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Kébek

8 mars:
fil conducteur de la tension entre les deux sexes opposés

Le franc dialogue qui fait appel à une entente
Entretien exclusif réalisé avec Jean Rony Lubin

Marie Flore DOMOND
 

Jean-Rony Lubin

Jean-Rony Lubin
Réalisateur du film : TOUCHE PAS À MON HOMME
Ancien animateur des stations de radio Vision 2000 (Haïti)
et CPAM 1610, AM (Montréal)

«Dis la vérité le matin, le soir tu seras libre»
(Proverbe africain)

Quand on parle de célébration, on se réfère à une réjouissance attachée à des événements heureux. La commémoration, par contre, témoigne des circonstances dramatiques, des malheurs, des catastrophe et fléaux qui ont laissés des cicatrices profondes. Le Mois de l’Histoire de Noirs, le 11 septembre, le jour du souvenir pour ne citer que ceux-là, sont des dates d’affliction. Toutes ces causes épineuses, ces défaites, assignés aux plus faibles autant qu’aux braves, ces entraves humaines implantées dans la mémoire collective et que chacun se doit de contribuer à leur amélioration me sont périodiquement insupportables.

La journée internationale de la femme quant à elle, est pour moi une conjoncture à caractère très spécial, Et je comprends mal qu’une seule journée soit accordée à cette cause, puisque commémorer c’est aspirer à un meilleur sort, une situation plus favorable. Plusieurs lecteurs m’ont déjà reproché de m’éterniser sur un seul versant les problématiques qui tiraillent l’homme et la femme. En cette occasion, je cède la parole à un homme qui semble avoir des points de vue assez équilibrés sur le sujet.

Jean Rony Lubin n’est pas seulement un personnage qui œuvre dans le domaine de la radio diffusion. Je dirai que c’est un être de communication qui vise plusieurs domaines dans le but de faire passer ses messages. Le théâtre, le cinéma, la radio sont ses principaux tremplins. Prêtons donc attention à ses commentaires.

Monsieur Rony, que pensez-vous de la Journée internationale de la Femme?

C’est une journée qui a été instituée pour sensibiliser ceux qui exercent le mauvais traitement, disons la violence sur les femmes.

Pensez-vous que c’est seulement la violence qui est à la base de cette journée de revendication, de réflexion?

Cette journée a bien sûr d’autres connotations. Mais la première chose qui me traverse l’esprit dans le cas de cette manifestation, c’est la violence. Dès mon jeune âge, j’ai été témoin de la violence que mon père faisait subir à ma mère.

Voulez-vous nous témoigner de cette ambiance d’agressivité qui régnait dans le foyer?

Nous sommes trois frères dans la famille. Mon père vivait en union libre avec ma mère, et il avait d’autres maîtresses. Souvent, j’ai vu mon père violenté physiquement et psychologiquement la mère de ses enfants. Il nous arrivait de nous interposer et de lui montrer que n’approuvons pas son attitude. Étant donné que le voisinage estimait que c’était quasiment normal qu’un homme batte sa femme, notre mot ne pesait pas fort dans la balance. La violence conjugale est particulièrement instituée en Haïti à cause justement de l’irresponsabilité des autorités judiciaires face à cette situation.

Croyez-vous qu’instituer cette démarche a été une initiative propice à un rapprochement progressiste entre les deux sexes?

Je reconnais que la révolution féminine est une position extrémiste. Mais elle est justifiable. Tout être qui se sent menacer, qui se considère en danger est en droit de se protéger contre son agresseur. Maintenant qu’on a atteint le point de non retour, il suffit de trouver un juste milieu.

Quand vous faites la part des choses, où situez-vous l’origine des mésententes entre l’homme et la femme?

