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Clermont Lalsingué: le Grand Départ de «Lal»

par Jean S. Sahaï

Lal

Dimanche matin 4 Mars, M. Clermont Lalsingué, 77 ans, originaire de Port-Louis, vivant sur ses terres à Palais Royal aux Abymes, en Guadeloupe, s’en est allé au firmament. Il laissant derrière lui toute une foule de personnes endeuillées de tous âges et toutes origines.

Amoureux et passionné de la culture indienne, celui que tous appelaient affectueusement «Lal» fut un de ces personnages vivants qui ont su vitaliser nos traditions et notre culture, à travers la Guadeloupe et au-delà.

«Lal» s’en va, laissant un grand nombre de pratiquants de l’hindouisme qu’il aura lui-même formés. Un des tous premiers à sortir des CD de chants indiens, son savoir et son aura ont eu une influence certaine sur l’ensemble du monde hindouiste, toutes ethnies confondues, de la Guadeloupe.

«Lal» a œuvré pour le rapprochement de la Guadeloupe avec les pratiquants hindous de la Réunion, et de Trinidad. Il a reçu nombre de chercheurs, artistes et autres visiteurs, par exemple le grand danseur pondichérien Raghunath Manet, qui fut impressionné par son savoir.

C’est donc un dimanche que les Dieux de notre panthéon ont rappelé leur fidèle «Lal»… Signe du karma, peut-être, puisqu’il avait pour habitude de les invoquer ce jour-là…

Un pan, un noble paon de notre histoire

Toujours vêtu avec élégance, souvent de blanc, impeccable, à l’indienne ou à l’euro-guadeloupéenne, portant cravate et turban de Maharadjah, «Lal» ne manquait pas d’impressionner. Quand il marchait, on avait l'impression qu'il flottait dans l'air.

Arrière petit-fils de travailleurs indiens, il avait sa culture et le culte hindou dans le sang et dans l’âme. Ayant pris très tôt ses marques dans le monde spirituel, homme patient et généreux, il vivait au-dessus des banalités du quotidien. Au fil de ses longues années, dès lors qu’il arrivait dans une fête ou une cérémonie à Port Louis, Petit-Canal, Saint-François, Le Moule, Capesterre, Pointe-à-Pitre ou autre, une marque de respect se lisait aussitôt sur tous les visages: c'était un grand honneur de l'avoir à chaque rendez-vous de la culture ou du culte indien.

Avec «Lal», c'est un pan, et un noble paon de l'histoire guadeloupéenne qui est parti. Clermont Lalsingué restera vivant dans notre souvenir, de même que ce sourire si particulier qui ne quittait jamais ses lèvres, même lorsqu’il était seul – en compagnie du Divin. Beaucoup se demandaient le secret de cette aura de sagesse qu'il avait en permanence sur le visage.

Maldévilin, Maliémen, Nagoulan… Ou Shiva, Ganesha… Invoqués de sa voix si belle, étincelante! Nous entendrons désormais parler de Sri «Lal» à travers le témoignage de ceux et celles qu’il aura formés à officier aux cérémonies, des siens qu’il a si bien entraînés, de tous ceux aussi de près ou de loin qui contribuent à l’émancipation et à la diversité de la culture dans notre pays de Guadeloupe.

Respecté et aimé, consulté par tous à Pointe d'Or où il a habité avant même la construction du lotissement, travailleur acharné, guide d'une famille de gens habités par la spiritualité… «Lal» avait toujours ce grand respect, cette dignité et cette humilité qui transparaissaient toujours dans ces dires, et une attitude disciplinée qu'il savait imposer à tous. Il possédait l'art de la transmission du savoir-faire professionnel comme du savoir-spirituel qu'il a transmis à toutes sa famille.

C'était un dynamique agriculteur. Guadeloupéen farouche dans la défense des intérêts des agriculteurs, il n'avait rien à prouver dans sa profession. Devant chez lui, une armada de tracteurs, de remorques et de socs à chariot, toujours un moteur en réparation… À tel point que dès leur plus jeunes âge ses fils étaient débrouillards, ils savaient déjà conduire un tracteur, avant même une voiture!

Sa famille fut l’une des fut l'une des plus anciennes familles indiennes à s'être installées sur les terres agricoles des Abymes, principalement pour la culture de la canne à sucre.

Clermont Lalsingué était un Guadeloupéen et tout le monde le reconnaissait comme tel. Il ne faisait pas de différence ethnique. Tout le monde aux Abymes le connaissait, tous savaient qu’on pouvait faire appel à son aide pour toute tâche difficile à effectuer en un temps record!

«Ne jamais oublier d'où on vient !»

«Lal» était aussi un grand homme par son amour passionné pour l’héritage que l'histoire à laissé aux Indiens de Guadeloupe. Héritage qu’il partagea et transmit hardiment, à commencer par ceux de sa famille, au-delà de la barrière des origines diverses de notre peuple qu’il contribua à abaisser. Pour preuve, son amour pour celle qu'il aimait beaucoup, son épouse qu’il a toujours mise en avant, dont il savait que c'était son soutien dans les moments difficiles, la femme discrète qu'on entendait à peine.

