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Galerie de peinture mauricienne 
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Louis Léchelle

Emmanuel Richon

Louis Lechelle
Portrait de Louis Léchelle, salon mairal de la municipalité de Port-Louis.

PREAMBULE

Nous consacrons cette page de la galerie au tableau peint à l’huile sur toile d’Alfred Richard, magnifique portrait du premier maire de la capitale, Louis Léchelle. Portrait en pied du premier Lord Maire, qui fut restauré en 1998, à l’instigation du Ministère des Arts et de la Culture et grâce à l’aide de l’Ambassade de France. C’est, en effet, à la suite de ma venue en tant que coopérant, que j’ai pu entreprendre la restauration de nombreux tableaux des collections publiques.

En 1998, le fameux salon mairal était en bien piteux état et les tableaux garnissant ses murs, n’étaient même plus montrables, tant leur état de conservation présentait un caractère détérioré. L’idée même de pouvoir tenir la moindre réception en ce lieu était devenue quasiment inconvenante et indigne. C’est donc avec fierté que ce tableau et d’autres, un portrait de La Bourdonnais par Lépaulle, un paysage réunionnais par Louis-Antoine Roussin, ont pu regagner leurs cimaises d’origine. Plus récemment, c’est l’immense portrait de Pope Hennessy qui a pu venir compléter cette galerie d’illustres édiles, le mobilier étant, quant à lui, complètement créé dans l’ancienneté de facture qui convient. Ainsi, même si l’ancien Hôtel de Ville n’est plus, de sa période de gloire demeure aujourd’hui cette majesté de l’Histoire des grands hommes que seuls peuvent nous transmettre ces témoignages artistiques d’une valeur inestimable parce que tout autant sentimentale qu’iconographique.

APPROCHE PICTURALE

Louis Lechelle
Détail partie haute du tableau, après restauration.

Ce portrait en pied de Louis Léchelle, peint par Alfred Richard, témoigne de la valeur de cet artiste du XIXe siècle, qui a merveilleusement su rendre les grands personnages de son époque. C’est le 26 mai 1856, à la suite du décès du premier maire de Port-Louis, que le conseil municipal décida de confier l’exécution du portrait en pied du grand homme, et en confia la réalisation au peintre en question. Celui-ci accomplit sa tâche magnifiquement et remit l’œuvre en 1858, à Arthur Edwards, alors maire de la capitale.

Les éléments de comparaison avec le portrait du capitaine du Port Douglas Wales, peint par le même artiste et restauré deux ans auparavant, sont nombreux: les points forts de la composition du tableau sont les mêmes à peu de choses près, même si dans un cas, le personnage est assis et dans l’autre debout, la même solennité transparaît dans l’attitude. L’édile et le militaire sont ainsi du même monde, l’idée de les représenter pour témoigner de leur importance est, de manière semblable, sous-jacente aux deux œuvres.

Outre la solennité emphatique des deux personnages et la thématique sous-jacente, un autre aspect fait se rejoindre les deux portraits: l’aspect théâtral des attitudes, véritable mise en scène, un rien statique et conventionnelle d’ailleurs. Quelle que soit l’attitude, debout ou assis, l’impression est celle d’une «pose» aussi peu naturelle que faussement circonstancielle.

Ce défaut, si l’on peut se permettre pareil jugement, n’est bien-sûr pas propre à A. Richard, mais correspond à un code esthétique qui, d’ailleurs, perdurera à satiété dans l’art de la photographie, libérant du même coup la peinture de cette empreinte sociale, de l’attitude un rien engoncée dans des règles strictes et presque maniérées. Néanmoins, dans le cas d’Alfred Richard, le côté théâtral correspond également à coup sûr à un vécu de peintre. Rideaux velourés aux couleurs pourpres, soigneusement tirés sur une ouverture paysagée, panorama symbolique dans le lointain, aux éléments conceptuels presque stylisés dans leur principe, dévoilant indéniablement l’impression fondamentale d’un décor.

Voilà donc notre personnage, planté là, au beau milieu du tableau, en l’occurrence debout, fixant le spectateur placé dans la situation du peintre, ni plus ni moins, dans une admiration presque apparemment réciproque, si ce n’est le regard légèrement absent ou volontairement peu expressif, en comparaison au visage pris en son entier et aux différents éléments du tableau interprétés en tant que symboles picturaux ou véritables emblèmes sociaux.

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Détails avant restauration.

Pour le capitaine Douglas Wales, comme pour Louis Léchelle, la réussite de la composition globale réside tout autant dans le visage du personnage que dans les différents éléments qui l’habillent ou l’entourent, véritables faire-valoir esthétiques destinés à dire autant qu’à symboliser la fonction sociale, la richesse spirituelle, le pouvoir et même la réussite financière ou professionnelle. Ces nombreux éléments épars, qui parsèment littéralement le tableau, évoquent et relatent ce que recherche le personnage à travers son portrait, ou plutôt, le portrait de Louis Léchelle n’étant pas contemporain du maire, A. Richard ayant effectué l’œuvre après le décès de l’homme politique, les différents éléments stipulent la conception du rôle de l’édile telle que se le figure le peintre, également ce qu’on nommerait aujourd’hui plus sommairement et sans poésie, l’idée d’un certain «standing».

