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Le Post-Modernisme

de Saint-John KAUSS

Par

Jean-Claude Fignolé

 

 

 

Saint-John KAUSS

Au risque de choquer plus d’un, j’avoue préférer et de beaucoup, l’imaginaire de René Philoctète à celui de Magloire Saint-Aude. Etant entendu que René prolonge une tradition poétique qui éveille en moi des échos s’accordant à ma sensibilité plutôt que de me poser des énigmes m’appelant à des déchiffrements de sens comme m’y invite l’auteur de Dialogue de mes lampes. Classique ou romantique attardé, je chemine, loin de toute fuite en avant dans les mots, hors signification, telle imposition de l’excentrique et du non-dit revendiquée par le Modernisme. Et par son succédané, le Post-Modernisme.

J’ai vécu naguère, la Poésie Moderne comme une faillite, celle de l’inspiration, provoquant sinon la ruine du moins la mutilation de la sensibilité. Attentat? Sacrilège? Se garder de dire clair par défaut de sentir cautionne l’impuissance à dire. La liberté dans l’art, excuse facile accordée préalablement à la révolution dite romantique, envisagée aussi plus tard comme la conséquence d’un «inconscient débridé», me paraît castration réductrice. Fermer les mots à toute construction de sens, ou presque, revient à bloquer leur ouverture (celle du texte) au monde. En les condamnant à ne pas dire le monde.

Or, dire le monde est essentiellement vœu d’homme. Affirmer le soi en devient incitation à rencontrer l’autre. Rencontrer l’autre se veut exercice de découverte. Un apprentissage, une connaissance, à la limite une reconnaissance. Dans l’entendement (la complicité) d’une histoire intime gageant celle d’une aventure multiple. Multipliée. Le narré s’apprêterait exaltation d’une nécessité par quoi s’invente la poésie à partir d’un dire fantasmé. Fantasmatique.

Il est sans doute possible de se dire en territoire post-moderne. Mais se dire, là, culmine en d’incohérents aveux. Une anarchique volonté d’accrocher l’entendement du monde à la «gesticulation» du verbe, l’égayement extravagué d’éclats, de sonorités métalliques qu’un manifeste délire, sous couvert d’apparats langagiers, catalogue, pis, évidente, élans métaphorés.  A tout prendre une panoplie de vertige, immense sensation de vide, de perte de soi au travers d’un exhibitionnisme verbal pas toujours exempt de mauvais goût.

Voilà pourtant que Saint-John Kauss me suggère que je me trompe. Son Post-Modernisme, à lui, ne serait pas une voie de garage à la débilité du talent ni à la déconfiture de l’inspiration, mais l’issue possible à des retrouvailles avec la Poésie dans sa formulation, dans son identité première, le cri. Dans sa manifestation primordiale, le jaillissement. En d’autres termes dans son …essence. Y souscrire, c’était prendre des risques, mettant mes pas dans ceux de Kauss, pour une prospection de son Opus poétique. Le risque de me perdre, à sortir de mes certitudes.  Le risque, surtout, d’affronter ses convictions à lui. Les affronter dans leur géographie particulière, espace exclusivement jouissif de mots qui lui sont passion. Et qui, par leur entregent, me sont invite. Entrer dans la danse des phrases. Vivre leurs transes comme un antidote contre le pessimisme d’une interrogation.  Comment être poète hors le sens lié des mots, hors la capacité signifiante des images? La réponse, avant de tomber, amène à une autre interrogation dès les premiers recueils. Lier les mots pour leur donner un sens, apparier les images à un sens que, peut-être, elles n’ont pas, ne serait-ce pas déposséder la poésie de son inédit, de son particulier et si privilégié sens à elle, en lui déniant le droit à être?  Par un besoin, une tentative, un effort de l’assujettir à une rationalité extérieure, comprendre, alors qu’à priori elle génère son propre sens? Porteuse intrinsèquement de sens, elle est sens de soi? La poésie, de toute éternité, est par elle-même. Donc suffisante à soi? Dans la magnificence des aubes comme dans les lamentations du cœur.