Mettant toute son existence à contribution, «Lal» aura su donner un nouveau souffle, un rythme vibrant, à des traditions indiennes oubliées de l’héritage de la Guadeloupe. Il a fait comprendre à nous-mêmes Indiens, comme autres Guadeloupéens, l’importance et la beauté de cet univers qui fut si tellement opprimé.

Parcourant la Guadeloupe à la rencontre de ses aînés, il avait su capter chez chacun d’eux un enseignement. Il avait renouvelé la chanson indo-guadeloupéenne, lui imprimant un rythme nouveau, une touche «à nous», qui donnait envie à tous de danser, sans pour autant verser dans le folklore. Tant de projets et d’aventures il a menés! Auto-didacte, voyageur, chercheur soucieux d’approfondir le legs, il était allé chercher des compléments en Inde, où il a perfectionné son Tamoul et ramené des ouvrages pour enrichir ses cahiers de chant, pour perfectionner les gestes et l’organisation de la cérémonie. Il avait aussi organisé des échanges avec les pratiquants de La Réunion, de Trinidad, et emmené sa troupe de danse dans l’hexagone…

Pouçari (officiant, prêtre) dès l’âge de 17 ans, vatialou (conducteur de nâdron, théâtre dansé tiré de la mythologie ancestrale). Et il maîtrisait le chant et la danse! «Lal» avait plaisir à expliquer le sens de ce qu’il chantait, en Créole comme en Français, menant l’interlocuteur au-delà de l’habitude ou de la simple répétition, illustrant culture et sagesse par des anecdotes... Sa fille Chantal, formée à Paris au Bharat Natyam, ainsi que ses petits-enfants, ont acquis de lui et développé merveilleusement l’art de la danse indienne tant traditionnelle que moderne, avec la troupe qu’il a nommée Nataraja (nom du Dieu Shiva en posture de danseur cosmique).

Pouçari, chercheur, artiste, «Sri Lal», Monsieur Clermont Lalsingué fut un Grand Homme. Sa vie a été son œuvre; son œuvre, c’est cet amour, cette passion enivrante pour les richesses de l’apport tant humain que culturel, spirituel et matériel de notre grand-mère l’Inde à tous les enfants des Antilles. 

C’est peut-être une voix qui s’éteint, une passion qui cesse, un amour qui s’en va.

Mais c’est surtout la libération d’une âme exemplaire, qui aura accompli sa mission sans faiblesse, et laissé un haut héritage spirituel et moral à la Guadeloupe. Puisse-t-elle cheminer hardiment vers Déva Lokam, la Sphère des Saints.

UN PEU DE CULTURE INDIENNE !

Faut-il être triste ou se réjouir, lorsqu’un tel être nous quitte?

Voici la réponse d’un texte sacré indien millénaire :

«Yâjñavalkya, poursuivit Artabhaga, lorsque l'organe de la parole du mourant se fond dans le feu, son souffle dans l'air, sa vue dans la lumière solaire, son mental dans la lumière lunaire, son ouïe dans les directions de l'espace, son corps physique dans la terre, l'Akasha de son cœur dans l'Akasha de l'espace externe, les poils de son corps dans le tapis végétal de la terre et ses cheveux dans les arbres, son sang et sa semence dans l'eau, où donc se trouve alors cet homme?» 

«Tends-moi la main cher Artabhaga, répliqua Yâjñavalkya, et nous irons décider de cela entre nous, ce qui est impossible au milieu d'une telle foule».

«Ils se mirent à l'écart et débattirent longuement la question; ce dont ils parlèrent fut essentiellement le karma, le domaine de l'action, et ce qu'ils déterminèrent comme louable fut aussi le karma. Car c'est par l'action juste que l'on devient bon, et par l'action erronée que l'on devient mauvais. Finalement, Artabhaga, de la lignée de Jaratkaru, demeura silencieux.»

Brihad-âranyaka-Upanishad, III.2.13.

Jean S. Sahaï

avec la collaboration de Jean-Louis Azède, Minakshi Carien Narayanan, Clairisse Mardivirin, Agnès Ponama, Jonathan Soubaroupa.  

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LAL et MOI:
le témoignage de Madame Clairisse Mardivirin,
présidente de l’association culturelle Padma de Petit-Canal.

Aya Lal, Yama le Dieu de la Mort, t’a appelé et tu l’as rejoint. C’est sans hésitation qu’on le fait quand il nous appelle. Tu as fait le voyage pour rejoindre la terre de tes ancêtres. Ce voyage est l’aboutissement de ton passage sur la terre de Guadeloupe. Tu es désormais en compagnie de tes chers disparus.

La mort est cruelle certes, mais nous devons tous y passer, selon notre ciel de naissance. C’est un miroir pour se regarder en face et voir les autres, et qu’on traverse pour aller… de l’autre côté.