Même si A. Richard peint des personnages qu’on avait coutume de trouver portraiturés, même s’il n’enfreint en rien le pacte tacite rendant l’Art par trop au service des grands de ce monde, il n’en conserve pas moins ses présupposés et ne peint en fait toujours que la crème d’une certaine société elle même en évolution, manière de voir qui n’est donc pas révolutionnaire, peu s’en faut, et correspond en fait à celle existant à son époque à laquelle il participe ainsi pleinement.

Le costume trois pièces, les souliers vernis, le tapis richement ornementé au sol, les gants blancs, le bras droit nonchalamment posé sur un guéridon, le siège honorifique doré à la feuille d’or, le collier mairal bien-sûr, la balance symbolique de sa magistrature, autant de témoignages solennels qui situent d’emblée le personnage. Tout comme pour le capitaine Douglas Wales, nous n’avons pas là affaire à n’importe qui …

Louis Lechelle
Détail avant restauration.

La présence du collier mairal au cou de Louis Léchelle, n’est cependant pas que symbolique, ce témoignage pictural s’avère désormais ô combien historique et emblématique: l’histoire de ce collier est en effet étroitement associée au premier Lord Maire et à l’Histoire de la franc-maçonnerie à l’île Maurice.

Lors des élections du 2 février 1850, qui virent le triomphe de l’équipe de conseillers municipaux dont faisait partie Louis Léchelle, c’est la loge de la Triple Espérance qui servit de bureau de vote. Le collier en question serait un don de la célèbre loge à la municipalité.

Lors des funérailles du Lord Maire en 1856, en guise d’hommage à l’excellente administration de Louis Léchelle, il fut décidé d’enterrer le collier avec la dépouille du Maire au cimetière de l’Ouest aux Salines. Bien des années plus tard, lorsque son épouse fut à son tour inhumée, les fossoyeurs le remirent à nouveau à la corporation municipale qui le fit nettoyer, désinfecter et garder comme une relique.

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Le fameux collier mairal, disparu en 1998.

Plus d’un siècle plus tard, en 1962, M. Raymond Devienne, franc-maçon connu, fut le premier à porter ce collier d’apparat quand, élu du Parti Mauricien Social Démocrate et nouveau maire de la capitale, il procéda à l’ouverture de la nouvelle salle Louis Léchelle. Porté depuis en de très rares occasions, très brièvement, lors de la cérémonie de prestation de serment du premier citoyen de la Cité, le précieux bijou en or, qui contribuait au symbolisme de la fonction, était précieusement gardé dans un coffre-fort, au secrétariat de la cité à l’Hôtel de Ville. C’est dire si la disparition récente du collier, en 1998, triste événement pour le patrimoine national et l’Histoire de la capitale, est la perte d’un symbole fort, irrémédiablement associé au premier Maire.

Plus que jamais, ce dernier témoignage pictural, que constitue le portrait de Louis Léchelle, fournit l’ultime trace de ce glorieux passé. La restauration de ce magnifique portrait revêt donc une importance particulière dans un tel contexte. Dans ce salon mairal, Louis Léchelle, entouré d’autres illustres bâtisseurs de notre capitale, est enfin à la place qu’il mérite.

La taille de ces portraits, en grandeur réelle, en augmente encore plus l’impact visuel. Au sein du salon, conçu désormais comme un tout dont ce portrait fait partie, face à La Bourdonnais et côtoyant Pope Hennessy, le personnage de Louis Léchelle, peinture accrochée aux cimaises, impose donc désormais lui-aussi sa stature de notable.

Le talent d’Alfred Richard ne se cantonnait pas à savoir peindre fidèlement les grands personnages passés ou contemporains, outre cette faculté, il savait également peindre de magnifiques paysages. La Banque commerciale en possède plusieurs, restaurés récemment eux-aussi.

Alfred Richard était né à Port-Louis le 7 août 1824, il n’a jamais quitté Maurice mais parvint à se perfectionner au contact d’autres peintres mauriciens. On lui doit un album de dessins célèbre intitulé Types mauriciens, datant de 1840, lithographié chez Devaux et cie et dans lequel on peut trouver nombre de stéréotypes raciaux correspondant à ceux de son époque.

A la cathédrale de Port-Louis, on peut trouver une Pêche miraculeuse, copie malheureusement inachevée d’une peinture de Jouvenet où l’on distingue encore la mise aux carreaux. Une Nativité, elle aussi copiée d’après Jouvenet, se trouve également à l’église Saint-François Xavier. On sait avec certitude qu’il peint un portrait de Victor Esnouf, un autre d’Adolphe Larcher, qu’il brossa plusieurs paysages magnifiques de la Rivière Noire ou du district de Savanne. Le Mauritius Institute a dans ses collections deux portraits en pied de deux capitaines du Port au XIXe siècle, Le capitaine John Morgan et le capitaine Douglas Wales. Le peintre mourut à Port-Louis le 8 mars 1880.

APPROCHE CONTEXTUELLE

Ce portrait revêt un intérêt historique d’une grande richesse, il est comme l’aboutissement logique d’une reconnaissance populaire et générale, remerciement témoigné de manière posthume à celui qui symbolise tout d’abord, en plein contexte colonial, le premier symptôme d’une bien faible démocratie, néanmoins première amorce d’un vaste mouvement évolutif s’étalant sur plus d’un siècle.

Etablissement de la municipalité

Peindre Louis Léchelle, c’est représenter un des moments majeurs de la capitale, l’embryon de la constitution d’un organe représentatif élu.

Lors de la Révolution, en 1790, l’Assemblée coloniale avait créé des municipalités dans tous les quartiers, à Port-Louis, le premier maire fut M. Esnouf, auquel succéda Fr. Fressanges.

