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Alix Damour Écrivain Haïtien et Théoricien
du Surpluréalisme

Saint-John Kauss

Alix Damour, né en Haïti dans une région jamais dévoilée. Journaliste et poète moderne errant de villes en pays (Santo Domingo, Port-au-Prince, Japon, Montréal, New York, etc.), auteur de nombreux recueils de poèmes publiés et inédits, co-fondateur et théoricien du Surpluréalisme, il est décédé au début d'octobre 1990, d'une pneumonie à New York. À l'instar des Mozart et Molière, il fut enterré, quelque part dans cette ville, dans l'indifférence la plus totale.

Avant de mourir, le poète inscrivait et gardait avec lui les noms de certaines connaissances et d'amis de vieille date tels que Paul Cassagnol de Washington, Etzer Depestre et Jean-Louis Bonin de Montréal, les frères Kauss, les noms de son frère Lesly Damour et de son beau-frère Jean-Jacques Coriolan. Après son passage à Montréal au mois de Mai 1989, il vivait à Manhattan chez un ami dénommé André Gordon. L'hôte meurt peu de temps après, le 10 décembre 1989. Alix devait apprendre le "computer". Sous le choc de la perte d'un ami si cher, découragé et écœuré de la vie à New York, il a disparu pendant 18 mois sans donner signe de vie à personne et sans laisser de traces. Une infirmière de l'hôpital St-Luke à Manhattan rappela M. Paul Cassagnol pour lui dire que son ami Alix venait de succomber à sa maladie. C'était après sa seconde admission à cet hôpital comme patient, 3 à 4 jours plus tard, vers le 13 octobre 1990. Car il y était interné une première fois grâce à l'aide d'un médecin haïtien, le Dr. André Sajous qui l'avait déjà suivi pour cette même maladie.

Une messe de Requiem a été chantée à la mémoire du journaliste Alix Damour décédé, le vendredi 17 janvier à 1h p.m. en la chapelle de l'hôpital St-Luke situé au coin de la 113e rue et de l'avenue Amsterdam à Manhattan. Tous les parents, amis et alliés du défunt ainsi que les membres de la presse écrite et parlée ont été invités à cette cérémonie religieuse.

Alix Damour était un fervent admirateur de Pedro Mir, le grand poète national dominicain (de l'autre côté de la République d'Haïti), et de Pablo Nuruda, poète chilien, prix Nobel de littérature en 1971.

Parmi ses œuvres connues, on peut citer: Pages Blanches et un poème pris en otage (1980); Ruelle Vaillant de mes amours et Carlos Grullon (poèmes, 1988), Cantique de la présence et de l'absence (poème, inédit), Poème du cri et un psaume aux parias (poèmes inédits en collaboration); Dieu sait-il que le soleil est parti en voyage avec une vierge? (roman, inédit); Saint-John Kauss ou les Modulations d'une poésie majeure (essai, inédit); des dizaines d'articles éparpillés dans les revues et journaux d'Haïti sur la littérature et l'art, notamment sur la poésie, le roman et la peinture, ainsi que quelques préfaces à des auteurs contemporains comme Gérard Pricorne Janvier et Saint-Valentin Kauss.

Effectivement, Alix Damour a traversé tous les "ismes". L'image de type cubiste, "la flamme quadrangulaire patrouille sur les espaces de mes soupirs d'homme" ou "les visages durs fabriquent des angles drus au parfum de béton et de fer" (souvent visuelle), qui "naît de la juxtaposition de deux plans de la réalité"1, n'est pas moins dénuée de valeur à travers l'oeuvre du poète. Et l'image surréaliste, qui n'est autre que la "transposition de la réalité dans un plan supérieur (artistique)"2, y est demeurée une impression secondaire sous les yeux naufragés de l'idée: Les secondes tremblent de fureur ou Suis immensité et flamme dans le tourbillon marin. L'image expressionniste au contraire, qui se développe volontiers de façon insistante, est à la base de toutes les pièces de l'auteur. Ainsi, nous lisons "à travers les mouvements ondulaires des espaces froids de nickel", "au cinéma des désirs infantiles l'air est veuf de la vie" ou "la routine des secondes en fuite sur les parvis de l'aube".

