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Léon-Gontran DAMAS

Cent ans en noir et blanc

sous la direction de
Antonella Emina

 

Introduction et premières pages
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Léon-Gontran DAMAS Cent ans en noir et blanc, sous la direction de Antonella Emina • CNRS Éd., Série Génétiques • 2014 • ISBN 978-2-271-08097-4 • 335 pages.

Léon-Gontran DAMAS

Série Génétiques dirigée par Pierre-Marc de Biasi.

Déjà parus:

  • Nicolas Cavaillès, Cioran malgré lui. Écrire à l’encontre de soi, 2011.
  • Sous la direction de Pierre-Marc de Biasi, Marianne Jakobi et Ségolène Le Men, La Fabrique du titre. Nommer les œuvres d’art, 2012.
  • Paolo d’Iorio, Le voyage de Nietzsche à Sorrente, 2012.
  • Jean-Louis Jeannelle, Résistance du roman. Genèse de «Non» d’André Malraux, 2013.
  • Itzhak Goldberg, Installations, 2014.

Cet ouvrage, publié avec la collaboration scientifique de Claire Riffard, fait écho à l’édition par CNRS Éditions des grands corpus de la francophonie dans la collection Planète Libre dirigée par Pierre-Marc de Biasi et Marc Cheymol, et qui compte déjà Leopold Sedar Senghor, Jean-Joseph Rabearivelo et Aimé Césaire. Dans ce cadre, une publication des œuvres de Léon Gontran Damas est à l’étude.

Présentation de l'éditeur

Cofondateur du mouvement de la négritude avec Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor dans les années 1940, Léon-Gontran Damas (1912-1978) est une figure guyanaise charnière, encore méconnue. Poète, homme politique, professeur d’université en Amérique, son oeuvre témoigne d’un engagement contre le racisme et les diverses formes de ségrégation tout en proposant d’audacieuses expe´riences de langage. Plus que Césaire ou Senghor, il s’est intéressé très tôt au problème racial aux États-Unis et se liera d’amitié avec les chefs de file de la révolte afro-américaine dont Richard Wright. Il est l’un des premiers à considérer le racisme à une échelle planétaire. Les témoignages de Maryse Condé et de Daniel Maximin, les études sur ses poèmes dont le célébre «Hoquet», son usage des langues entre le français et le créole, sa forme d’engagement rendent enfin honneur à cet auteur et présentent sous toutes ses facettes une œuvre riche, proche de l’esprit d’un Frantz Fanon.

Un retour sur l’histoire des littératures francophones et la découverte d’un auteur auquel les études postcoloniales donnent un relief particulier.

Antonella Emina, directrice de l’Istituto di Storia dell’Europa Mediterranea (CNR), est spécialiste de la littérature francophone.

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SOMMAIRE

Introduction, Antonella Emina

DES TRACES, DES TRACÉS

Léon Damas, Étoile pigmentée de graffiti, Daniel Maximin

Un solitaire au sein d’une solidarité: la vie de Léon-Gontran Damas, Femi Ojo-Ade

Léon-Gontran Damas aux USA, Maryse Condé

DES POEÈMES, DE LA POÉSIE

«Hoquet»: un poème, le poète et son peuple, Femi Ojo-Ade

«Désirs comprimés d’un bel enfant de choeur». L’entre-dit genré, Kathleen Gyssels

Deux langues, deux voix, un texte: Damas lit Langston Hughes, Isabella Maria Zoppi

DES MOTS, DES SIGNES

Damas et ses langues, le français et le créole ou l’interdit du fruit défendu, Marie-Christine Hazae¨l-Massieux

À l’écoute des Veillées noires, Marco Modenesi

Veillées noires. Le «coeur-de-chauffe» de Léon-Gontran Damas?, Jacques Chevrier

Damas et les nouvelles littératures des Amériques: entre l’oral et l’écrit, Lilian Pestre de Almeida

DE PART ET D’AUTRE

De la Guyane blanche à la Guyane noire, l’éternel retour de Léon Damas, Emmanuel Lézy

Damas: d’ici et là, Antonella Emina

Damas était-il un homme politique?, Biringanine Ndagano

Le rapport Damas, Femi Ojo-Ade

Bibliographie des ouvrages utilisés

Index des noms

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INTRODUCTION

Figure charnière du mouvement de la Négritude et auteur constitutif d’une poétique véritablement américaine, dont la portée n’a pas toujours été relevée par la communauté des littéraires francophones, Léon-Gontran Damas est à l’honneur dans ce volume, résultat de l’effort combiné de spécialistes de renommée internationale, réunis autour d’un projet concernant l’ensemble de son œuvre.