Depuis la dissolution du Conseil des Communes par les Anglais, en 1820, la revendication de recouvrer une institution administrative pour Port-Louis commençait à poindre ouvertement. Cette requête figurait d’ailleurs comme l’une des exigences majeures des missions d’Adrien d’Epinay à Londres. Après sa mort, Rémy Ollier continua cette campagne dans son journal «La Sentinelle». Certes, ce n’était pas, loin s’en faut, la manifestation d’un sentiment social ou démocratique, mais, bien plutôt, la tentative des planteurs à mieux pouvoir contrôler politiquement une île dont ils se voulaient exclusivement les détenteurs, pouvoir politique oblige ; en quelque sorte une simple tentative d’atténuer le joug colonial, obstacle à l’expansion de leur enrichissement personnel et de classe.

N’oublions pas que ces mêmes missions d’Epinay avaient essentiellement pour but de négocier une «compensation» des planteurs résultant d’une abolition désormais considérée comme inévitable, «compensation» qui sera d’ailleurs scandaleusement obtenue sur le dos des esclaves voire même de certains récents affranchis qu’on libéra plus officiellement en obtenant quelque rémunération certainement plus lucrative qu’un simple affranchissement précédent …

La raison même de la revendication municipale n’avait donc par elle-même rien de particulièrement démocratique et, en dehors de la recouvrance d’un pouvoir politique spolié par le colon occupant l’île, ne visait finalement qu’à mieux régler un certain nombre de problèmes collectifs de la Cité qu’une centralisation anglaise excessive avait rendus plus criants.

De plus, il convient de dire que régnait dans la colonie à cette époque, malgré quarante années d’occupation, un profond sentiment anti-anglais.

Depuis 1810, l’île Maurice avait connu vingt gouverneurs, c’est-à-dire en moyenne, un tous les deux ans, et ce, sans tenir compte de la durée beaucoup plus longue du premier d’entre eux, R. T. Farquhar. Les Mauriciens assistaient donc à un défilé, une véritable valse d’officiers militaires, qui ne voyaient pour la plupart dans leur nomination mascarine qu’une simple étape, un épisode obligé dans leur plan de carrière. Il découlait de ces changements continuels une impression d’instabilité désespérante. Tous les projets à long-terme étaient délaissés, les nécessités locales et sociales n’étaient aucunement prises en compte. Un sentiment de révolte commençait à sourdre parmi les colons et à-dire-vrai, tout particulièrement chez ceux d’origine française.

La population dans son ensemble commençait en fait à se rendre compte des manquements flagrants du pouvoir colonial à son égard. Comment ne pas voir dès lors, que le Conseil de la Colonie n’était constitué que de fonctionnaires de l’administration anglaise ne tenant aucun compte des intérêts des habitants? Les quelques membres inofficiels du même Conseil, désignés par le Gouverneur, ne recevant aucun mandat de la population et n’étant aucunement élus, ne disposaient d’aucune légitimation donc d’aucun pouvoir. Les Mauriciens se trouvaient de ce fait totalement spoliés de la direction de leurs propres affaires, on décidait de tout pour eux. Face à l’inefficacité d’un tel système, ils décidèrent d’autant plus de réagir, que les colonies du Cap et de l’Australie venaient, quant à elles, d’obtenir la possibilité d’un Self-government.

Au commencement, au cours des années quarante, le pouvoir britannique, redoutant en lâchant la bride, de devoir engager un processus d’autonomie, avait refusé net toute réforme. Plusieurs faits allaient pourtant modifier l’attitude intransigeante des occupants.

Tout d’abord, d’un côté, la résistance, même verbale, sut s’organiser autour de journaux tel La Sentinelle où surent briller certains tribuns à la plume habile comme Rémy Ollier. De l’autre côté, en Angleterre, l’attitude sut évoluer également et le « Colonial Office », dépassé par la gestion de colonies toujours plus nombreuses aux territoires toujours plus vastes, en vint finalement à prôner une politique un peu plus libérale à l’égard des terres de la couronne, dans le seul but de soulager concrètement l’administration locale de la gestion des affaires d’une ville qui se développait de jour en jour.

A choisir, relâcher la bride en commençant par une municipalité n’engageait à rien. D’ailleurs, l’année suivante, dans le sillage de l’élection de la Municipalité de Port-Louis, d’autres villes revendiquèrent le même droit, Flacq notamment, et se virent éconduites. Les relations entre les planteurs Blancs et les Anglais ne pouvaient de toute façon que s’améliorer, l’indemnisation de l’abolition fut un pas décisif, mais la possibilité d’écouler le sucre en Angleterre fut sûrement décisive, la France, du fait du long blocus du début du siècle ayant été amenée à convertir les terres du Nord du pays en d’immense champs de betterave, était quant à elle devenue auto-suffisante, et cela, les sucriers Mauriciens finirent vite par s’en rendre compte. Tout cela contribua sans doute au rapprochement et à la possibilité de créer une municipalité.

Hôtel de Ville
Hôtel de Ville de Port-Louis.

