Potomitan

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Gens de Cana

Saint-John Kauss

De faux sourires à regarder la république dominicaine de près. J’ai été à Cana (Nord-Est d’Haïti), et j’ai été à quelques kilometres de Tamarindo, de Domiguel, de Capotillo et de Laloma, villes dominicaines. En clinique mobile no 2 a Cana, j’ai rencontré l’ancien CASEC denomme Olicoeur Accilien (actuel trésorier de MOJEDEC, mouvement de jeunes pour le développement de Cana), gentil homme des communes qui me fit la leçon de l’histoire des bornes entre Haïti et la république dominicaine. Il m’a fait remonter et descendre la rivière Cana qui est le composé de deux autres plus petites, en l’occurrence les rivières “Gens de Nantes” et “Bernard”. Ce sont ces trois cours d’eau qui, en descendant vers l’embouchure (borne 24), ont enfanté la fameuse rivière “Massacre”, celle de Ouanaminthe, ville qui n’est pas si loin de mes phalanges. J’ai touché du doigt la borne 26, à Cana, datée de 1929, une borne frontalière. J’ai observé deux sauts d’eau qui, parait-il, “mangent les gens”, se nourissent de vivants qui aiment trop l’eau lourde des rapides et des loas.

La nature ne favorise plus le paysan haïtien. De Ouanaminthe à Cana, en passant par les sections rurales ou communales dénommées Manquette, Acajou, Baja, jusqu’à la ville commune de Capotille, peu d’arbres fruitiers ont été récenses. Sur la route, des hommes et des femmes toujours à moto. La motocyclette “HAOJIN” étant devenue le dieu du vent, leur dieu, il suffit de regarder, à droite ou à gauche, les arbres fruitiers à sec et vieillis, les grenadiers et papayers qui font la sieste; la terre ou les terrains, dans un temps lointain, rentable(s), mais aujourd’hui sans l’ombre de rien, sinon des vielles bicoques en planches et boue à observer sous le soleil de Cana. J’ai mesuré des yeux la vieille route, l’étroit chemin, n’était-ce que pour observer les dents de pierre qui s’installent davantage et qui ont affronté tant de véhicules tout-terrain. Et la majorité de ces hommes et femmes de cette région qui ne jurent que par la politique des jours et candidats à venir, sont devenus par la force et la folie des fleurs géantes mais de mauvaise augure, des étrangers à la terre, des délinquants sans travail, des nomades et prostituées de la ville la plus proche.

J’aurais voulu plutôt assister à des noces à Cana (Nord-Est d’Haïti), comme celles ou Jésus-Christ changeait, par manque, l’eau en vin. Les mauvaises langues n’ont pas manqué, depuis les temps anciens, de suggérer qu’il s’agissait de son propre mariage. Oui j’aurais voulu voir des enfants habillés de confettis, en feu de joie, sourire à la vie pleine de promesses. Non pas ces enfants, des petits haïtiens aux dents roussies par l’eau infectée et sans fluor, ni des squelettes d’hommes, ces gouttes d’hommes, souffrant tous de troubles gastriques, de diabète, les deux, d’hypertension artérielle ainsi que de problèmes ophtalmologiques (rétine des yeux) à germes opportunistes. Toujours l’eau potable qui manque, et s’il en est, pourrie jusqu’au tréfonds de la terre faite que de pierres sous-terraines (région de Cana) et de pourritures rougeâtres couleur de canari (Dupity).

De Dupity jusqu’à Cana, les mêmes griefs contre l’Etat. Aucun encadrement ou accompagnement, nul encouragement des anciens et nouveaux gouvernements. On dirait des zones et personnes perdues, vouées aux dieux sans ailes. J’aimerais les exhorter, par prêche interposée ou imposée, d’attendre un peu, mais avec quelle espérance. A chaque contrée, je deviens “parrain” d’une jeunesse ou d’une organisation paysanne ou protestante. Mes cliniques-mobile, grâce aux médecins et infirmières du “Centre Médical Univers”, font courir les vivants chrétiens de toutes régions confondues, et font demander leur part du temps et de la pluie. A Dupity ou à Cana, on n’est pas à Arcahaie, ville de plantations de bananes et d’hommes muets. Les villes Cabaret et Arcahaie, zones privilégiées par l’eau de la mer et de terres arables. A Dupity ou à Cana, on est en Enfer (“L’Enfer, c’est les autres”, disait Jean Paul Sartre). On dirait que ces deux mystérieux villages sont habités par la pauvreté de leurs activités. Faut-il y retourner pour leur parler de Dieu et de Ses bienfaits futurs? Aurai-je la même vision a Capotille, la ville des capotilles; a Gens de Nantes ou à Roche plate, ces communes ciblées grâce à leur appel (à l’aide) téléphonique? A l’Arcahaie d’avant-hier, des revendications ont été révélées à cause d’une plage vendue par l’Etat (sic, Plage Préval). Les “révolutionnaires” ont mis le feu partout sur la Route Nationale no 1, uniquement pour cela. Ils voulaient même faire sauter une station d’essence. Mais qu’en sera-t-il de Dupity, de Cana ou de Ouanaminthe qui n’a pas encore l’électricité voulue, ni d’abattoirs neufs, ni d’un  système de santé adéquat pour ces milliers d’habitants, ni de gare routière neuve, ni de jolis marches; qui n’a pas toutes les rues goudronnées ou bétonnées, ni de “factories” ou d’usines de traitance en ville; qui n’a pas dix places publiques, ni de bibliothèques municipales; qui n’a pas de rues très propres, ni de nombreuses fosses sanitaires; qui n’a pas un hôpital d’Etat rempli de/dans ses fonctions; qui n’a pas “grâce”, parait-il, aux yeux de Dieu ni des hommes. Et que fera-t-on si Dupity, Cana ou Ouanaminthe descendent des mornes et des rues pour saluer la rosée et demander des comptes? Que dira-t-on si Ouanaminthe nous est contée dans ses anciennes initiatives, si la ville d’autrefois n’était que ramassis d’orchidées, si nos ancêtres étaient au four et au moulin pour ramasser et réveiller cette ville? A-t-il été dit que nous participerons a la grande veillée des hôtes et de la pluie pour le plaisir de hautes convives? Lisons

