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CHAPITRE 5

du livre à paraître
"Éloges de l'interlocuteur"

 Le pays de la littérature

Saint John KAUSS

C’est quoi exactement le pays de la littérature?

Un  pays où la littérature est conçue comme une entité utile, intéressante et importante, où les écrivains vont et reviennent en paix à leurs préoccupations premières: l’imaginaire. La France est le prototype de ce genre de contrée littéraire. Effectivement, depuis des siècles, les écrivains persécutés, poursuivis ou égarés ne vont-ils pas à Paris (ou ailleurs) pour s’y reloger et faire peau neuve? Hemingway, James Baldwin, Henry Miller, en sont des exemples.

Quelle est votre opinion sur la littérature haïtienne du XXe siècle?

Vaste et moderne. Les écrivains haïtiens ont toujours suivi à la lettre les différentes manifestations littéraires, surtout françaises. Le Romantisme, Le Parnasse, Le Symbolisme, Le Surréalisme, l’Existentialisme, Le Nouveau Roman, ainsi que le Réalisme Merveilleux ou magique des latino-américains, ont trouvé asile en Haïti et furent utilisés dans un contexte tout haïtien. Durand, Vilaire, Davertige, Saint-Aude, Frankétienne, Philoctète (René), Jean-Claude Fignolé, Anthony Phelps, Serge Legagneur, et les surpluréalistes, ont tout de même pratiqué l’éclectisme dans l’art de dire et de la fiction d’un récit.

Quels écrivains haïtiens vous ont le plus marqué?

Plutôt étonnés dès première lecture; Etzer Vilaire (Les dix hommes noirs), Jean Brierre (La nuit), René  Depestre (Gerbe de sang et Poète à Cuba), Magloire Saint-Aude (Dialogue de mes lampes), Frankétienne (Ultravocal), René Philoctète (Ces îles qui marchent), Jean-Claude Charles (Négociations), Jean-Claude Fignolé (Sur «Gouverneurs de la rosée» et Pour une poésie de l’authentique et du solidaire), Anthony Phelps (Mon pays que voici et La bélière caraïbe), Serge Legagneur (Textes interdits), Jean-Richard Laforest (Le divan des alternances), Réginald Crosley (Immanences) et Emile Ollivier (La discorde aux cent voix).

Quels sont vos relations avec les écrivains haïtiens résidant à Montréal? Et ceux qui vivent en Haïti?

Tout dépend du caractère de l’écrivain: Chauviniste, pédant, hâbleur, partisan du libre échange, modeste, dépressif ou schizophrène. Plus jeune, je les fréquentais tous par l’intermédiaire de la revue Étincelles. Plus tard, trop axés sur la jalousie et la basse politique des jours sans lendemains (complots, coup-bas, délations, procès, etc.), je les fuis maintenant sans crier grâce. À l’instar de Pierre Jean-Jouve, de Christian Bobin ou de Fulcanelli, je ne recherche que «présence pure» et enchantement dans la solitude des pierres.

Ceux qui vivent en Haïti sont loin; ils n’ont aucun problème avec moi. Au contraire, ils m’envoient des livres pour mes études auprès de l’étranger.

Néanmoins, je compte de plus jeunes poètes parmi mes partenaires et contacts (Franz Benjamin, Jean André Constant, Marie Marcelle Ferjuste, Jean Armoce Dugé, Jeanie Bogart, Elsie Suréna, Evelyne Trouillot, Navia Magloire, etc.). Ils sont plus ouverts à la poésie du XXIe siècle. Par contre, les poètes Gérard Étienne, Roland Morisseau et Réginald Crosley, tous plus âgés que moi, sont des phénomènes de générosité.

N’est-ce-pas un portrait un peu sombre que vous peignez là de vos concitoyens de Montréal?

Je ne peins personne. Loin de là. Je décris la vérité sur ce qui s’est passé à Montréal. Les poètes québécois ne sont pas exempts de ces manières. Ce sont les mêmes tares rencontrées de part et d’autre, d’une communauté à l’autre. La jalousie et l’envie sont humaines.

N’est-ce-pas aussi présenter une mauvaise image des figures de la littérature haïtienne de Montréal?

Sinon, ils ne vont pas se corriger. À l’époque de Voltaire ou de Hugo, il ne faut pas penser que tout était rose. Et même maintenant en France. Rappelez-vous des indifférences de Voltaire vis à vis de Rousseau. Et lors de l’occupation allemande en France, des écrivains dénonçaient des écrivains. Drieu La Rochelle et Céline en sont des exemples.