En 1848, à l’endroit où devait plus tard s’établir l’Hôtel de Ville, auguste demeure qui abritera le portrait du premier maire, en ce qui n’était encore à l’époque que le simple «Hôtel d’Europe», se tint une réunion publique au cours de laquelle les citadins entreprirent d’élire sans autorisation leur nouveau maire. Inutile de dire que la tentative fit long feu et fut stoppée net par l’inspecteur général de police Charles Anderson. Mais cela stimula les rebelles qui décidèrent de signer une pétition quant à elle adressée directement au ministre anglais par le truchement du gouverneur, Sir William Gomm, celui-ci ajoutant d’ailleurs sa propre recommandation personnelle, les choses étaient faites dans les règles …

Les circonstances du moment voulurent que cette pétition recueille l’assentiment du dit ministre qui acquiesça donc à l’idée d’établir légalement une corporation municipale. La charte de cette corporation fut rédigée par Prosper d’Epinay et promulguée par ordonnance, le 27 décembre 1849, devant entrer en application à compter du 1 er janvier de l’année suivante.

Au commencement de 1850 donc, le nouveau gouverneur, George William Anderson, nomma, conformément à cette ordonnance, un magistrat, en l’occurrence un juge de paix, Jules Virieux, en vue de superviser les élections municipales qui eurent lieu le 26 février 1850 à la loge maçonnique de la Triple Espérance qui hébergeait en son sein les plus grands notables de l’époque et se voyait aussi le lieu même de tous les débats essentiels de la Cité. Nous connaissons aujourd’hui le résultat du scrutin :

Louis Léchelle, enregistré en tant que «Courtier-Juré», fut élu haut la main, par 364 voix contre 281 à Joseph Dioré, «propriétaire» arrivé en second. A l’origine, on compta 18 conseillers municipaux, plus tard, ce nombre fut ramené à douze.

Le 4 mars, le gouverneur le choisit donc comme Maire et lui adjoint d’office M. Félix Koenig. Le colon britannique eut bien conscience de l’événement historique, Sir Anderson, qui fut le gouverneur en poste à l’époque de l’élection mairale et qui donna à la municipalité sa charte constitutive, dut quitter le pays le 18 octobre 1850 et, peu avant son départ, déclara lui-même publiquement:

«it will always be among the most gratifying recollections of my life, that I gave the first municipal institution to Port-Louis.»

En souvenir et pour corroborer l’importance de cette élection fondatrice d’un long processus démocratique, le portrait du gouverneur fut commandé à Alfred de La Hogue, peintre mauricien et prit place à l’époque dans le salon d’honneur de la mairie, tableau aujourd’hui dans un état désespéré, se trouvant au sein de l’annexe de la municipalité de Port-Louis, à Cité Vallejee.

C’est un fait historique que la création de cette municipalité fut l’embryon d’une expression démocratique à-venir.

Louis Léchelle, malgré le cens électoral, eut de réels adversaires politiques, Georges de Courson fut durant plusieurs années, son challenger déclaré.

Quant à la mairie elle-même, elle se constitua en fait au départ dans l’immeuble Numa Geoffroy, rue du Rempart, aujourd’hui rue Edith Cavell, qui se révéla vite peu commode et dépassé par le dynamisme de l’institution. Ce ne fut que beaucoup plus tard, en 1866, que la municipalité fit l’acquisition d’un bâtiment alors «Hôtel de l’Europe» qui servit de mairie. C’est Charles Pitot aîné, sixième maire de Port-Louis, qui transféra les bureaux à l’Hôtel de l’Europe. La façade du bâtiment n’a guère subi de changements, à part ce campanile, seule modification apportée.

Louis Léchelle

Le père de Louis Léchelle était né au Canada en 1758 et vint s’établir à l’Isle de France en 1784. Il fut lui-même un édile qui joua un rôle important lors de la Révolution, participant en 1791, à la formulation d’une nouvelle constitution pour la colonie.

Louis Léchelle fils, celui du tableau de la municipalité, s’engage très tôt dans la cité.

Louis Léchelle
Moitié haute du tableau après restauration.

Il faudrait tout d’abord se remémorer l’état lamentable dans lequel se trouvait Port-Louis lors de la prise de fonction du premier Lord-Maire. La voirie était à l’abandon, à peine si quelques artères du centre ville étaient pavées, l’hygiène et la salubrité publique étaient déplorables, aucun égoût ou à peu près, le système d’éclairage était on ne peut plus vétuste, et tout à l’avenant. Ainsi est-il possible d’affirmer que, durant les quatre années mairales de Louis Léchelle, la cité progressa notablement et qu’elle dut cette évolution favorable en bonne partie à cet illustre magistrat, à sa forte personnalité, volontaire et honnête, sans qui la ville eut sans doute continué à végéter dans une lente déliquescence et l’oubli certain de ses grandioses origines.

Trouver aujourd’hui Louis Léchelle en face de Mahé de La Bourdonnais, au sein du même salon mairal, dans l’actuel bâtiment de la municipalité, paraît donc fidèle à l’importance et au mérite propre à ce premier maire dont le caractère affirmé rappela, hélas trop brièvement, celui qu’on a coutume de considérer comme le véritable fondateur de la cité, son fameux devancier de plus d’un siècle. D’ailleurs, de manière symptomatique, on doit à Louis Léchelle lui-même, d’avoir eu l’idée de lancer une souscription publique en faveur de l’érection d’une statue en mémoire du célèbre malouin. C’est le 1er Lord Maire qui autorisa la formation d’un comité La Bourdonnais, le 30 janvier 1853.