Cependant, il ne faut pas oublier que le sentiment tragique ou la substance du vécu (chez Alix Damour) ont souvent opté pour l'image dada qui "frappe incomparablement plus par son violent arbitraire". De là, une poésie venant des artères, une poésie du cri, une poésie réelle. Et des images qui sont nées des cancers de l'homme autant que de cette "souffrance de l'esprit" dont parle Antonin Artaud: "l'angoisse qui se rapproche et s'éloigne chaque fois plus grosse, chaque fois plus lourde et plus gorgée. C'est le corps lui-même parvenu à la limite de sa distension et de ses forces et qui doit quand même aller plus loin. C'est une sorte de ventouse posée sur l'âme, dont l'âcreté court comme un vitriol jusqu'aux bornes dernières du sensible".3

Alix Damour n'a pas le pessimisme ardu de la plupart des auteurs haïtiens. Mais, à la bonne heure du crime, il sait aussi prendre place parmi les poètes de tendance humanitaire, ceux qui espèrent que l'Amour amènera la Fraternité parmi les hommes et qui croient que la souffrance est une plaie horrible de l'humanité:

Pourquoi es-tu assise
souffrance
sur les branches des arbres éternels

Ses confidences sont parfois exprimées dans des images morbides:

Mon enfance brisée devant
des tonnes de pierres tout est
cri devant le tableau de la
prison
je n'ai pas connu l'amour
d'une mère

Pour Yvan Goll, comme pour l'auteur des Pages Blanches, "l'art n'est pas une profession (...). L'art n'est pas un destin (...). L'art c'est l'amour."4 Mais, cet amour universel n'exclut pas chez le poète Alix Damour une certaine amertume en soi en ce qui a trait à son destin personnel.

Je suis le calendrier
de la misère de ma rosée
enrobée de sang

La solitude, la tristesse, la mélancolie et le désespoir font souvent penser à la médiocrité de sa vie quotidienne.

Et les terres fatiguées de ma présence dans l'agenda
m'ont crié leur merde
de désespoir

"La réalité, écrit Yvan Goll, est la base de tout grand art. Sans elle, pas de vie, pas de substance. La réalité, c'est le sol sous nos pieds et le ciel sur notre tête. Tout ce que l'artiste crée a son point de départ dans la nature".5Et le poète Alix Damour n'a pas oublié de la lire. Puisqu'il nous dit: "ordures la vie sent le pourri".

Certains poèmes d'Alix Damour dégagent un son particulier auquel la littérature haïtienne n'est guère habituée. Grâce à bon nombre d'images "expressionnistes" et beaucoup d'autres "surréalistes", il a érigé un piédestal massif qui a fait peut-être de lui l'un des meilleurs poètes de la génération '80. L'engagement existentiel, l'attitude esthétisante ont largement contribué au critère de la bonne poésie en ce qui concerne Pages Blanches.

Notes

  1. Serge Fauchereau, Yvan Goll expressioniste et moderniste appliqué, dans Liberté, n o 94, p. 67.
     
  2. Surréalisme (n° 1, Octobre 1924, pp. 2-3) ou Yvan Goll, Œuvres I (Émile Paul, 1968 et 1970), pp. 87-89.
     
  3. A. Artaud, Œuvres Complètes, Tome I (Gallimard, 1956), page 117 (texte paru originellement dans L'Art et La mort en 1929).
     
  4. Ich schneide de Zeit aus, Herausggeben von Paul Raabe (Deutscher Taschenbuch, Verlag, 1964), page 308.
     
  5. Surréalisme (n° 1, octobre 1924, pp. 2-3) ou Œuvres I (op. cit). pp. 87-89.

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