La composition de l’équipe qui signe ce Léon-Gontran Damas. Cent ans en noir et blanc garantit des perspectives multifocales aux quinze études et témoignages qui abordent l’oeuvre du Guyanais. Jacques Chevrier, dont les écrits font référence en France et ailleurs en matière d’études littéraires de l’Afrique contemporaine, a également une longue pratique des contes traditionnels. Maryse Condé, écrivain guadeloupéen, n’a pas besoin d’être présentée, sa réputation étant faite sur trois continents; elle a curieusement été touchée par la poésie damassienne par l’intermédiaire de ses étudiants californiens. Kathleen Gyssels, comparatiste belge, a conjugué ses compétences sur le terrain des études de genre avec son intérêt pour l’œuvre poétique de Damas, dont elle a suivi le cheminement jusqu’à Cayenne, berceau et tombeau de notre auteur. Les positions de Marie-Christine Hazaël-Massieux font désormais autorité dans le domaine des études créoles; elle a été interpellée par le langage damassien. Emmanuel Lézy, géographe averti, a fait de l’Amazonie l’objet de ses explorations et de ses analyses cartographiques ainsi que le sujet de recherches sur le patrimoine traditionnel, voire folklorique. Daniel Maximin, romancier, poète, essayiste, point de repère de la scène littéraire contemporaine, partage avec son aîné Damas l’aventure du passeur. C’est à lui, en premier, à son soutien fidèle, que nous devons la réalisation d’un dossier de recherche très volumineux et qui commence à venir au jour par cette première réalisation. Nous lui devons non seulement le repérage de documents fondamentaux, mais aussi nombre de conseils. Généreusement, il a partagé avec nous sa familiarité avec Damas due aussi bien à l’affection qu’il éprouvait pour l’homme – désormais peut-être quelque peu idéalisé du fait du temps écoulé – qu’à la fréquentation de son œuvre. Marco Modenesi s’impose aujourd’hui comme l’une des voix les plus lucides et actives en ce qui concerne les études francophones en Italie; il se concentre particulièrement sur la littérature caribéenne. Biringanine Ndagano, l’auteur de Nègre tricolore. Littérature et domination en pays créole, mais aussi, en collaboration avec Gervais Chirhalwirwa, du précieux «Vocabulaire de Damas: entre anti-académisme et modernité», dans Léon-Gontran Damas poète moderne, est intervenu dans cette entreprise en tant que connaisseur des thèmes fondamentaux touchant au contexte historique, social et culturel dans lequel l’auteur guyanais a baigné. Le poète et écrivain nigérian Femi Ojo-Ade, qui fait lui aussi autorité pour ses travaux sur Damas, associe la compétence d’un africaniste à celle d’un critique littéraire dans le domaine américain. Lilian Pestre de Almeida, qui a su garder un point de vue brésilien, bien qu’étant expatriée en Europe depuis un long moment, s’affirme comme l’une des figures les plus clairvoyantes et sensibles de la francophonie américaine. Isabella Maria Zoppi est chercheur auprès du Conseil national de la recherche italien et spécialiste en littératures caribéennes de langue anglaise, ce à quoi elle ajoute une compétence et une sensibilité musicales qui lui permettent d’accéder à une poésie qui doit beaucoup à l’oralité. Pour ma part, chercheur dans le domaine de la francophonie littéraire, j’explore depuis deux décennies les archives Damas dans le but de constituer des dossiers génétiques permettant une approche plus complète de ses écrits.

Ce volume est organisé en quatre parties: «des traces, des tracés»; «des quatre poèmes, de la poésie»; «des mots, des signes»; «de part et d’autre».