Louis Léchelle n’était pas arrivé à occuper la fonction de Maire du jour au lendemain, ses activités antérieures l’avaient déjà signalé à ses contemporains. Il naquit à Port-Louis le 1er septembre 1789, ne quitta jamais son île natale et y fit des études brillantes. Il joua un rôle majeur dans la mise sur pied et l’institution d’une Chambre de Commerce et d’Industrie, chambre qui subsistera jusqu’aujourd’hui. Louis Léchelle fut donc en quelque sorte, le premier porte-parole de la communauté des affaires de Maurice, le premier facilitateur du commerce et de l’industrie en même temps que le premier conciliateur en matière d’arbitrage de différends commerciaux. C’est d’ailleurs sous sa présidence que fut lancée le premier juin 1850, la Commercial Gazette, premier quotidien de la colonie.

Ce fut encore lui qui présida la réunion du 20 décembre 1849, au cours de laquelle les commerçants réunis apprirent que l’agrément du gouverneur Sir George William Anderson pour la création de cette chambre avait été obtenu. En toute logique, Louis Léchelle en fut élu président. Notons bien que cette Chambre de commerce ne fut certes pas la première, mais, à la différence de celle créée en 1827 par Sir Lowry Cole, placée alors sous la présidence d’un officier du gouvernement choisi par le gouverneur lui-même, d’ailleurs dissoute l’année suivante, celle de 1850 se forma, elle, indépendamment du gouvernement britannique de sa majesté et fut appelée à durer.

C’est donc un personnage riche, intéressant à plus d’un titre, que nous rappelle ce tableau, un homme à multiples facettes, dans le bon sens du terme, qui fut élu premier Lord Maire, insistons également sur le fait que d’avril 1850 à sa mort, il siégea également au Conseil du Gouvernement de la colonie, il fut aussi membre notoire de la Société Météorologique et fut un fervent franc-maçon.

Initié en 1822, il fut un membre éminent de la célèbre loge de la Triple Espérance, comme la majorité de l’élite coloniale de l’époque, il en fut même élu 17ème Vénérable dès 1832, son appartenance à cette obédience paraissant rétrospectivement avoir eu un rôle évident dans sa philosophie et l’éthique qui semblent tant avoir présidé à l’ensemble de sa vie. Ce n’est un secret pour personne qu’une loge maçonnique du Grand-Orient de France porte aujourd’hui son nom.

Il est intéressant de rappeler que lors de son premier mandat de maire, aucune rétribution ne devait être payée, l’ordonnance 16 de 1849 ne prévoyant aucune rémunération à cet effet. Ce n’est qu’un an plus tard, par ordonnance 21 de 1851, qu’une rétribution annuelle de 500 £ fut décidée. C’est dire si Louis Léchelle fut un homme engagé, généreux et désintéressé, enclin spontanément à se mettre au service de ses concitoyens. Soulignons d’ailleurs la modestie des moyens financiers avec lesquels le premier maire dut apprendre à composer: le budget municipal n’était à l’origine que de 12'903 £.

Louis Léchelle devait expliquer son point de vue sur l’élection mairale:

«Je crois que les intérêts de la ville de Port-Louis exigent que son Maire soit un homme possédant une fortune modique, que ce soit un homme qui, par ses antécédents, son genre de vie habituelle, ne recule pas devant les devoirs ardus qu’exige cette position. Car on doit se dire qu’un homme riche ne sera pas toujours celui qui se donnera le plus de peine. Cette classe de gens aime généralement le loisir et je peux vous assurer, messieurs, que la place de Maire est tout à fait incompatible avec ce goût.»

Les mandats de Louis Léchelle

On peut affirmer sans ambages que c’est Louis Léchelle lui-même qui détermina l’élargissement de ses prérogatives, en effet, par l’article 40 de l’ordonnance 21 de 1851, les pouvoirs du corps municipal furent considérables:

Faire exécuter toutes améliorations d’intérêt public dans la cité, que ce soit en matière de voirie, rues, sentiers, chemins, artères principales, ouvrages de génie civil, ponts et chaussées, plantation ou abattage des arbres, élagage et éradication des buissons et broussailles envahissant les rues (problème bien réel à l’époque), droit de forer des puits, de poser des conduits, drains, évacuations de toutes natures, prévention des incendies, concernant les épidémies, si fréquentes, capacité à prendre toute mesure jugée appropriée en matière de salubrité publique, contrôle légal des poids et mesures. Enfin, dans le domaine de l’alimentation, c’est toujours sous le premier mandat de maire que purent être prises les mesures de protection et de réglementation en matière d’hygiène, contrôle des bazars, vérification de la qualité du pain (à l’époque primordial dans l’alimentation des Mauriciens) ou de la viande, véritables premières mesures en faveur de la protection des consommateurs, en quelque sorte.

Ses pouvoirs de répression publique étaient également bien réels: mœurs (pouvoir de supprimer les maisons closes), toute nuisance publique (pouvoir d’enlever ou détruire toute gêne préjudiciable aux habitants et à l’intérêt public).

Enfin, dans l’amélioration de l’équipement urbain, le nouveau conseil municipal pouvait veiller au pavage, à l’éclairage, au nettoyage des rues, au contrôle de la distribution d’eau pour usage domestique. L’entretien des cimetières, la prévention de la mendicité et du vagabondage, la première réglementation en matière de circulation concernant les charretiers, conducteurs et simples portefaix, l’édiction de patentes et autres droits dont durent s’acquitter les conducteurs de voitures de louage au sein des limites de la cité, tout cela fut l’œuvre et le rôle de la première municipalité.

