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Gerry L’Etang |
Paul-Henri Ramin est décédé le vendredi 17 avril 2009 en région parisienne, à 39 ans.
J’ai connu Paul-Henri aux cérémonies hindoues qu’organisait son père dans sa propriété du Lamentin, sur la route du Robert. C’étaient des cérémonies guadeloupéennes en terre martiniquaise, réalisées tous les ans par une vingtaine d’officiants menés par Daniel Virin. Au décès de son père, un prêtre catholique ayant refusé d’inhumer celui-ci selon le rite romain, Daniel Virin et son équipe étaient revenus de Guadeloupe honorer sa dépouille d’après le rite hindou. Ce fut le seul enterrement hindou antillais auquel il me fut donné d’assister. Puis Paul-Henri partit s’établir en France, où il s’était fixé pour mission d’accumuler le maximum de données sur les hindouismes de Martinique, Guadeloupe et Réunion, afin de les redistribuer aux fidèles et conforter ainsi des cultes parfois menacés.
Cette quête des armes miraculeuses fut pour Paul-Henri une collecte inlassable. D’abord, il chercha un emploi compatible avec cet objectif et devint technicien chez Otis, à Paris. Il travaillait le week-end en continu, libérant des usagers bloqués dans les ascenseurs. Les cinq autres jours de la semaine, il courrait les bouquinistes, hantait les bibliothèques, les salles d’archives. L’autodidacte qu’il était, s’astreignit à lire l’anglais, le tamoul, apprenant cette langue au contact de la communauté tamoule sri-lankaise de Paris et de notre ami commun, le linguiste indien Appasamy Murugaiyan. Il fit venir d’Inde, d’Angleterre, des États-Unis, des centaines d’ouvrages sacrés et savants relatifs à l’hindouisme populaire de l’Inde et de sa diaspora, du 19e siècle à nos jours, ainsi qu’à l’histoire et à la sociologie des populations concernées. Il traqua sur internet et ailleurs les moindres photos en rapport avec son entreprise. Et se constitua au final, une bibliothèque et un stock iconographique impressionnants. Peut-être la plus importante bibliothèque privée sur ces sujets.
Mes travaux – et ceux de quelques autres ethnologues – doivent beaucoup à Paul-Henri. Il avait réponse à tout, m’évitant des investigations fastidieuses qu’il avait déjà menées. Quelle était la profession traditionnelle de telle caste tamoule? À quel élément mythologique renvoyait tel rite hindou martiniquais qui était sa mise en scène? Paul-Henri, avec érudition, amitié, générosité, livrait la solution. Je me rappelle l’avoir questionné sur un nom de Martiniquais d’ascendance indienne, «Saithsootane», que j’avais cherché en vain dans des listes de patronymes hindous tamouls. Et Paul-Henri de me déclarer, avec le sourire triomphant qu’il esquissait en ces occasions: «C’est la déformation d’un nom islamique: ‘Sahib Sultan’. 10 à 14% des immigrants indiens de Martinique étaient musulmans. La proportion de musulmans était importante dans les convois qui partirent de Karikal, région où ils étaient nombreux».
Les données amassées devaient servir à la reconstitution des corpus incantatoire et mythologique des hindouismes populaires tamouls des Antilles et des Mascareignes. Paul-Henri avait repéré ce qu’il jugeait être les quatre plus importants textes sacrés de ces cultes diasporiques (dont des fragments épars étaient conservés dans les îles), et avait programmé leur édition bilingue: le Mariyamman Talattu (Berceuse de Mariyamman), le Madurai Viran Alangaratc Sindu (Incantation à Madurai Viran), le Madurai Viran Nadagam (Drame de Madurai Viran) et le Pusari Pattu (Chant du Prêtre).