C’est sans doute mon côté humaniste qui prend toujours le dessus, et aussi le fait d’avoir contact avec quelques uns d’entre eux, mais j’ai du mal à les voir sous cet angle-là.

Venez y vivre, ce ne sera guère les mêmes personnages que vous aurez devant vous.

Vous considérez-vous un poète haïtien ou canadien?

Des anthologies canadiennes me refusent des fois parce que je suis d’origine haïtienne; certains écrivains haïtiens sont hors d’eux parce que je suis, à leurs yeux, un dénaturé à double citoyenneté. Toujours ce faux débat.

Je suis un poète et un écrivain. Un citoyen du monde, et c’est l’essentiel.

Pensez-vous que la littérature française exerce aujourd’hui une aussi forte influence sur la littérature haïtienne?

Ce n’est plus le grand amour d’antan. D’autres forces littéraires américaines ou latino-américaines ont faussé le pas à la littérature française. Les plus grands écrivains ne sont plus français. Le Nobel va et ira ailleurs. Salman Rushdie, Umberto Eco, Mario Vargas Llosa, Derek Walcott, Milan Kundera, Patrick Chamoiseau, Édouard J. Maunick, Atiq Rahimi, Édouard Glissant, Jean Marie Le Clézio, Raphaël Confiant, Tierno Monenembo, Octavio Paz, Léonora Miano, Margaret Atwood, Carlos Fuentes, Orhan Pamuk, Naguib Mahfouz, Miguel Angel Asturias, Jean Métellus, Andrei Makine, René Depestre, Alain Mabanckou, Gabriel Garcia Marquez, Marie NDiaye, Alvaro Mutis, Frankétienne, Maryse Condé, Anthony Phelps, Toni Morrison, Gao Xingjian, Chinua Achebe et Wole Soyinka, ne sont pas français. On parle dorénavant de l’avènement d’une «littérature-monde». Songez que la littérature caribéenne a obtenu jusqu’à maintenant cinq Prix Nobel: Saint-John Perse, le Blanc créole de la Guadeloupe en 1960; Miguel Angel Asturias, le Guatémaltèque  en 1967;  Gabriel Garcia Marquez, le Colombien en 1982; Derek Walcott, de Sainte-Lucie en 1992;  V.S. Naipaul, le Trinidadien en 2001. Sans oublier cet écrivain de haute lice, le Cubain Alejo Carpentier, Prix Cervantès 1977. Rappelez-vous aussi qu’en une seule année (1992), les écrivains antillais ont raflé trois des plus grands prix littéraires de la planète: Le Nobel avec Derek Walcott, le Prix Goncourt de la France avec Patrick Chamoiseau; le Prix Cervantès, le prix espagnol le plus prestigieux, avec la poétesse cubaine Dulce Maria Loynaz. La Martinique, à elle seule, compte trois auteurs mondialement connus: Aimé Césaire, Frantz Fanon et Edouard Glissant. En Haïti, nous avons les très célèbres romanciers Jacques Roumain et Jacques Stephen Alexis, sans oublier l’Oncle le docteur Jean Price-Mars. Il n’existe aucun pays au monde, d’aussi faible population, à avoir obtenu autant de récompenses et de prix littéraires. Le vaste Congo, les Philippines, l’Iran ou encore l’Archipel de l’Indonésie avec ses 200 millions d’individus, n’ont jamais eu un Prix Nobel de littérature. C’est pour vous dire que dans le domaine des Lettres, l’esprit de la Caraïbe est unique.

Où situez-vous vos écrits dans la littérature contemporaine?

À la jonction du Surpluréalisme, mouvement littéraire permettant de visualiser le monde dans tous ses univers.

Vous êtes entré avec force dans la littérature créant le Surpluréalisme. Parlez-nous en un peu.

Le Surpluréalisme a été créé tôt, dès 1980. Plusieurs manifestes, compte tenu des années, des différents secteurs et exigences, ont été rédigés. C’est ce que j’appelle la marche à la présidence des mots et des idées. Cette démarche me rappelle André Breton.

Où en est-on aujourd’hui avec le Surpluréalisme?

Je viens de publier L’ARCHIDOXE POÉTIQUE (essai, Humanitas, décembre 2008), où j’ai repris de façon intégrale la plupart des manifestes du Surpluréalisme. J’aimerais d’abord que vous lisiez ce livre. On discutera mieux après de certaines questions surpluréelles.

Propos recueilli par Jeanie Bogart

Viré monté