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Recueillements

Saint-John Kauss

RECUEILLEMENTS
    

                                                                                                            à ma mère

«Les oiseaux ignorants poursuivent leur chemin
et nous, très humblement, le poursuivrons aussi,
la neige de l’hiver blanchira nos cheveux
et la rafale glacée blessera nos tempes.»
                         (Pablo Neruda, Cahiers de Temuco)

 

 

 

 

Ludovic Booz © Nader Galerie

Dominique Fontus

 

ossature d’Ève pardonnée par la chair                        ô ma sultane aux épaules larges de rêves

 

d’instables poèmes où pose ma mère acrobate de l’île           mère d‘enfance cherchant bougainvillées et roses sans épines pour ses enfants terrassés des bouges

 

tout amant mon père aimant du corps humain demoiselles et jolis cous maniant l’arnaque et le baratinage des désirs l’acte osé d’Éros et la fécondité des thuyas

 

ma mère femme d’une même lettre et d’un seul homme aux affres de l’ancêtre        bouteille à la mer auprès des barricades           

 

d’aimer sans se soucier de l’aveugle qui braille dans les arcanes de l’abeille            
mais rêves de reptile et serpenteau mobiles passagers d’une rousse divinité sans bornes

 

mère tu fus l’alizé de l’avenir          la pluie chaude de mes étés              
de t’aimer nasse de mes nuits au nord des scribes de l’énarque
je me revois enfant maquillant les ménarches

 

et je nous revois à vau-l’eau tranquilles dans nos sorties d’opale               sans mon père préoccupé au gré des aires de combat
je nous revois dans la cour des grands aux somptueuses fêtes des orchidées

 

mais d’où vient l’amour d’un prince sans peur pour la Reine-mère                 sa reine des quatre chemins et de tous océans qui mènent au bout de l’aventure
d’où vient le chant qui ne sera pas d’accord avec le rut des pierres mais un chant d’accord pour les petits et les coquelicots

 

quelques minutes de réconfort en privé dans un délai apprivoisé à mon égard ô mère de joaillier des mots -------------- térébinthe
d’une rose sans rets ni épines

 

qui ne rêve pas de retrouver ses feux follets d’enfance
de retracer dans la mélasse en feu les vèvès des jours pincés d’amitié
qui n’en rêve pas
qui ne dors pas

 

j’ai connu l’exil enfant d’un homme errant sans équivoque                enfant d’un père poète avant Vilaire mais qui aimait trop l’ubac et la mer

 

j’ai écouté des fleurs géantes de ce pays          grands dons au bond massif des récoltes           communistes de cœur pour les changements à venir       éternels étudiants saluant les pages et les avenues pleines                     écrivains et poètes pilonnant les nuits et les méfaits de l’ombre        

 

brève ô mère la chute soumise à notre première défaite mais prolongée depuis le départ de mon père éternel prédateur des féminins cœurs                homme d’élocution et d’affrontement depuis la rentrée des cigognes

 

 

et dire que tu es là aujourd’hui ô mère
en sursauts de souhaits pour tes enfants à demi-endormis
dans les phonèmes

 

et dire qu’il est écrit que le poème
ton poème
comme une alerte
revient à la douleur

 

mais s’il aurait fallu
que l’angle de ton ombre traverse l’étale présence du vide
ce vide de la mémoire de l’homme aimé
nommant l’amour et la victoire où il passe
l’éclair de ses paroles aimantes
redites à l’imposture des pierres de vertige
oui nous avons franchi mère l’aire requise
faufilé entre les doigts du temps et du mensonge

 

nous avons sans doute
en chacun de nous le vers d’immensité
qui unit le cœur épuisé

 

Sainte-Thérèse (Québec), 08 octobre 2008

Viré monté