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Aristide ou l’avenir d’une illusion héroïque

par Saint-John Kauss

Trois chefs d’État du XXe siècle, d’inspiration démocratique, ont attiré l’attention du monde civilisé: John F. Kennedy, Nelson Mandela et Jean-Bertrand Aristide. Ils ont trois choses en commun: le charisme, l’humanisme et la civilité du citoyen moyen capable de changer le monde, sinon les vieilles mentalités des hommes. John Kennedy, en battant Richard Nixon pour la présidence des États-Unis, prouva que l’Amérique voulait déjà le changement enfin réalisé avec Obama. L’Afrique du Sud, en relâchant de sa prison Nelson Mandela, lança la dernière pierre de l’Apartheid. Et Haïti, en élisant un prêtre à la tête de l’État, marqua d’un trait rouge la ligne de démarcation entre le duvaliérisme, le vaudou et la démocratie à l’haïtienne.

En effet, après des années de péripéties et de carnages politiques, allant du Général Henri Namphy (20 juin 1988-18 septembre 1988) à Ertha Pascal-Trouillot (18 mars 1990-7 février 1991), le 7 février 1991 marqua l’avènement d’un leader charismatique et populiste au timon des affaires de l’Etat. Personne, mis à part Dieu, ne pouvait imaginer un tel événement. Le Prêtre Jean-Bertrand Aristide, membre de l’église catholique romaine, après plusieurs tentatives de coups de force et d’assassinat sur sa personne, parvint à la première magistrature d’un morceau d’île dénommée HAÏTI. Cette nomination qui s’amorçait déjà dans la douleur d’un complot entre femmes et hommes du pouvoir, en selle depuis les Duvalier, surprit plus d’un. Le changement désiré par le peuple, en nommant ce freluquet d’Aristide au pouvoir, allait ébranler toutes les assises de la société haïtienne, une société qui, depuis le temps des Colonies, resta intacte dans ses démarches et interdits.

Si avant même le jour de la prestation de serment d’Aristide, le duvaliériste Roger Lafontant et ses macoutes avaient essayé de s’accaparer du Palais national par un coup de force sans précédent, on aurait du s’attendre à un autre mécanisme beaucoup plus calculé de la part des autres duvaliéristes mécontents comme le groupe des colonels de la promotion 1971, promotion à tout égard bénéficiaire et reconnaissante des largesses de son bienfaiteur le président Jean-Claude Duvalier.

François Duvalier, pour se maintenir au pouvoir, avait conclu un pacte avec Daniel Fignolé et Clovis Désinor. Il s’agit, après un premier mandat, de passer le sceptre à l’autre qui doit tranquillement attendre dans les coulisses sans faire de bruit. Mais Duvalier, dès le début des hostilités, élimina Fignolé en le laissant nommer Président provisoire. Quant à Désinor, il le nomma durant son règne ministre de l’Intérieur dans le seul but de l’aveugler, comme Paul Magloire avec Clément Jumelle, son ministre des Finances. De ce jeu politique très prisé jusqu’à maintenant par les Haïtiens, le Palais n’enfanta que des Duvalier. François s’est fait réélire en 1961, et en 1964 président à vie pour enfin remettre avant sa mort la présidence à son fils de 19 ans supporté par ses acolytes les plus proches. Clovis Désinor ne sera jamais plus ministre et surtout président de ce pays. Il fut habilement écarté par Duvalier le Manitou, et ses proches collaborateurs exilés.

D’où le pacte récent entre Aristide et Préval, copiant certains faits et gestes politiques des Duvalier comme la création d’un corps parallèle à la Police, les Chimères, aux fins de maintenir les mécontents et redondants bourgeois surtout à la peau claire en respect. Pourtant Aristide avait trop d’appui de l’intérieur comme de l’extérieur pour gouverner ce pays. Il était le seul homme, depuis François Duvalier, à avoir l’étoile, la chance, le respect et le charisme pour sortir Haïti des ténèbres moyenâgeuses de la pauvreté et  lancer ce pays  une fois pour toutes vers la voie de la démocratie, de la modernisation et de la  prospérité. Comme Nelson Mandela, il pouvait demander et recevoir. Le président Aristide, une fois élu, devrait politiquement prononcer une amnistie générale, et supplier tous les Haïtiens, macoutes ou non, de se mettre au travail pour le bonheur d’Haïti. L’aventure d’Aristide nous montre et prouve que la rancune n’a pas sa place en politique, et qu’il faut des fois et maintes fois faire des concessions et concerter. S’il faut qu’il revienne au pouvoir, nous l’aurions supplié de revenir avec plus de maturité et de flexibilité.