Comme nous pouvons le constater, nombre de ces prérogatives étaient régaliennes et sont aujourd’hui assumées par le gouvernement, ce qui nous permet donc d’affirmer que les pouvoirs des premiers conseils municipaux furent considérables et que Louis Léchelle sut justement en profiter pour initier des changements plus que décisifs.

Autre fonction que n’exerce plus le Lord Maire actuel, la «Mayor’s Court» ou «Cour du Maire». C’est ainsi qu’en matière de contraventions aux règlements édictés par la Municipalité, le Maire ou son adjoint exerçaient pleinement leur magistrature et avaient pouvoir de juge. C’est l’article 28 de l’ordonnance 21 de 1851 qui établit effectivement ces pouvoirs de juridiction. En 1849, il existait bien une force de police urbaine mais totalement insuffisante au regard des nécessités de la ville. C’est donc à Louis Léchelle qu’on doit la création d’une première force policière conséquente, apte à veiller à l’exécution des réglementations votées par le Conseil municipal élu.

Maintenir l’ordre au théâtre peut paraître une prérogative bien innocente, il n’en était rien vu l’importance de cet art dans la Colonie à cette époque. Allant plus loin, c’est le premier Lord Maire de la capitale, toujours lui, qui s’employa à trouver les moyens d’acheter officiellement la salle de spectacle afin de rendre le plus libre possible le choix des pièces et l’expression artistique des metteurs en scènes et des acteurs. Sous la pression mairale, le gouvernement colonial céda et abandonna donc la censure générale des pièces de théâtre à la Corporation municipale.

Parallèlement, la nouvelle municipalité se devait désormais de contrôler la tranquillité sur les quais, d’assurer de manière générale la surveillance des lieux publics, toutes fonctions que purent exercer d’authentiques nouveaux «gardiens de la paix» ne dépendant pas du pouvoir du gouvernement …

Le pouvoir colonial ne s’y trompa guère et vit dans l’efficacité de cette corporation une concurrence insupportable à un droit régalien par excellence. L’ordonnance 20 de 1860 mit donc fin à cette prérogative de la municipalité instaurée par Louis Léchelle. Ce pouvoir fut donc aboli une nouvelle fois par l’autorité britannique ne tolérant pas d’exception en matière de pouvoir juridictionnel et percevant très bien le danger potentiel à laisser l’île s’organiser librement dans ce domaine.

Si nous entrons dans le détail des réalisations des différents mandats de Louis Léchelle, nous ne manquons pas d’être frappés par l’abondance et l’originalité des réalisations concrètes: création du «service des inodores», grande nouveauté qui aboutira même à la conception, certes modeste pour commencer, des premiers égouts de la ville. Innovation plus que significative, même si elle ne déboucha pas sur un réseau dense et systématique qui ne verra le jour que beaucoup plus tard, après nombre de débats sur la compréhension rationnelle des causes épidémiques et de leur prévention. C’est Louis Léchelle, qui fit construire les premiers abattoirs de Rochebois qui, même imparfaits, avaient déjà pour motivation principale un réel souci sanitaire.

Louis Léchelle était en avance sur son époque. C’est sous son mandat qu’eurent également lieu les premiers débats relatifs à la création d’un transport ferroviaire, qui n’aboutirent que quelques années plus tard. Sous son mandat toujours, que fut entamé le percement d’un tunnel sous la montagne du Pouce, destiné à relier Moka et Port-Louis. L’arpenteur du gouvernement estima que ce percement nécessiterait l’extraction de 49 624 pieds cubes de pierres. Ce tunnel était destiné à servir à la fois de «water-way» ou aqueduc souterrain permettant d’amener l’eau de Moka dans la capitale et surtout, son objectif principal était également de faciliter la communication de Port-Louis avec les Plaines, d’ouvrir une nouvelle route vers Mahébourg. Les travaux relatifs à un projet aussi prémonitoire, si l’on songe à son actualité contemporaine, commencèrent même en 1853, mais s’avérèrent aussitôt mal préparés et complètement utopiques. Soutenu par le Dr. Perrot, c’est L. Léchelle qui avait fait voter une résolution beaucoup plus efficace ayant trait à un service maritime régulier entre Maurice et l’Europe, via Aden. Le premier Lord Maire nous apparaît donc aujourd’hui comme un formidable générateur d’idées nouvelles, enthousiaste et moderne.

Il contribua également à améliorer le système d’éclairage, fit édifier un pont rue Saint François Xavier, permettant d’enjamber le ruisseau Fanfaron.

Nommé maire pour la cinquième fois en 1856, il succomba subitement à l’épidémie de choléra qui sévissait alors à Maurice. Son décès, le 28 avril 1856, et ses obsèques furent considérées comme un véritable deuil public.

