Potomitan

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Commémoration du cent-cinquantenaire
de l'arrivée des premiers travailleurs indiens

2003 en Martinique - 2004 en Guadeloupe

Interview de l'artiste Raghunath Manet

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Semaine Raghunath Manet : Anjali, du temple à l'écran.

Raghunath Manet se produit, du mardi 23 au lundi 29 mars inclus 2004 à 21h, au MK2 Bibliothèque, accompagné de cinq danseuses sur les bandes originales des plus grands films de Bollywood.
MK2 Bibliothèque 128/162, avenue de France – 75013 Paris
Tél : 01 44 67 30 28 - worldsound@mk2.com

Raghunath Manet : «L'amour pur qu'enferme l'art, le bonheur qu'il peut apporter... » Une autre brillante interview de l'artiste à notre site ami Indes Réunionnaises.

Raghunath Manet

Raghunath interviewé en Martinique: l'essence de l'indianité.

A l'occasion des célébrations en Martinique, l'association Surya Kantamani dirigée par Suzy Manyri et le CMAC ont présenté les 30 et 31 Mai 2003 à l'Atrium de Fort-de-France un Opéra-Danse de l'Inde avec Raghunath Manet, accompagné de Indra Rajan, la dernière danseuse de temple vivante, des chanteurs et musiciens tamouls de Pondichéry Veerassamy Ramamurthy, Rajapogal Prema, Kessavassamy Senthilkumar, Munisamy Prasanna, des danseuses de l'école Surya Kantamani, de Consuelo Marlin première danseuse antillaise consacrée de Bharata-Natyam (Bharatiya Vidya Bhavan, Londres) et de Keziah Apuzen, formatrice en danse Odissi au SERMAC.

Raghunath Manet

Raghunath Manet jouant de la Vîna. Le plus ancien et le plus vénéré des instruments classiques de l'Inde du Sud, la Vîna est toujours considérée comme un instrument divin, noble, difficile à maîtriser. Source: site de l'artiste. Sur ce site on peut entendre de la musique de l'Inde du Sud.

Questions de Jean S. Sahaï

Vannakam, Raghunath Manet. Quel est l’intérêt pour vous, un artiste indien si réputé, de venir aux Antilles?

C’est pour moi une façon de retrouver les Indiens qui sont éparpillés de par le monde. Les Gitans parlent de leur peuple comme d’un miroir brisé dont les morceaux ont volé en éclat dans toutes les parties du monde. Les artistes regroupent ces morceaux du miroir. J’ai beaucoup d’émotion à retrouver les indiens qui sont à la Réunion, aux Antilles, récemment j’en ai aussi retrouvé en Nouvelle-Calédonie. Je sais que je représente quelque chose pour eux, qu’ils voient en moi l’Inde à travers son art.

Quelle est votre impression en retrouvant ces descendants d’indiens? êtes-vous choqué par leur devenir, leur façon d’être actuelle?

R.M.: Je ne suis pas choqué. Je suis émerveillé de voir que ces hommes et ces femmes ont dans leur simplicité, dans la courte durée de leurs vies humaines, pu transporter, transmettre, conserver quelque chose de leurs origines, de leur mœurs, de leur civilisation…

Que pensez-vous de la déperdition de la culture au fil du temps?

R.M.: Il ne faut pas en être chagriné. A un moment donné l’homme est destiné à devenir universel. Ce cycle du monde est dicté par Shiva, il est fait de création, de destruction et de recommencement. L’homme a besoin d’être, de se perdre, de se retrouver. Les Indiens sont arrivés ici avec leur indianité, ils la perdent, et ils la retrouvent.

Quelle est pour vous l’essence de cette indianité?

La civilisation indienne dit-on, est la plus vieille du monde. Nous la portons dans nos cellules. Partout où les indiens sont allés, ils en ont gardé la mémoire pendant plusieurs siècles. Grâce à l’art, au spectacle, cette émotion, cette naïveté, se réveillent, et font rejaillir de suite l’Inde qui est en nous.

L’art est donc le moyen de retrouver sa culture?

R.M.: Nous sommes des éternels enfants. L’être ne peut s’épanouir s’il n’a pas trouvé d’où il vient. L’enfant adopté a besoin de connaître son origine, ses parents, son appartenance, pour connaître où il va. Chacun de nous doit chercher son cheminement, sa raison d’être sur terre. Les cultures et les civilisations donnent la structure pour le faire. C’est toute une civilisation qui se reflète dans l’art de l’Inde, ce n’est pas seulement, le yoga, la gymnastique, la gastronomie… C’est tout un trésor.

On parvient ainsi à une sagesse globale, accessible à tout un chacun…

R.M.: Une civilisation est un tout, et elle a tout. Il ne saurait y avoir d’art indien, de cinéma indien, sans rasa. Rasa, c’est la substance, l’émotion humaine. Tout ce qui est en nous peut être exprimé par l’art, peut être provoqué par la sensibilité à un produit culturel. Il n’est pas besoin d’être totalement indien pour apprendre cet art. Ce que l’art demande, c’est surtout une grande discipline, une grande vigilance, et beaucoup de persévérance.

Faut-il craindre que la tradition se perde dans la modernité?

R.M.: Ce sont ceux qui ont le peu qui ont la peur de le perdre… Je suis moi-même de formation très traditionnelle, archaïque même, mais cela ne m’empêche pas de voyager, et de donner une forme moderne à mon art. Plus on possède bien son art, plus on peut s’ouvrir. Je suis là pour montrer les essences esthétiques indiennes, les redonner aux Indiens, et au monde. Je ne veux pas de tradition en boîte de conserve. A chaque génération, de grands créateurs sont venus pour régénérer la tradition, la réexprimer. Ce que l’on connaît est une petite pierre, ce que l’on ne connaît pas encore est une montagne, un océan. Dans mes troupes, on voit se produire des musiciens et des danseurs de générations différentes. Les grands maîtres ont toujours été les premiers à s’ouvrir aux progrès, à la nouveauté. C’est la différence qui fait la richesse. Je danse partout à travers l’Europe, et je vois bien qu’il y a des différences entre l’art italien, l’art danois, allemand, corse, etc.

Comment voyez-vous l’avenir?

Je viens d’une civilisation très ancienne. Mon rêve est de trouver comment conjuguer la tradition et la modernité. Les textes anciens sur l’art indien, comme les Natya Shastra en sanskrit, Cilappadigkram, Manimégalai, Kuttunul en tamoul, disent clairement que l’artiste doit être complet. Il doit être à la fois musicien, danseur, comédien… La grande force de la civilisation aujourd’hui est d’être pluri-culturelle. Elle peut être à la fois indienne, antillaise, francophone… C’est cela la richesse. C’est le chemin qui permet à l’homme de devenir universel. Il est dit dans la tradition tamoule: "Annaiyum Pitavum Munnari Deivam - La mère et le père sont les dieux qui sont devant nous".

Avez-vous un message pour les Indiens, ceux des Antilles, Guadeloupe et Martinique ?

Il ne faut pas avoir peur. Toute chose qui naît doit être dissoute, doit être détruite. On doit se détacher et avancer. Comme on dit en tamoul: “Anbè Shivam” – Shiva est amour.

Raghunath Manet

Raghunath Manet, Source: site de l'artiste.

Raghunath Manet à  France 24


 Viré monté