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Hommages à Antoine Tangamen dit «Zwazo»

Gerry L’Etang

 

 

 

Antoine Tangamen dit «Zwazo», fameux prêtre hindou, détenteur de la mémoire collective indo-martiniquaise, a fait récemment l’objet de deux hommages en Martinique. Son nom a été donné à une salle du collège Jacqueline-Julius (Godissard, Fort-de-France) et à une rue de Basse-Pointe.

Zwazo

Basile Antoine Tangamen surnommé «Zwazo» (1902-1992), commandeur d’habitation à Gradis (Basse-Pointe), était le thésaurisateur des savoirs hindous et indiens de Martinique. Il officia des dizaines d’années comme vatialou (prêtre-interprète) des cérémonies hindoues locales, au cours desquelles sa maîtrise du tamoul (il fut le dernier grand tamoulophone de l’île) lui permettait de dialoguer avec des dieux venus d’Inde lors du rite de divination. Ses compétences en matière d’hindouisme et d’expérience indienne en firent l’informateur privilégié des ethnologues qui travaillèrent sur l’empreinte laissée par l’Inde en Martinique (Jean Benoist, Monique Desroches, Max Sulty…). Il laisse le souvenir d’un maître du sacré, autorité d’un hindouisme créole auquel il consacra sa vie, et d’une mémoire  du vécu indien local.

À l’initiative de Madjanie Leprix, professeur de Langues vivantes régionales (créole) au collège de Godissard, l’établissement a donné à une de ses salles le nom de Zwazo. Cette action s’inscrit dans le cadre d’une opération visant à nommer différents lieux du collège des patronymes de référents culturels martiniquais. La première manifestation liée à cette entreprise a eu lieu le 29 avril 2013. Là, en présence de Josette Manin, présidente du conseil général, des concernés ou de leurs représentants, différents espaces du collège de Godissard on reçu les appellations suivantes: Ti Emile, Jean-Claude Duverger, Hector Chapentier, Khokho René-Corail, Victor Anicet, Antoine Tangamen dit «Zwazo».

Zwazo

Un autre hommage a eu lieu le 4 mai 2013 à Basse-Pointe, devant un public composé de parents, d’amis de Tangamen, de pratiquants hindous, d’habitants de la commune et d’ailleurs.  À l’initiative du maire André Charpentier, la municipalité a inauguré, à l’entrée du quartier Tapis Vert, une rue Antoine Tangamen dit «Zwazo». Une cérémonie accompagnait l’évènement. Elle commença par une allocution du maire, qui souligna l’importance du symbole, alors que Basse-Pointe commémorait le cent-soixantième anniversaire de l’arrivée des Indiens à la Martinique. Pour André Charpentier, rendre hommage à Antoine Tangamen, c’est reconnaître la portée d’un homme qui incarna des valeurs, des pratiques venues d’Inde qui contribuèrent à enrichir la culture et le vivre ensemble en Martinique. Puis il dévoila le panneau portant nom de la rue.

Zwazo

Allocution d'André Charpentier.

Un rite hindou dédié à Zwazo fut alors réalisé au pied du panneau indicateur. Il constitua en un pousè (rite d’offrandes végétales) dirigé par le prêtre hindou Denis Carpin. La voix de Tangamen résonna tout au long du rituel. Passait en effet en boucle la chanson tamoule «Pandaramin», enregistrée auprès de Zwazo par Monique Desroches en 1979 (Compact Disc: Musiques de l’Inde en pays créoles, 1991). Ensuite, l’ethnologue Patrice Domoison intervint pour expliquer le sens du pousè.

Enfin, il me fut demandé de lire quelques passages du récit de vie de Zwazo que Victorin Permal et moi-même avons recueilli entre 1986 et 1990 (des extraits de ce récit ont déjà été publiés, le texte intégral fera l’objet d’un ouvrage à paraître bientôt). Voici ces passages:

«[…] J’ai rencontré le Docteur Benoist il y a longtemps […]. Une fois, il m’a proposé de m’y emmener [en Inde]. Cette idée m’a travaillé. Ah, ça m’a travaillé, je ne pensais plus qu’à ça! Toute ma vie j’avais espéré rejoindre l’autre bord. Je n’y suis bien sûr jamais allé. Je sais que certains prétendent que j’y vais régulièrement et c’est pourquoi j’en parle si bien la langue. Ils disent que je fais comme font les Congos pour retourner en Afrique: en préparant le soir une bassine d’eau, en faisant des prières, des signes, et en sautant en arrière par-dessus la bassine, pieds joints, en prenant bien soin de ne pas tomber dans l’eau, c’est-à-dire dans la mer. Non, ce n’est pas vrai, je ne suis jamais allé en Inde. Et voilà que le Docteur proposait de m’y emmener... J’ai longtemps hésité, passé des nuits blanches à réfléchir. Puis j’ai compris que si je partais, je ne reviendrais jamais. J’avais tellement envie de l’Inde qu’une fois là-bas, je serais resté. Pour toujours. Mais j’avais ici ma famille, mes amis et tous ces gens qui comptaient sur moi pour la Religion. Je ne pouvais les abandonner. Un jour, le Docteur m’a dit qu’il partait bientôt. Je lui ai répondu que moi, je ne partais pas. Il parut étonné puis n’a rien dit. Il avait compris. Nous n’en avons jamais reparlé.

Zwazo

«[…] Quand j’étais petit garçon, j’ai demandé à un vieux coupeur né en Inde de me raconter l’histoire de Mariémen [déesse hindoue]. Il m’a répondu: ça ne sert à rien, tu es déjà mort! Cette parole m’a choqué, fait réfléchir... J’ai rencontré beaucoup d’Indiens qui pensaient comme lui, qui pensaient que nous étions morts, morts en tant qu’Indiens, qu’il fallait donc oublier ce qui nous restait de l’Inde, passer à autre chose. Moi, je ne voulais pas mourir. Mais comment empêcher ça? J’y ai pensé, pensé et fini par trouver: conserver nos dieux, voilà la solution! Mon beau-père m’a par la suite conforté dans cette idée: tant que nous garderons nos dieux, nous ne serons pas morts. Nos dieux sont là-bas, mais quand nous les appelons, ils viennent. Et l’Inde alors vient avec eux. Nos dieux sont l’autre bord de nous-mêmes: ce pays que nous préserverons en nous tant que nous continuerons à  les vénérer.

«[…] Parfois, le soir, je chemine jusqu’au Koylou [sanctuaire]. Là, sous le regard des sélè [statues], j’allume quelques velkou. Les bols à huile reflètent les figures des divinités. De temps à autre, une brise de terre, entrée par la porte restée ouverte, fait vaciller les flammes jusqu’à les étendre. Il faut alors les rallumer… Je reste des heures dans la chapelle, je m’y sens bien. À ces moments, j’oublie toutes ces choses qui encombrent mon esprit et me rappellent à quel point je suis aujourd’hui seul, vieux.»

ban

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