Passages
                                        à mes grands-parents

 «Mais le poète, errant sous son massif ennui,
Ouvrant chaque fenêtre aux clartés de la nuit,
Et se crispant les mains, hagard et solitaire,
Imagine soudain, hanté par des remords,
Un grand bal solennel tournant dans le mystère,
Où ses yeux ont cru voir danser les parents morts.»
                                                 
(Emile Nelligan)

 

passé ô passages                     que disent les signes des plus belles saisons ---- mangles arrachés à la source des présages
sur quel pied danser aux grandes dérogations de ce monde quand ce n’est pas nous qui contrôlons la soif du crotale et l’alignement des tertres dérisoires
destinée au seuil de la folie des hommes                    à la veille des grandes manifestations pour la levée des chiffres et des fétiches
guidez-moi ô Maîtres des passes d’eau                     vers l’au-delà des lianes et du gluten --- par là-haut dans l’impatience des femmes et du lichen jusqu’à l’absurde ravissement de corriger les chartes de l’ère nouvelle
passé ô passages sur la chaussée des morts sans irriter l’étranger
au bal de la plus haute autorité à venir                            poètes aux médaillons de constat et aux acquis en dot d’écritures --- chefs de cabinets des langues sous les remparts de la parole
je vous imagine de là-haut dans les murènes du poème à relire
passé ô passagers des stèles et du burgau grands interpellateurs et protecteurs de promesses faites aux filles d’autres races qui sont aussi des femmes en pleine lactation
conduisez-moi dans la mémoire des lieux et dans la salle des solstices inaugurant les répliques du sel et la prudence des onagres                       --- vers l’au-delà des femmes et des chiffres mathématisés sous les délices du terrier aux bouges de nos égarements                       en toutes châsses et dans le meilleur délai accordé au rebelle civilisé
l’âme aux sistres des sept signes de l’humain                        de l’atome aux sources d’un âge nouveau                       au sanctuaire de l’Illuminé qui écrivit tant de poèmes partagés dans l’authenticité du songe
la mort avec son peuple de terriens                            l’amour à l’oreille d’une seule femme                            et le poète aux nœuds de ses soucis et dans ses mots en toutes langues impose la narration de l’inédit au gîte de sa belle
passé ô passagers des hautes messes sur la chaussée des morts sans irriter l’Ancêtre
au métissage des peuples qui n’existent plus / qui n’ont jamais défrayé la chronique en hauts lieux                       nous notons ce grand souci des hommes d’autrefois de sourire dans les soutes à poèmes                       sur le chemin des chantiers de l’insoupçonnable conteur d’histoires et maître de cérémonies
maître de céans et gardien des sceaux de l’hôte occulte qui parle au vent
nous notons encore la plénitude de leurs conjurations publiques             des rituels aux pelletées du doigt sans demander d’office              de leurs interdictions aux grands accomplissements de l’homme grâce au métier d’Enchanteur
poètes qui fascinent à la coupée des présages et à la franchise de leurs droits d’aînesse
poètes inconsolables sur l’étendue des aires que nul n’ignore quand ce n’est qu’aux fiançailles de l’antiphonaire --- les mots sans chair d’une écriture nouvelle attestent de l’homme frappé d’aphasie et de son chant d’affluents
poètes intransigeants au buffet des grandes failles où les forceries des vivants font défaut             où la sécession de l’humain n’est que signe d’intempérance
ô passé / ô passagers des hauts lieux en signes de présages …

                                                                                            (Ouanaminthe, 19/03/2014)

Viré monté