Bien malgré moi j’en viens, tel pouvoir  de suggestion du phrasé poétique de Kauss, à établir, à légitimer une ontologie de la Poésie qui renverrait au vœu des surréalistes. Atteindre à l’essence. Dire l’essence. Aussitôt, éventer, lever un paradoxe. Appréhender l’essence avec les mots qui sont la chose la plus sensible depuis l’incroyable outrecuidance  de la métaphore originelle. «Le verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous», n’est ce pas objectiver la poésie, plutôt qu’elle soit quintessence, la rendre opérationnelle, à toutes fins utiles, l’avaliser «main-mise du réel» (S.J.K, in Archidoxe Poétique)?  Accorder aussitôt parole au poète. Ou plus exactement à sa poésie, lui donner droit, quêtant sa «valeur essentielle», sa franchise (telle obligation d’opérer) à être confrontée avec ce qu’il en dit tant sa passion des mots s’ingénie à être explicitation de réflexes, de l’intention Poétique, pour répéter Edouard Glissant. «Le poème s’identifie à la vivification des mots, des lignes, des voyelles... Le poème devient vie». (In Archidoxe Poétique). Transmutation? Dès lors le destin du poème est de s’éclater, de prospérer dans un au-delà des mots qui le convulsent infidèle à son propre discours, le révulse anti-parole, parce que rebelle, aux lieux mêmes du langage courant.  L’important ne se ramène plus à dire (narrer) mais à s’entendre dire. L’écoute de soi donne au poème son identité. Par delà, son intensité. Le fonde Poésie dans sa double fonction originale: dire, être dit.

Ecouter, entendre donc Saint-John Kauss dire. Se dire. Ne confesse-t-il pas être possédé «de la passion de dire»? (In Archidoxe Poétique).Qu’à sa façon, loin de toute contre-façon, il s’assume poète, héritier de traditions dont le devenir aura été ici, ailleurs, d’enfermer le monde, celui de soi, celui d’autrui (réceptacle et finalement destinataire), dans le surgissement de l’insolite du Verbe. Les mots définitivement consacrés Parole élue. Qu’est-ce que la poésie sinon l’élection des fantasmes d’auteur dans ses territoires d’oubli? L’oubli s’imposant capacité de nier des mondes pour les transmuter Un. Dans l’évocation, haut-lieu d’influx poétiques par excellence. Par la nostalgie, imposer, magnifier l’élision, l’ellipse, la métaphore, ces aléas du non-dit, de la privation d’être au monde, qui honorent, colorent l’absence, tissent le songe, le façonnent, l’impulsent, en le convoquant, à reconnaître toute présence autre. A lui infliger, absent au monde, d’être présent au Poème.  D’être sublime déchirure. La Poésie, sang du monde? Le Poème, chant de l’homme!

Par enchantement, des entrailles de l’homme monte le cri. Un appel de soi. Un appel à être pour assauter l’Etre  du monde. Faire en sorte que la Poésie soit un appareil à subversion. Du langage comme des émotions. Des structures de l’image comme des appointements du sens. Du réel comme du  rêve. Il ne s’agit pas de comprendre ni, en quête de sens, d’interpréter mais d’entendre. Peut-être même d’apprendre à entendre. Les mots choquent, s’entrechoquent, leurs sonorités appelant à des vibrations, à des résonances intérieures chez le lecteur. L’écho sonore n’est plus le poète comme le proclamait Victor Hugo mais lui, lecteur, investi du droit de répercussion, d’amplification. Les mots carillonnent en lui. Il chante avec eux, s’incante, terrassé d’une joie qui l’amène à une pure jouissance. A une sublimation du plaisir telle que, à l’instar des dieux, il se métamorphose. Il lui vient d’écouter, de reprendre, d’orchestrer, des accents qui tremblent d’arriver d’un ailleurs ou leurs sonorités s’amalgament à des lueurs claquant comme des oriflammes. Il les voit littéralement flamboyer d’une page à l’autre, courir après leur sens. Un sens trouble, troublant à force d’être chargé de possibles fulgurations comme s’il était l’endos de la multiple splendeur du monde.