Louis Lechelle

A en croire les visiteurs étrangers de cette époque, Port-Louis sous les mandats de Louis Léchelle, reprit une allure de grande place commerciale dans l’océan Indien. Un Anglais justement de passage en 1851, nous décrit la ville comme une cité active, riante et animée. Dans ses souvenirs parus à Calcutta au sein de son ouvrage Rough notes of a trip to Réunion, Mauritius and Ceylon (pp.2-3), le Dr. Frédéric J. Mouat déclare en 1852: «véritablement, je n’ai jamais rencontré dans une ville de semblables dimensions, tant des éléments réels d’un grand mouvement commercial ni un tel potentiel de saine énergie dans un milieu aussi restreint … On se demande où les nombreux magasins qui remplissent ses rues bien peuplées peuvent bien trouver des clients pour écouler leurs marchandises de tous genres qui se vendent en général extrêmement cher. Son marché bien ordonné, propre et inodore est de beaucoup ce qu’il y a de mieux dans ce genre dans l’Orient et contraste singulièrement avec les bazars malpropres, bruyants et mal-ordonnés de Calcutta. L’abondant approvisionnement d’eau fraîche et pure que distribuent partout des fontaines propres et délectables; l’ordre, le decorum et la propreté de ses rues tirées au cordeau; la multitude des dames bien mises et bien faites qui parcourent ses artères animées; et la rangée de voitures de louage, dont quelques unes ont des prétentions d’élégance fort appréciables, devant l’Hôtel du Gouvernement, tout cela donne au voyageur une impression plus agréable et plus suggestive de l’Europe que n’en créent la richesse imposante de la cité des palais, des belles routes et des résidences magnifiques de Madras, ou l’aspect pittoresque et joliet de la capitale bien arrosée de Ceylan avec ses jardins de cinname, ses lacs, ses îles!»

Ce commentaire quelque peu laudatif correspond néanmoins à une réelle période de regain d’activité d’ailleurs corroboré par les statistiques: en dix ans, de 1851 à 1861, la population urbaine, malgré les nombreuses épidémies ô combien exterminatrices, passa de 49'909 habitants à 74'128, quand la progression démographique de la même capitale n’avait été, selon le baron d’Unienville, que de 2'438 habitants de 1817 à 1830. Par ailleurs, en 1842, l’île Maurice exportait 71'225'151 livres de sucre, elle en exporta 114'393'223 en 1850 et 271'807'107 en 1860. De plus, si l’on en juge par l’activité portuaire, l’amélioration de la cité paraît flagrant: la réouverture du port aux navires étrangers en 1851 donna une nouvelle impulsion au mouvement maritime. Agrandissement des quais, établissement de bassins de radoub et de cales de halage, etc. C’est d’ailleurs en 1852, autre symptôme de progrès, que fut ouverte la première ligne régulière reliant l’île à l’Europe.

Néanmoins, ce panorama quelque peu idyllique de Port-Louis par ce visiteur anglais, ne correspond en fait qu’à une vision superficielle ne tenant guère compte des masses prolétaires toujours plus nombreuses. Il va de soi en effet que tout cet essor repose essentiellement sur l’exploitation des coolies indiens provenant de la grande péninsule et des esclaves réembauchés après l’abolition. Le corollaire du coolie-trade est effectivement une prospérité économique du capitalisme colonial dont il est même la condition.

Aussi, malgré les efforts sincères et désintéressés d’un Louis Léchelle, la pression démographique instituée par la demande toujours plus grande des planteurs, devait avoir ses conséquences obligées au niveau sanitaire: la dégradation des conditions d’hygiène, l’entassement de la population laborieuse dans des conditions déplorables, créant ainsi des conditions épidémiologiques catastrophiques qui ne tardèrent pas à manifester leurs ravages.

La mort du Lord Maire, du fait du choléra en est par elle-même la traduction la plus éminente. En avril-mai 1850, c’est justement grâce à l’intervention rapide de Louis Léchelle que Port-Louis échappa de justesse au choléra, le Lord-Maire usant de ses toutes nouvelles prérogatives pour faire renvoyer immédiatement un navire porteur de cette terrible maladie. En mars 1854, le fait se reproduisit, mais, comme il s’agissait cette fois d’un transport de coolies, on tarda un peu trop à renvoyer le navire et, en peu de temps, la contagion se répandit dans la ville où elle fit rage dans les mois de mai et juin. Il s’en suivit une panique générale. Environ 10'000 personnes quittèrent la ville. Enfin, l’épidémie de janvier à avril 1856, au cours de laquelle Louis Léchelle trouva la mort parmi 3'532 autres victimes et qui fut pourtant moins meurtrière que celle de 1866-68 qui fit par la suite plus de 30'000 victimes.

Ainsi, le Port-Louis de Louis Léchelle fait-il un peu figure d’exception: les grandes épidémies, la création d’un réseau ferroviaire, l’ouverture du canal de Suez, allaient profondément modifier les paramètres présidant aux destinées de la capitale et il est un fait que ces quelques années de mandat du premier Lord Maire et de la première municipalité de la capitale ont pu faire croire, à juste titre et de manière bien temporaire, à une réelle renaissance de la Cité, d’où la popularité justifiée de cet homme dont le destin semble s’être confondu avec cette courte période de progrès apparent. Succès et réussite paradoxale puisque dans le même temps, la masse de la population créole récemment émancipée se voyait exclue peu à peu de la sphère économique sucrière.

Ce portrait, même par sa portée mythique et justement à cause d’elle, conserve encore aujourd’hui, une immense aura, celle d’un homme préoccupé de social, certainement soucieux du bien-être de ses mandants, mais coincé dans les contradictions d’un système colonial tout juste sorti de l’esclavage et encore totalement imprégné de ségrégation et de racisme. Il est à noter qu’il appuya lui-même une proposition de l’honorable Louys en faveur d’un élargissement du collège électoral par une diminution de la franchise censitaire quant aux conditions de propriété pour être électeur et candidat aux élections municipales.

Restauration du tableau

Ce tableau peint à l’huile sur toile est la propriété de la municipalité de Port-Louis. C’est à la demande du Ministre des Arts et de la Culture et grâce à l’aide humaine et technique de l’Ambassade de France à Maurice, que ce portrait a pu être restauré. Cette restauration a été le fruit d’une collaboration de M. Mahomed Enver Atchia avec l’auteur de cette galerie.