Jean-Bertrand Aristide, durant son premier mandat (7 février 1991-7 février 1996), n’avait d’yeux que pour René Préval, simple boulanger qui lui fournissait du pain du temps de ses vaches maigres à LAFANMI SELAVI, entreprise personnelle du curé. Par gratitude et surtout à cause du désintéressement politique de Préval, Aristide le choisit comme Premier Ministre. Peureux et paresseux, celui-ci ne voulait jamais se présenter à la Chambre pour interrogations, sinon accompagné de son bienfaiteur. C’est ce comportement de débonnaire et de désintéressé qui a plu à Aristide et qui a permis à Préval  de devenir président d’Haïti (7 février 1996-7 février 2001). Aristide voyait en lui un inoffensif, et non un éventuel adversaire de taille. On a connu les mêmes schèmes de ce comportement avec Faustin Soulouque, Dumarsais Estimé et au début avec François Duvalier. Ce premier mandat connu sous le sobriquet d’Aristide I, laissa des séquelles à la population haïtienne en général. Ce fut la guerre déclarée entre bourgeois, duvaliéristes et aristidiens ou lavalassiens. La classe dominante, les bourgeois, désormais confiants des duvaliéristes depuis Jean-Claude Duvalier et Michèle Bennett, considèrent cette classe des pauvres comme les déchets de notre société. C’est dans cet ordre d’idées que ces derniers avaient choisi Jean-Bertrand Aristide aux fins de défendre, avec raison, leurs intérêts et contrecarrer les envies de la bourgeoisie et les enjeux de la politique haïtienne.

Mais sous le gouvernement d’Aristide, on n’a connu que le sacrifice du père Lebrun, le déchouquage systématique des macoutes, l’arrestation et la mise en cachots de certains malfaiteurs de l’ancien régime, la peur des bourgeois de tous poils, la mainmise d’anciens séminaristes ou prêtres sur toutes les avenues du pouvoir, les assassinats politiques, l’élimination de cadres, et curieusement le règne des hougans et mambos. On a failli aussi avoir une cathédrale pour le vaudou, ce dernier étant la religion officieuse des Haïtiens. Et selon témoins et journaux, le pays était gouverné comme une grande chapelle avec ses fidèles et ses prêtres de l’Inquisition. Et brutalement, ce fut aussi le règne des dealers, des cartels de la drogue et des Colombiens qui couraient tranquillement les rues surtout de Port-au-Prince et de Port-Salut.

Si le président Aristide, durant son premier mandat, n’a pas eu le temps et le loisir de reconstruire Haïti, principalement à cause du coup d’état du 30 septembre 1991 et de ses trois ans d’exil loin de sa terre, il est revenu le 15 octobre 1994 pour le finir, et entama un second mandat le 7 février 2001 pour ne pas le terminer à la suite d’un second coup en février 2004. De ce va-et-vient politique, qu’a-t-il réalisé de ses rêves, sinon la chasse aux sorcières duvaliériennes, quelques places et écoles publiques, et sa propre  université. De cette perte de temps et d’énergie, nous avons vu l’Haïtien patauger dans la boue et les fatras des rues comme des délinquants et des malpropres nés. À visionner photos et vidéos des années 40 et 50, Port-au-Prince ressemblerait à Las Vegas et le Cap-Haïtien à Fort-Lauderdale.

De ses députés et sénateurs illettrés aux ministres incompétents, nous avons noté le lot de scandales et d’injures à la radio et sur places publiques entre fonctionnaires discutant des postes à honorer. Aucun gouvernement d’antan n’a eu cette risée d’employés et de militants. La compétence ne faisait pas bon ménage avec la militance. Pour combler un poste, pas d’appels d’offres, mais plutôt un appel personnel des hommes du président ou de lui-même. Le pays était sous la domination des chimères qui faisaient la loi à coup de pneus brulés et de “pèlebrun”. Ils avaient leurs bases aux entourages de Tabarre. Point de Fort-Dimanche comme au temps des Duvalier, mais l’élimination claire et nette de quiconque refusait cette dictature du prolétariat à l’haïtienne.

De nos yeux vus, des cadavres à chaque coin de rue, tués durant la nuit. On se demandait dans quel pays vivions-nous, et comment et pourquoi l’Haïtien était devenu cet abruti, depuis Duvalier jusqu’à nos jours. Et vint le tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui nous a rappelé que nous sommes tous MORTELS.

                                                                    
                                                                       Washington, NJ, 5 mai 2010

 Viré monté