Vraiment, il ne s’est point agi pour moi de comprendre mais d’entendre. Dans cette traversée du recueil, un voyage hors de moi, l’oreille interpelle toute sensation qu’elle seule peut voir. Victor Hugo, toujours lui, visionnaire parce que poète, n’avait-il pas écrit que parfois la vue a des oreilles? L’inverse ne peut-il être aussi vrai? Par la musicalité des mots qui ravissent, par l’intensité mélodique des vers, Saint-John Kauss donne à voir, à sentir, à goûter. Ce n’est pas le moindre paradoxe que sa poésie qui prétend toucher à l’essence se mêle de rendre les simples données des sens avec un rare bonheur d’écriture. Je me suis surpris à rêver sur des alliances de mots qui brillent, telles de surprenantes métaphores, leur trouvant une plurielle capacité de suggestion. Insidieusement, cet échantillon (que Saint-John m’excuse pour la banalité du mot) de poésie, moderne dans sa structure, m’a conduit à une reconsidération, à une remise en question de mes préjugés. Il a la vertu de me rappeler que la Poésie est partout. Est en tout. Il suffit de lui prêter une voix, un talent pour qu’elle éclate les frontières qu’un quotidien minable lui opposerait.

Une voix? Un talent? Un grand poète? Pourquoi pas Saint-John Kauss?

 Jean-Claude Fignolé
Abricots (Haïti)

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RECUEILLEMENTS

                                                                                                         à ma mère

                                                «Les oiseaux ignorants poursuivent leur chemin
                                                  et nous, très humblement, le poursuivrons aussi,
                                                  la neige de l’hiver blanchira nos cheveux
                                                  et la rafale glacée blessera nos tempes.»

                                                                  (Pablo Neruda, Cahiers de Temuco)

 

ossature d’Ève pardonnée par la chair                        ô ma sultane aux épaules larges de rêves

d’instables poèmes où pose ma mère acrobate de l’île           mère d‘enfance cherchant bougainvillées et roses sans épines pour ses enfants terrassés des bouges

tout amant mon père aimant du corps humain demoiselles et jolis cous maniant l’arnaque et le baratinage des désirs l’acte osé d’Éros et la fécondité des thuyas

ma mère femme d’une même lettre et d’un seul homme aux affres de l’ancêtre        bouteille à la mer auprès des barricades           

d’aimer sans se soucier de l’aveugle qui braille dans les arcanes de l’abeille            
mais rêves de reptile et serpenteau mobiles passagers d’une rousse divinité sans bornes

mère tu fus l’alizé de l’avenir          la pluie chaude de mes étés              
de t’aimer nasse de mes nuits au nord des scribes de l’énarque
je me revois enfant maquillant les ménarches

et je nous revois à vau-l’eau tranquilles dans nos sorties d’opale               sans mon père préoccupé au gré des aires de combat
je nous revois dans la cour des grands aux somptueuses fêtes des orchidées

mais d’où vient l’amour d’un prince sans peur pour la Reine-mère                 sa reine des quatre chemins et de tous océans qui mènent au bout de l’aventure
d’où vient le chant qui ne sera pas d’accord avec le rut des pierres mais un chant d’accord pour les petits et les coquelicots

quelques minutes de réconfort en privé dans un délai apprivoisé à mon égard ô mère de joaillier des mots -------------- térébinthe
d’une rose sans rets ni épines

 

qui ne rêve pas de retrouver ses feux follets d’enfance
de retracer dans la mélasse en feu les vèvès des jours pincés d’amitié
qui n’en rêve pas
qui ne dors pas

j’ai connu l’exil enfant d’un homme errant sans équivoque                enfant d’un père poète avant Vilaire mais qui aimait trop l’ubac et la mer

j’ai écouté des fleurs géantes de ce pays          grands dons au bond massif des récoltes           communistes de cœur pour les changements à venir       éternels étudiants saluant les pages pleines et les avenues princières                    écrivains et poètes pilonnant les nuits et les méfaits de l’ombre        

brève ô mère la chute soumise à notre première défaite mais prolongée depuis le départ de mon père éternel prédateur des féminins cœurs                homme d’élocution et d’affrontement depuis la rentrée des cigognes

et dire que tu es là aujourd’hui ô mère
en sursauts de souhaits pour tes enfants à demi-endormis
dans les phonèmes

et dire qu’il est écrit que le poème
ton poème
comme une alerte
revient à la douleur

mais s’il aurait fallu
que l’angle de ton ombre traverse l’étale présence du vide
ce vide de la mémoire de l’homme aimé
nommant l’amour et la victoire où il passe
l’éclair de ses paroles aimantes
redites à l’imposture des pierres de vertige
oui nous avons franchi mère l’aire requise
faufilé entre les doigts du temps et du mensonge

nous avons sans doute
en chacun de nous le vers d’immensité
qui unit le cœur épuisé

 

                                                             Sainte-Thérèse (Québec), 08 octobre 2008      

boule

 Viré monté