Lal, pendant toute ta vie tu as pratiqué. Enfant, je t’ai vu danser majestueusement parmi les autres: «Polbou-la té èstròdinè!». Un jour tu m’as dit que tu allais danser en prenant le bus en fin d’après midi, ton narè et tes autres affaires sur les genoux. J’ai réalisé ton attachement à tes origines, et ton savoir-faire. Tu figurais en bonne place pour la nomination au titre du Mérite du Patrimoine Culturel d’Origine Indienne créé en 2006, que tu as reçu de notre association en 2010.

Avec nous le 27 décembre pour notre manifestation Mémoire et Patrimoine, tu as émis un regret, quand la journaliste de Guadeloupe Première t’a questionné sur l’état de la Culture indienne actuellement.

Il y a 5 ans, tu as conduit un Valsè à Belin. Mon père commençait à ne plus sortir, autour de toi les enfants essayaient de copier ton maniement des talon (cymbales). Nos danseuses s’évertuaient, tu faisais vibrer les cœurs, les pieds des assistants battaient la mesure sans qu’ils s’en rendent compte.

Au dernier nâdron qui s’est tenu à Pombiray, tu étais le vatialou (récitant) aux anges cette nuit là, l’arrivée de Maldévilen à minuit, l’apothéose du nâdron, fut extraordianire. Moments intenses, que nous n’oublions pas.

Plus jamais, nous ne reverrons ton sourire,
Plus jamais, tu ne nous feras danser
Plus jamais, tu ne chanteras pour tes divinités,
Plus jamais, tu n’officieras à nos cérémonies.

Mais tu as préparé la relève : tes enfants et petits-enfants chantent, dansent, sont tapou-kalen (joueurs de tapou), matalon-kalen (joueurs de matalon), danseurs, danseuses. Je sais qu’ils prendront aussi soin de ton kõvil (espace de culte) familial qui faisait ta fierté, de l’héritage culturel, cultuel, matériel et moral que tu leur as transmis, qu’il faudra perpétuer de génération en génération.

Tu as soutenu nos appels à nous rassembler pour faire revivre et partager notre culture sur le sol de la Guadeloupe.

Nos ancêtres ont été importés ici pour travailler dans les champs de canne désertés après l’abolition de l’esclavage en 1848. Les autorités savaient leur attachement à l’hindouisme, et à leur culture. C’est en bravant les interdits qu’ils ont pratiqué ces valeurs et les ont transmises de génération en génération aux Guadeloupéens. Nous mettrons tout en œuvre pour que la religion et la culture dont nous sommes fiers survivent.

Aya Lal, ton nom figurera pour la postérité dans nos mémoires, sur le mur du souvenir de la Mémoire Indienne à Abricot Petit-Canal. Avec ta famille et tous les autres, l’association Padma t’honorera bientôt.

Nannli (merci) Aya Lal !

Clairisse Mardivirin

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 «Pa kriyé zendyen kouli»:
Dannick Zandwonis parle de Clermont Lalsingué.

Danik, lontan ou pa té vwè Klermon, avwala mi Lal ja kité nou?

Dènyé fwa nou kontré mwen avè’y, sété adan on fèt-zendyen a Kannal, i té di mwen konsa : «fo nou kontré pou nou palé, ou sé on nèg ka konpwann zendyen»(sic), é i té di mwen fè yonn-dé foto.

Avan sa, zot té ja bien jwenn é bouré, sété on bon kliyan a émisyon a’w!

On fwa Klermon té vin a Radyo Inité an 1983, an té ka fé on émisiyon non a’y sété: «Pa kriyé zendyen kouli». An té fè’y palé an dirèk, li èvè Pé Nèg, on gran prèt zendyen vré non a’y sété Misyé Hira, é an fé yo pran lang an Tamoul... An pa sav si’w ka imajiné dé Zendyen Gwadloup adan on Radyo  nasyonalis Gwadloup ka palé an Tamoul!

Gason! Mi a prézan pou sa té fèt ! An sèten an ho-la yo tou lé dé jaka woufouté bon tamoul é bon matalon a tè! Asilparè, jis Aimé Césaire, an fen a vi a’y, té di fodré antiyè aprann Tamoul osi, sé on lang ki éritaj an nou tout…

Ou sav, endikatif a émisyon-la, sété on ti pasaj a on nadron, ola Klermon té ka chanté épi frapé on kout matalon!

A, mé fout zot té bon zig!

Klermon  èvè mwen nou té bien enmé blagé, nou fè on pakèt émisyon a si Radyo Inité, é apré sa, lè an vin a "La Une Radio", an lan 2000 épi Anik Patché adan émisyon "Indianitude" nou fè Klermon palé plizyé fwa... Sé di’w si sé on Misyé an té ni onlo respé pou travay a’y. 

Olivier Mounsamy é mwen-menm, nou rété 3 lanné asi Radyo Gayak tou lé mèkredi  ka fè  on émisyon non a’y sété «Indiaspora», on 3é émsiyon asi més koutim é labitid a kilti Zendyen-Gwadloup.

Aprézan Lal chapé, mé i lésé on lo bon biten pou Kilti Zendyen ba kilti Gwadloup plis fos…

Mèsi Lal, mèsi pou pèp gwadloup é pou indiaspora-la!

Mèsi pou ti kozé-la, Dannick Zandwonis!

boule

 Viré monté