Considérant que la femme a longtemps subi plusieurs formes d’oppression de la part de l’homme, Ce dernier n’est pas en avantage numérique. En ce qui concerne la violence faite aux femmes, l’homme a 100% tort. A titre d’exemple, le meurtre de Ginoue Mondésir est définitivement inacceptable. Cependant, on a une belle leçon a tirer de Nelson Mandela. Quand il était sorti de prison, il avait fait une déclaration très touchante. Et ces propos se résumaient de la sorte: «celui qui veut avancer ne peut se permettre de perpétrer les torts infligés par ses oppresseurs.» Autrement dit, qu’il ne faut surtout pas prendre exemple de leur mauvaise leçon.

D’après vous, quelles répercussions le mouvement féministe a-t-il sur les hommes et l’ensemble des sociétés?

La question est très vaste. Sur le plan familial, le mouvement extrémiste, je le répète a eu un effet déstabilisateur sur le conjoint, l’époux, le compagnon. Je tiens à préciser toutefois, qu’il existe des hommes qui sont demeurés ouverts, démocrates et qui ont toujours laissé la place nécessaire à la femme pour s’ajuster dans son inconfort. Il y a des coupes qui vivent dans le respect mutuel.

Plus haut, vous avez quantifié le niveau de la responsabilité de l’homme dans l’enclenchement de la révolution féminine. A présent, j’aimerais savoir quelle est votre position par rapport à la violence conjugale?

Ce n’est pas un hasard si j’ai décidé de soulever le débat à travers un métrage. Je ne sais pas si vous avez prêté attention, au début du film, je l’ai dédié à ma mère maintenant disparue. Je voulais attirer l’attention, sensibiliser, conscientiser les hommes sur le sujet concernant les femmes opprimées, battues, violentées afin de faire changer la perception globale vis-à-vis des femmes.

Honnêtement, comment réagissez-vous face à une femme quand vous êtes en colère qui est en fait un comportement humain contrôlable?

J’avoue que j’ai horreur de la femme qui pique des crises sans préalablement exposer ses malaises. Cela étant dit, je crois sincèrement avoir développé chez moi une prédisposition à ne jamais connaître l’erreur de lever la main sur une femme. À ce niveau, je n’ai rien hérité de mon père qui était par surcroît alcoolique. Soit dit en passant, l’homme qui manifeste de la violence l’est de façon innée. Le facteur de l’alcoolisme ne fait qu’empirer les choses. J’ai canalisé le choc d’avoir été témoin de violence en une forme de militance. Je ne veux nullement répéter les erreurs de mon père. Ma mère n’a jamais projeté aucune violence sur nous alors que étions témoins de son sort. Malgré tout, elle est demeurée une femme joyeuse, ouverte qui s’est beaucoup impliquée dans notre éducation. C’était un être exceptionnel qui nous a légué une belle preuve d’amour.

Jean-Rony Lubin

La plupart des femmes se plaignent d’être victimes de tous les assauts imaginables concernant leur époux, leur conjoint. Alors qu’elles élèvent leurs enfants de sexe masculin de la façon la plus traditionnelle que possible. N’est-ce-pas d’après vous la source même qui fait perdurer le problème?

Vous avez tout à fait raison, la contradiction est frappante. On s’entend pour dire qu’en grande partie, l’éducation inculquée aux jeunes qui sont appelés à devenir des adules de demain est inadéquate. Et là la femme a sa part de responsabilité dans cette espèce de contradiction. Elle doit comprendre qu’on ne peut pas changer les choses en dehors sans mettre l’accent dans la cellule familiale.

Je crois que stratégiquement parlant, la cause de la révolution féminine n’a pas été attaquée à sa source et c’est ce qui constitue sa principale faiblesse. On ne peut trouver aucune solution sur la base de la vengeance, la méfiance ou la reproduction des erreurs de l’autre. D’autre part, il existe tellement de pressions environnementales qui forcent la femme à croire qu’elle doit être soumise que la cause à du mal a se trouver l équilibre souhaitable.

Selon la convention masculine, l’homme ne doit ni montrer, ni démontrer ses sentiments. Il vit tout intérieurement. Cette culture ne développe-t-elle pas un côté insensible vis-à-vis du sexe opposé?

