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Carl BROUARD, le diable des poètes

Saint-John Kauss

Carl Brouard, né bourgeois à Port-au-Prince (Haïti) le 5 décembre 1902. Journaliste de talent (La Trouée, Revue Indigène, Les Griots), il fut, à l’instar de Magloire Saint-Aude, le poète de la vie de bohème, le poète des cabarets, le diable des poètes.

De son vivant, Carl Brouard a publié Écrit sur du ruban rose. Les Éditions Panorama, en 1963, ont pris soin de réunir en recueil intitulé Pages Retrouvées, la plupart de ses poèmes éparpillés dans différents journaux et revues. Et les Éditions Mémoire d’encrier, son Anthologie secrète (2004).

Carl Brouard mourut, ivre, le 27 novembre 1965. Roger Gaillard lui a consacré, en 1966, une magnifique étude: La destinée de Carl Brouard.

L’HEURE 

À l’église du Sacré-Cœur
l’heure,
l’heure sonne,
et ma mélancolie se déroule,
volutes molles,
au rythme du son.
Heure qui sonnez,
heure qui fuyez
en la nuit brève,
en la nuit brune,
sonnerez-vous mêmement
au jour de mon agonie!

           (Écrit sur du ruban rose)

 

NOUS

                   Nous,
les extravagants, les bohèmes, les fous,
Nous
qui aimons les filles,
les liqueurs fortes,
la nudité mouvante des tables
où s’érige, phallus,
le cornet à dés.
Nous,
qui aimons tout,
tout :
L’église,
la taverne,
l’antique,
le moderne,
la théosophie,
le cubisme.
Nous
aux cœurs
puissants comme des moteurs
qui aimons
les combats de coqs
les soirs élégiaques,
le vrombissement des abeilles
dans les matins d’or,
la mélodie sauvage du tam-tam,
l’harmonie rauque des klaxons,
la nostalgie poignante des banjos.
Nous,
les fous, les poètes,
nous
qui écrivons nos vers les plus tendres dans des bouges
et qui lisons l’Imitation dans les dancings.
Nous
qui n’apportons point la paix,
mais le poignard triste
de notre plume
et l’encre rouge de notre cœur.

                                                           (Pages retrouvées)

 

VOUS

Vous,
les gueux,
les immondes,
les puants :
paysannes qui descendez de nos mornes
avec un gosse dans le ventre,
paysans calleux aux pieds sillonnés de vermines,
putains,
infirmes qui traînez vos puanteurs lourdes de mouches.
Vous
 tous de la plèbe, debout!
pour le grand coup de balai.
Vous êtes les piliers de l’édifice :
ôtez-vous
et tout s’écroule, châteaux de cartes.
Alors, alors,
Vous comprendrez que vous êtes une grande vague
qui s’ignore.
Oh! vague,
assemblez-vous,
bouillonnez, mugissez,
et que sous votre linceul d’écumes,
il ne subsiste plus rien, rien,
rien
rien que du bien propre
du bien lavé,
du bien blanchi jusqu’aux os!

                                        (Ibid)

  • BROUARD (Carl) : Écrit sur du ruban rose, [à compte d’auteur], Port-au-Prince, 1927; Pages retrouvées, Panorama, Port-au-Prince, 1963; Anthologie secrète, Mémoire d’encrier, Montréal, 2004; En vers et en prose, Presses Nationales d’Haïti, Port-au-Prince, 2005.

 

4.1.2012

Viré monté