et après, dans une approche dialogique, de réinvestissement de sens, si nécessaire dans un univers d’anomie sociale et culturelle? Sa campagne est basée sur la proximité simple et chaleureuse, l’écoute, le débat citoyen sans l’appareil des partis surmédiatisés. Bayrou, de plus, articule les lectures diverses, en tenant compte de la complexité des données selon les circonstances en constant flux, dans une sorte d’anamnèse salutaire et permanente de la sphère politique, agrippée au monde complexe qui ne se réduit plus au binarisme traditionnel, ni au figement habituel des idéologies périmées des deux partis majeurs.
La France saura-t-elle trouver en lui le ré-enchanteur d’une politique sclérosée?
Si les dernières élections ont été le choc de l’extrême droite, nous gageons que celles-ci sont déjà les élections du choc du centre.
Preuve que les français progressent vers un besoin de transcender les clivages d’idées traditionnels, car ils gardent en tête les contradictions des familles politiques à l’épreuve du pouvoir, dont un des exemples les plus probants est l’atlantisme de Blair, candidat travailliste, «traditionnellement de gauche», qu’on a vu se joindre à Bush pour imposer la démocratie dans les blindés en Irak, et modèle souvent cité par Royal pour sa politique sociale et économique… Preuve aussi d’un ras-le-bol à l’égard d’une caste qui semble déconnectée des urgences auxquelles les citoyens sont confrontées dans leur quotidien de plus en plus précarisé.
Khal Torabully, AUTEUR