Toutes les sociétés entretiennent des stéréotypes, des préjugés qui désavantagent la position de la femme. En somme, cette attitude n’est pas dans l’intérêt de personne. Car plus on compte des formes d’oppression, plus il y a de la frustration et en revanche, plus de revendications également! Je suis toujours prêt à mettre un bémol sur la tendance à généraliser. Jusqu’à un certain point, l’homme transmet ce qu’il a reçu comme éducation. Et on ne peut pas offrir ce qu’on a pas.

A votre avis, jusqu’où la jalousie occupe une place saine dans la vie amoureuse puis qu’elle en est la cause de bien des déboires?

Je suis d’avis que tout être humain est jaloux. La jalousie raisonnable se manifeste tout d’abord intérieurement et finit bien souvent à s’extérioriser mais sans violence. Quand on se rend compte qu’on déborde la limite acceptable, il faut se soigner.

Avez-vous l’impression comme beaucoup d’autres hommes le pensent que la femme s’est transformée en «sensu» dans des cas de séparation ou de divorce?

C’est une situation complexe. Personnellement, je n’ai pas vécu la situation et je ne veux pas me prononcer à la légère. Par contre, je crois que si la femme veut donner plus de crédibilité à la cause, elle doit se montrer extrêmement lucide. Le mouvement finit par encaisser chaque faux pas, chaque geste incompatible au bien fondé de la cause. Au bout du compte, ce serait dommage que l’image du mouvement soit ternie. D’un autre côté si l’homme s’engage fermement à assumer ses devoirs parentaux, la femme n’aura pas à prendre des moyens sournois pour se défendre.

Pensez-vous que dans une relation de couple conflictuelle, l’homme force trop sur son pouvoir masculin et qu’en revanche, la femme abuse de ses droits légaux?

De nature, la plupart des hommes sont autoritaires. Ce sont des êtres qui veulent constamment s’imposer, dominer l’autre. Et c’est justement ce rapport de force poussé à l’extrême qui a engendré le mouvement féministe. Tout le monde peut faire des erreurs, c’est sûr, mais je pense que l’homme devrait faire plus attention à ses faits et gestes à l’égard du sexe opposé. Il devrait être conscient quand il va trop loin de faire marche arrière et demander pardon.

Ne tombez-vous pas dans l’idéalisme pure et simple monsieur Lubin à ce niveau?

Je ne crois pas du tout que ma vision soit utopique. Tout homme qui respecte sa mère peut facilement obéir à cette loi. Il peut se sentir coupable, qu’il a tort. Le problème, c’est que la société banalise cet état de chose.

À qui incombe la tâche de dissoudre les stéréotypes dans une société, les institutions ou les parents?

En ce qui concerne le mouvement féministe, la femme haïtienne a beaucoup évolué mais la plupart des hommes n’acceptent pas la situation. Ils veulent maintenir la tradition, les valeurs culturelles. Conséquemment, les deux transmettent leur propre valeur à leur progéniture et cela crée une sorte de discordance au niveau de l’éducation. Quand au niveau institutionnel, les dirigeants devraient attaquer le problème à sa source, c'est-à-dire prôner une éducation qui ne favorise pas la domination de quelque forme que ce soit!

Comment concevez-vous l’équité entre l’homme et la femme?

Je le perçois surtout sur le plan du respect mutuel. La relation d’égal à égal n’est surtout pas à prendre au pied de la lettre. Car biologiquement et physiologiquement l’homme et la femme sont différents. Je pense qu’il ne faut pas empiéter sur le pouvoir de l’autre. Imposer l’obéissance à la femme mine la relation plus qu’autre chose. J’opte pour la complémentarité. C’est ça en réalité qui permet le bon fonctionnement d’un foyer.

Pensez-vous que l’homme assume le même rôle parental qu’autrefois?

Tous les hommes ne réagissent pas de la même manière face l’émancipation de la femme. Certains hommes agissent en bon père de famille.

Quels sont les points faibles du mouvement féministe selon vous?

