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Jean CIVIL, une goutte d’homme
Jean Civil, né à Jacmel (Haïti) le 5 juin 1932. Ancien élève de l’École Normale Supérieure d’Haïti (Mémoire de sortie sur Justin Lhérisson). Licence ès lettres de l’Université de Sherbrooke et maîtrise ès Arts (Mémoire sur Ringuet et Jacques Roumain) de la même université, il a été vice-président de l’Association des Auteurs des Cantons de l’Est, et directeur de la revue Passages. Récipiendaire en 1984 du prix littéraire Jules Lemay de la Société Saint-Jean Baptiste de l’Estrie. A publié Entre deux pays (1979) et Au bout l’abîme (1985). Mort après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, probablement de frustration.
CE PEU
trop lointaine l’essence de l’arbre
pour bercer l’insomnie du marron
et contenir la colère du tourbillon
dans sa chevelure en bataille
une étrange lueur vespérale
prolonge la nonchalance d’une saisonnul regret dans ses gestes débonnaires
là-bas l’étendue de son sourire
cette écharde à ma nuque
à mon talon d’Achille
et à l’œil gauche de mon cœurlà-bas dans la forêt
s’en aller pieds-nus dans le vent
pour refaire son humeurlà-bas dans la forêt
folâtrer dans les orties
pour apprendre le secret de l’arbrelà-bas dans la forêt
cabrioler avec les mots crachés
sur des visages de vierges
là-bas dans la forêt
exorciser ses angoisses
sur des couches libertines
là-bas dans la forêt
s’abîmer dans la contemplation
pour nourrir sa solitude
casse-tête à rognonner les tempes
deviner si le poème-fait-chair
n’arrivera jamais à offrir
à ton autonomie précoce
ce peu que tu recherches
dans la forêt et le vent
l’arbre et la solitude(Au bout l’abîme)
LA RELÈVE
la croix
parure dans l’eau et sur les promontoires
collier au cou et chaîne aux pieds
pauvre peuple assassiné dans son sang
ses forêts et son verbe
et nous fumes traînés sur des bateaux puants
pour la relève avec la princesse d’ébène
perdue dans la mer
noble femme
porteuse de naissances interdites
et son suicide soulagera les blessures
des enchaînés qui retracèrent
leurs courses dans
les savanes amies parmi fauves inoffensifs
cactus et ronces sans rancune
plus humains que ces négriers mangeurs
de fœtus
Alléluia pour les chansons qui ont chaviré le destin
des négrillons nés pour cirer les bottes des princes blancs
et travailler dans les champs de coton des colons
Abobo et Hourra
nos artistes en coumbite
ont zigouillé les négro spirituals
et planté au cœur du continent
des airs de jazz plus violents et plus
constructeurs que des millions de mégatonnes(Au bout l’abîme)
- CIVIL (Jean) : Entre deux pays, Éditions Sherbrooke, Sherbrooke (Québec), 1979; Au bout l’abîme, La Margelle, Sherbrooke, 1985.