Le Mariyamman Talattu, en caractères tamouls mais aussi latins, traduit en français, fut publié à Pondichéry en 2006, assorti d’un enregistrement sur CD, où un chanteur accompagné d’un orchestre exécute en tamoul le chant intégral de vénération de Mariyamman, déesse tutélaire des cultes en question. Le Madurai Viran Alangaratc Sindu, dédié à une autre divinité majeure, parut en 2008 dans les mêmes conditions, avec complément audio. Paul-Henri finançait sur ses seuls fonds personnels ces réalisations d’un coût considérable. À leur sortie, il se déplaçait en Martinique, Guadeloupe et Réunion présenter ces documents aux communautés hindoues, qui se les appropriaient avec enthousiasme.
L’édition du Madurai Viran Nadagam et de son enregistrement étaient en cours à Pondichéry. Sa parution était prévue cette année. Quant au Pusari Pattu, il devait paraître dans deux ans. Paul-Henri travaillait par ailleurs à une exposition de photographies d’immigrants indiens de Martinique, Guadeloupe et Réunion, qui allait être inaugurée dans quelques mois à Paris avant de tourner dans les îles. Suite à son décès, ces projets sont compromis.
Toute mort est tragique, et celle de Paul-Henri l’est comme les autres. Il laisse une fille orpheline, une compagne éplorée, des parents affligés, des amis esseulés. Mais il y a une tragédie de plus à sa disparition: l’inachèvement de son œuvre. Et puis Paul-Henri était quelqu’un de rare: un croyant issu d’une communauté hindoue martiniquaise petite, fragile, qui avait voué sa vie à retrouver le sens des rites que pratiquaient les siens. Lors de la veillée tamoule à Sainte-Marie, où de nombreux pratiquants de Martinique et de Guadeloupe s’étaient retrouvés pour lui rendre hommage, un vieux dévot martiniquais m’a dit: «Atjelman Pol-Anri pati, ki sa ki rété nou?».
Des Antilles à la Réunion, Paul-Henri Ramin, un passeur de mémoire Jean-Régis Ramsamy
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Voici un texte de Jean-Régis Ramsamy, depuis Saint-Denis, sur la réunionnité de Paul-Henri Ramin. Quoique né en Martinique, Paul-Henri Ramin avait le don de rapprocher les Tamouls de tout l'outre-mer français, ainsi que les chercheurs les plus férus de la question culturelle tamoule.
Paul-Henri Ramin, né du soufre de la Montagne Pelée en Martinique, d'un père descendant d'engagés indiens, vient d’être rappelé par le grand faucheur - il avait à peine la quarantaine. Celui qui allait devenir un de nos plus grands érudits en culte tamoul stimula vaillamment nos danses sacrées aussi bien aux Antilles, qu'à Paris, et jusqu'à la Réunion. Alors qu'il est regretté par le monde indianophile antillo-réunionnais tout entier, voici le récit que nous envoie un de ses amis, indo-activiste comme lui: le Réunionnais Jean-Régis Ramsamy. Ce dernier est par ailleurs l'auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la culture réunio-tamoule. J. S.Sahaï.
Agent d’une société parisienne d’entretien d’ascenseurs (OTIS), P.-H. Ramin se battait surtout pour que l’ascenseur culturel fonctionne. C’est de son domicile parisien à Shelles, qu’il avait lancé ses activités en faveur de la culture diasporique indo-îlienne. La collection d’ouvrages et de documents qu’il avait réussi à réaliser, font de lui le premier collectionneur indo-antillo-réunionnais de livres de Paris.
Ce n’est ni pour exagérer à sa mémoire, ni sous-estimer le travail des autres, mais Paul-Henri Ramin avait cette particularité, ce charisme, qui lui permettait d’être en lien avec tous les projets francophones liés à la mémoire des descendants d’engagés indiens.
Martiniquais, il s’est tellement appesanti sur la culture des ‘Malbar’, culture qu’il possédait très certainement bien plus que beaucoup de Réunionnais. La qualité première de Paul-Henri, restera sans doute, son humilité. Autant il pouvait connaître des personnalités françaises de l’histoire ou de la mémoire de l’immigration indienne (Jacques Weber, Jean Benoist, Snackenbourg, Sully Govindin, Ringou, Valleama, M. Appassamy…) autant il savait partager sans égoïsme l’ensemble de ses acquisitions livresques. Grandement aidé de l’Internet ces dernières années, il avait réussi à se procurer les pièces les plus rares retraçant l’immigration indienne. Le temps, ne comptait pas pour lui.