La démarche en soi est louable. C’est surtout le mécanisme, le fonctionnement qui laisse une impression que la révolution a été mise en marche pour une sorte de vengeance, alors qu’à la base, c’est la notion de l’éradication du mauvais traitement qui devrait primer. A mon avis, tout à été dit et tenté à ce propos mais l’essentiel n’est pas touché.

C’est quoi l’essentiel pour vous monsieur Rony?

Je vous le répète, on ne peut pas donner ce qu’on a pas. Les nouvelles générations reproduisent les valeurs qui leurs ont été transmises. Tout passe par la culture et l’éducation.

Dans les cas de conflits, les enfants deviennent des cibles de chantages, surtout économique. Pensez-vous que c’est une stratégie immorale des parents à l’égard de leur progéniture?

Quand l’enfant est témoin des scènes où un parent accuse l’autre de tout et de rien cela a pour effet de le déstabiliser. Les contradictions, les chicanes entraînent souvent des traumatismes. Il devient alors un être hostile capable de se livrer à des activités subversives.

Les hommes se rallient de plus en plus et forment leur association à différentes nivaux, entre autres d’hommes battus. Que pensez-vous personnellement de cette démarche masculine?

Toute organisation qui peut favoriser le dialogue est une bonne chose. C’est un signe que les hommes ont compris que quelque chose ne tourne pas très rond dans leur rapport hétérosexuel.

Les associations des femmes ne sont pas tout à fait enthousiastes à l’idée de fusionner avec les associations du sexe opposé. Elles pensent qu’elles ont leurs priorités distinctes. Étés-vous de cet avis?

La femme ne devrait pas considérer l’homme comme son ennemi. Si réellement sa cause se base sur la non violence et l’harmonie, se retrouver sur une table de concertation avec l’homme le conscientiserait davantage.

Si vous aviez le pouvoir d’apporter des correctifs dans la relation homme femme, que souhaiteriez-vous transformer radicalement?

Si j’avais le pouvoir, je changerais la perception de l’homme à l’égard de la femme. Des préjugés du genre l’homme est supérieur à la femme, c’est un être à dominer.

La soumission a-t-elle encore sa place dans la démarche de sauver la vie conjugale d’un couple?

Le respect mutuel et la complémentarité suffisent pour consolider un couple. Autour de la soumission, il y a la manipulation. L’effet de créer une psychose de peur afin de maintenir l’autre dans l’oppression. Personnellement, je crois que la soumission n’est pas un aspect trop fiable. Beaucoup de gens font semblant d’être soumis vous savez! Quand on pense à la pièce « L’ÉCOLE DES FEMMES de Molière, c’est un solide argument monsieur Rony.

Quel est votre avis par rapport à l’infidélité autant pour vous que pour un partenaire?

L’homme a beau promettre ce qu’il veut, il demeure un être de défit. Honnêtement, je ne crois pas à la fidélité à vie. Il existe en l’homme un petit côté insatiable. L’homme souhaite toujours avoir la femme la plus chaude qui l’empêche d’aller voir ailleurs. La femme quant à elle, succombe à l’infidélité par l’effet du vide que son partenaire ne comble pas, la solitude. En tout cas, il est plus facile pour un homme d’être infidèle qu’une femme.

Je croyais qu’une femme qui se montre chaude faisait fuir l’homme par la force des stéréotypes, monsieur Rony!

Ce préjugé ne s’applique pas à tous les hommes madame Domond.

Avez-vous un message à passer aux femmes face à la violence dont la plupart sont affligées ?

Je leur dirai que dans les cas d’agressions physiques ou autres, de ne pas menacer leur conjoint de représailles. Le risque devient alors trop élever. Et beaucoup de femmes se retrouvent victimes de cette situation lorsqu’elles sont attaquées. Ce moyen est selon moi inefficace. Quand vient le temps d’agir, il faut agir sans prévenir l’agresseur en question.

Je vous remercie Lubin de m’avoir accordé cet entretien. – Tout le plaisir est moi.

Marie Flore DOMOND

Jean-Rony Lubin