«Des traces, des tracés» regroupe trois témoignages relevant des signes d’un passage marquant.

Daniel Maximin évoque la figure et l’œuvre de Damas en plongeant son regard dans ses racines, avec une connivence fraternelle. Il suggère comment une personnalité exigeante, souvent embarrassante, ô combien malmenée par la vie, est devenue le diffuseur inlassable de l’œuvre de ses confrères et un découvreur de jeunes talents. Maximin souligne également que le souffle revendicateur n’est pas le passe-partout de l’œuvre du Guyanais, mais que la robuste veine amoureuse traversant son œuvre de création est peut-être la véritable clé de sa relation au monde.

Parcourant les étapes de la vie de l’auteur, Femi Ojo-Ade ne met pas l’accent sur ses vicissitudes, mais transmet des échos de son passage. Il rend justice à la richesse des liens qu’il a tissés avec le milieu littéraire de son temps.

L’impact du poète sur la jeunesse est également souligné par Maryse Condé, qui en a mesuré la portée sur les étudiants américains, très sensibles à sa prise de conscience des affaires africaines.

La poésie a été particulièrement lue par Femi Ojo-Ade et Kathleen Gyssels, dans la section «des poèmes, de la poésie». Leurs études, tout en se concentrant l’une sur le poème «Hoquet» et l’autre sur le recueil Black-Label, touchent des thèmes fondamentaux de l’œuvre poétique de Damas. Femi Ojo-Ade aborde la question de la relation poésie-homme-société, fréquente chez les pionniers de la francophonie littéraire et pourtant loin d’être résolue.

Kathleen Gyssels, quant à elle, s’interroge sur le genre (au sens des gender studies d’outre-Atlantique), en ramenant cette question, souvent chuchotée autour de Damas l’homme, sur un terrain littéraire, à l’intérieur de l’ensemble d’une communauté d’auteurs unis par leur appartenance africaine-américaine. Surtout elle enregistre l’occultement du questionnement autour de «la construction d’une identité genrée» face à l’hégémonie de la «race» et de la «classe».

À ces deux regards s’ajoute l’analyse comparée qu’Isabella Maria Zoppi dédie à la réécriture damassienne de «Let America Be America Again», l’un des poèmes les plus connus de Langston Hughes, offrant un exemple de phratrie littéraire sincèrement éprouvée.

La section «des mots, des signes», qui touche à quelques aspects critiques concernant l’ensemble de l’œuvre damassienne et surtout les contes, s’ouvre sur l’observation tant des interférences des créoles (particulièrement le guyanais et le martiniquais) que de l’utilisation poétique du français.

Marie-Christine Hazaël-Massieux donne des exemples, ordonnés par catégories, d’une forte empreinte surréaliste, tout en soulignant l’«enchantement permanent» d’une langue riche en «chiasmes, allitérations, assonances, parallélismes» et en d’autres nombreuses figures du discours. Les Veillées noires lui offrent un aperçu représentatif de ce que sont les créoles et de leur emploi en tant que langues «utilisées en alternance avec une langue européenne» et en tant que «langues orales».

Bien que sensible à cette richesse linguistique des contes, Marco Modenesi met davantage l’accent sur un certain nombre de thèmes et de structures soulignant les caractères distincts, et même divergents sous plusieurs angles, du corpus d’origine de contes traditionnels oraux, évoqués par le narrateur-auteur dès l’introduction du recueil lui-même.

Ce même recueil est saisi par Jacques Chevrier comme une reconstruction de l’univers créole et non comme l’accomplissement de l’intérêt du Guyanais pour l’Afrique et pour ses manifestations littéraires traditionnelles – bien que notoires fussent ses échanges avec le sénégalais Birago Diop, futur auteur des célèbres Contes d’Amadou Koumba.