Saint-Benoît, La Réunion, janvier 2009: Paul-Henri Ramin et Marc Cadivel, président du temple, exécutant quelques pas de bal tamoul à la fête de Pongol. Photo J.R. Ramsamy.
Mais toute évocation de la mémoire de Paul-Henry Ramin serait totalement ratée, si on omettait de mentionner sa principale passion: Le bal tamoul, ou Nardegom (nâdron aux Antilles). Avec sa famille, c’est cette passion qui le retenait à la vie. Ce souffle, il l’avait «chopé» très jeune, et il ne se passait pas une journée sans qu’il distille ici ou là entre deux dépannages d’ascenseur dans la région parisienne, quelques «lagôn», des bribes du bal tamoul.
Il les connaissait pratiquement tous. Du Koussédéven à Harishandran, Paul-Henri les maniait tous, à sa guise. Une coincidence voulut que le dernier bal donné à sa mémoire à St Louis (La Réunion), ce samedi 18 avril, ne fut nul autre que Markandeya relatant la vie d’une jeune homme à la jouvence éternelle. Le talent qu’il puisait pour traiter de cette partie de la culture des engagés, faisait de lui un Grand Maitre. A moins que ce soit un virtuose des Nadegam qui ait occupé son enveloppe charnelle. L’assemblée approuva la minute de silence proposée.
Sa passion, Paul-Henri Ramin ne devait pas la garder pour lui. En 2006, épaulé par un écrivain de Pondichéry, il mit à la disposition du grand public, une traduction d’un célèbre cantique tamoul, le Mariaman Talattu, ouvrage composé d’un CD et d’un livret.
Au début de l’année, il revenait à La Réunion, avec sous le bras une publication sur Madurai Viran. Son premier opus rencontra un vif succès dans l’ile, succès auquel il ne s’attendait pas lui-même. Un réseau militant s’était constitué autour de lui, et très rapidement il écoula ce premier livre.
D’aucuns pourraient penser que Paul-Henri possédait une formation initiale. Non, ce n’était pas un universitaire. Il n’eut pas l’opportunité de fréquenter les bancs d’une quelconque faculté… Mais la connaissance qu’il avait accumulée, et les hypothèses qu’il partageait, faisaient naturellement de lui un vrai chercheur à vocation universitaire. Avec cette capacité d’exploration, sans relâche, il traquait les moindres détails d’une étude ancienne. Des personnes érudites telles Francis G. Ponaman, Gerry l’Etang (historiens), Jean Benoist (anthropologue), Jacques Weber (historien), Murugayaien Appassamy (chercheur, Paris 8), Ernest Moutoussamy, homme politique guadeloupéen – et bien d’autres que nous n’avons pas relevé - l’ont tous cotoyé à un niveau ou à un autre. Enfin à La Réunion, sa passion pour le bal tamoul - en voie de disparition - encourageait régulièrement les derniers vartial, les deniers maitres, Alexis Apave, Patrick Soubaye, David Tolsi, Augustin Valeama, sans ignorer le plus ancien d’entre eux: Lingou… Ses amis réunionnais dépassaient ce cercle, puisqu’il s’est aussi lié d’amitié avec Marc Cadivel, Serge Camatchy, François Imazoute, Daniel Minienpoullé, Christian Vittori…
Paul-Henri Ramin, Réunionnais dans l’âme, était un enfant des Antilles.
Nous pensons qu’il n’est guère exagéré de situer Sri P.H. Ramin dans le sillage d’un Henri Sidambarom, ce fils d’engagé qui mena un dur combat pour le droit des Indiens en Guadeloupe, d’un Zwazo, porteur de mémoire centenaire, disparu il y a quelques années, et d’autres méritants ancêtres….
Jean-Régis Ramsamy
ODI-Réunionnais,
Association pour les Initiatives de la Diaspora
Avec la collaboration de Jean S. Sahaï.
Sur Potomitan
Hindouisme en pays créole : le nouveau Postengon par Gerry L’Étang.