Potomitan

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Annou voyé kreyòl douvan douvan
Inventaire du poète
à son fils endormi

Saint-John Kauss

pour Jodd

«Ô grammairien dans mes vers! Ne cherche point
le chemin, cherche le centre! Mesure, comprends
l’espace compris entre ces deux solitaires !»

(Paul Claudel)

«je connais aussi une étoile saignante
dans son étau bleu
dont les reflets de douleur m’éclaboussent
chaque fois que le jour meurt.»

(Roland Giguère)

MARITOU (Marie Thérèse Dupoux). © Galerie Nader

MARITOU

 
1.
et pourtant
tu es l’étoile dans mes vers
qui donne garde à mes mots
à peine épelés

2.
tu es le double de mon appartenance
à la folie des femmes
et à l’incertitude des rêves les plus anciens

3.
et t’ai-je aimé comme une syllabe d’espoir
telle une amulette qu’il me reste à décrire
comme une marjolaine au large de mes souvenirs

4.
mes mots pour toi sont faits d’encre
de coriandre de romarin et valériane
entre deux gouttes de rosée la rose et la cétoine
entre deux consonnes et une voyelle désamorcée
mes mots ont une histoire qui fait pourtant pleurer

5.
tu es le fils unique exemplaire de tant d’amours
de tant d’erreurs aux contours des regards
tu es l’enfant blessé dans l’ombre des lignes de ma main

6.
tu es le dénouement de mes nuits fractionnées
l’issue à ma nouvelle odyssée dans le limon des cœurs
tu es l’oiseau destiné à la fragilité de l’abeille en laisse

7.
tant qu’il y aura mon cœur à gauche pour aimer
tant qu’il y aura mon bras droit pour travailler avec des gestes d’homme
tant que toi et moi dessinerons sur une feuille vierge
la mélancolie d’une étoile et l’obsession des sphères de convoitise

8.
tant qu’il y aura des hommes et des femmes pour réapprendre à vivre
nous serons deux à enjamber le torrent de la vie
à dérouler le papier peint de trèfle sur le lit des océans
mais nous ne ferons qu’un abandonné dans la froideur de ce pays
qui cherche l’ombre entre nous deux solitaires

 

9.
ne parles-tu pas à mes silences quand tout est absent
même ce poème dédicacé à la femme libre dans mes habitudes
cette femme aimée qui ne reflète plus cet amour soudain
les yeux aux anémones qui ne consolent plus les enfants

10.
n’entends-tu pas pleurer ton peuple avec les papillons de la Saint-Jean
autour des armoiries et face à la lampe allumée
qui dit bonjour à la bien-aimée pleine de baisers

11.
hautes tours de mon enfance que les caprices du sablier ont effacées
hautes demeures apprivoisées pour la révolution et pour la poésie
ta poésie innocente qui doit s’ouvrir les ailes encore chaudes
à la rentrée des étoiles sur un petit cheval blanc

12.
et pourtant
tu es un long cri d’espoir imaginé dans la douleur
de tes yeux si tristes

13.
tu es le double de mon appartenance
à la foulée des hommes et des vagues sans vanités
l’unité dans mes habitudes d’homme nu devant ses mots

14.
et t’ai-je aimé dans la vasque à mes espoirs si indolents
comme un fruit mûr que l’on s’offre sans regrets
tel un violoncelle blessé au bord de la déchéance

 

15.
et à force de t’appeler tout en pansant mes blessures
je cherche aujourd’hui mes mots de prémonition
mes mots qui font pourtant pleurer l’albâtre
mes mots qui guettent les marges et la géographie du poème
des mots
de mes maux incontestés
sur la page entière

 

Montréal, 21 novembre 2004

Viré monté