La place de cet ouvrage à l’intérieur de l’ensemble des contes traditionnels, place remarquée également par Modenesi, ramène aux Veillées les considérations que Lilian Pestre de Almeida réserve aux poèmes, quoiqu’on puisse considérer de manière métonymique le «poème» comme un emblème de l’ensemble de l’œuvre littéraire de Damas. Almeida, se concentrant sur l’analyse des deux anthologies damassiennes, explore les rapports entre Damas et les nouvelles littératures d’Amérique. Elle en retire la proposition d’une poésie noire, inscrite dans la trame d’un tissu littéraire propre au Nouveau Monde et à la poésie de langue espagnole et portugaise, où la «coupure entre oralité traditionnelle et courants érudits n’a jamais été radicale». Almeida permet à Damas d’occuper sa place au cœur d’une poétique partagée, qui ne se contente pas de l’ancrer à l’Amérique latine, mais le lie aussi aux États-Unis, pays de formation d’une conscience des peuples noirs, unis par une dévaluation de leur humanité due à l’esclavage et au colonialisme. Cette infirmité contribuerait contingentes pour les transformer en un souffle créateur.

Ancrer un poème dans la terre, en apparence bourbeuse mais au fond fertile, de l’oralité permet au poète de (ré)instaurer une cohérence interne à sa culture. Le poème écrit rejoint alors une tradition natale, tout en restant libre de tenter toutes les aventures de la modernité.

De cette tradition émerge une représentation de la terre-Guyane qui «s’emboîte» dans la description offerte par Retour de Guyane, dont elle est l’exact opposé. C’est l’un des énoncés principaux de l’analyse d’Emmanuel Lézy, la première étude de la section «de part et d’autre». De plus le géographe met en évidence les «vertus géographiques» du recueil de contes comblant «les manques de la géographie du Retour», qui pourtant cite incessamment des lieux guyanais.

Sans doute l’originalité et la richesse de cette étude sollicitent-elles de nouvelles démarches critiques à l’égard de notre auteur et, en premier lieu, l’étude qui la suit, signée par Antonella Emina, où le thème délicat de la relation de l’auteur à la terre, à la patrie et à la demeure est abordé en interrogeant des mots mineurs de la langue: les adverbes de lieu «ici» et «là-bas». Leur profil syntaxique et fonctionnel particulier ainsi que leur renvoi à un lieu nécessairement provisoire appuient l’instabilité sémantique d’une écriture dont l’hermétisme est désormais accepté.

L’action du politicien, telle qu’elle ressort de son œuvre en prose, est abordée par Biringanine Ndagano, qui se pose une question capitale à l’égard d’un auteur ayant vécu entre la colonisation et la décolonisation et dont la disposition envers son temps n’a pas permis de comprendre s’il a subi son époque ou bien s’il l’a pragmatiquement prise à son compte.

Enfin, une lecture de l’ensemble des interrogatoires menés par la commission chargée de s’occuper des événements de Côte d’Ivoire (1949-1950), dont Damas était le rapporteur, complexifie la position de Femi Ojo-Ade, qui d’une part devient lui-même le modèle du jeune lecteur africain séduit par la personnalité du polémiste et du messager de la Négritude, mais de l’autre ne peut se passer de relever certaines positions quelque peu contradictoires du Damas politicien et ce particulièrement à l’égard de l’Afrique et des relations interraciales.

La bibliographie et l’index des noms compléteront cet ouvrage. En cohérence avec les exigences critiques déployées par ce volume, l’apparat bibliographique ne contient que les ouvrages employés pour sa préparation. Il est, donc, strictement fonctionnel. Cette ligne a été appliquée aussi aux textes damassiens, dont la liste n’est pas à considérer comme une bibliographie exhaustive de l’auteur mais bien plutôt comme le réseau des références de cette publication. Par principe, en l’absence d’éditions critiques des œuvres de Damas, le choix a suivi la logique de la dernière édition publiée du vivant de l’auteur. La citation de quelques éditions plus anciennes est due au fait que parfois les essais critiques ont recours aux étapes de l’écriture qui leur ont paru appuyer ou réfuter une thèse.

En somme, ce volume, riche en suggestions diverses, se veut une étape sur un chemin de recherche et une nouvelle preuve de la constance dans l’exploration d’un auteur et d’une œuvre dont le dynamisme communicatif se révèle propre à susciter des réponses à des sujets multiples concernant l’homme contemporain et sa position dans le monde.

boule

 Viré monté