Louis lechelle
Portrait de Louis Léchelle, avant restauration.

A la vue des photos visibles dans ce fascicule, le lecteur peut aisément juger de l’état de dégradation du tableau: nombreuses lacunes dues à des chutes d’écailles de la peinture, soulèvements généralisés de la couche picturale, trous, déchirures, rendant illisible le portrait et condamnant le tableau à une perte inexorable. Le caractère «tuilé» de l’œuvre dû à un réseau d’écailles sur toute sa surface, extrêmement accentué, rendait une lecture sereine quasi impossible, de plus, de nombreux repeints intempestifs, effectués par le passé à la peinture à l’huile de lin, contribuaient à défigurer notablement le personnage et son décor. Enfin, quelques coups avaient déformé la toile en plusieurs endroits.

Louis Lechelle
Portrait de Louis Léchelle, détail du visage avant restauration, état initial. Soulèvement généralisé de la couche picturale.

Le châssis d’époque était quant à lui, conservé en excellent état, le cadre doré à la feuille d’or avait par contre quant à lui, subi les outrages d’une «bronzine» passée sans scrupules au pinceau et qui lui donnait un air «plastique» terne et sans vie. Le retrait de ces repeints de bronzine a nécessité presqu’autant d’efforts que la restauration du tableau lui-même. Aussi ne saurions nous trop insister sur le danger esthétique sévissant actuellement à Maurice où presque toutes les dorures à la feuille d’or sont actuellement «massacrées» par l’emploi de peinture dorée (bronzine) ne contenant pas d’or mais du bronze et qui, tôt ou tard, entraîne le noircissement obligé de tous les meubles et cadres anciens voués à un assombrissement terne et aux antipodes des qualités esthétiques de l’or véritable, quant à lui irremplaçable.

Des trois cadres des tableaux restaurés pour la municipalité, le retrait de cette bronzine fut une opération obligée, fastidieuse et … inutile quand on sait que l’emploi de cette peinture aurait facilement pu être évité. Retrouver la vraie feuille d’or dissimulée prend du temps, nécessite l’emploi de produits chimiques dangereux à inhaler et c’est pour cette raison que nous profitons de l’occasion qui nous est donnée ici de sensibiliser les propriétaires et institutions au fait de proscrire, toutes ces peintures dorées qui n’ont absolument rien à voir avec l’emploi de feuilles d’or véritable. Il vaut parfois mieux ne rien faire que de procéder à de tels actes destructeurs à long-terme.

Le bronze contenu dans ces peintures s’oxyde et noircit inévitablement. De plus, son degré de réfraction de la lumière n’a rien à voir avec l’or pur et donne aux objets recouverts un aspect terne et sans reflet, uniforme. Le tableau a été rentoilé à la cire-résine, les techniques utilisées ont, quant à elles, été sensiblement les mêmes que celles utilisées dans les cas des deux autres restaurations relatées précédemment dans les deux fascicules consacrés aux peintures mauriciennes du XIXe siècle; nous y renvoyons donc le lecteur, préférant cette fois mettre l’accent sur les aspects historiques et esthétiques du tableau. Nous tenons ici à remercier particulièrement M. Mahomed Enver Atchia pour la patience et la méticulosité avec laquelle il a contribué durant ces trois années à la restauration d’une soixantaine d’œuvres appartenant au Mauritius Institute ou à la municipalité de Port-Louis.

L'atelier de restauration.
L'atelier de restauration.

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P a t r i m o i n e   c o m m u n

Le collier mairal de Louis Léchelle, vieux de 148 ans, porté disparu

Celui de l'adjoint au lord-maire également

par H. MARIMOOTOO, Week-End

Suite à une plainte déposée par l'administration de la Cité de Port-Louis, le Central CID mène une enquête en vue de retracer deux colliers faisant partie du patrimoine commun des Port-louisiens. Il s'agirait, ni plus ni moins, du fameux collier en or massif que porta, en 1850, le premier maire de la cité, Louis Léchelle, et du collier de l'adjoint au lord-maire. Précisons toutefois que si dans le cas du collier de l'adjoint Lord-maire, l'information est officielle pour ce qui est du premier, l'authenticité de l'objet reste encore à être vérifiée.

Portés en de très rares occasions surtout depuis la prise de contrôle de la municipalité de Port-Louis par le Mouvement Militant Mauricien en 1976 (généralement très brièvement, lors de la cérémonie de prestation du premier citoyen de la Cité), les deux précieux bijoux, qui contribuaient au symbolisme de la fonction mairale, étaient gardés dans un coffre-fort au secrétariat de la cité, à l'Hôtel de Ville. Les enquêteurs du CID ont constaté qu'il n'y avait aucune trace d'effraction sur le dit coffre-fort, ce qui favoriserait l'hypothèse que le voleur ait pu tromper la vigilance de l'officier municipal responsable de la garde de la clé et subtiliser les colliers.

Selon nos informations, c'est le jour même de l'élection de l'actuel lord-maire, M. Luc Marie, et de son adjoint, M. Sunil Gopaul, que les disparitions ont été constatées en novembre dernier. Il est un fait que lors du cérémonial de passation des pouvoirs ce jour-là, le lord-maire adjoint sortant, Mme Lisella Saramandif (travailliste) ne portait pas son collier au cou.

Interrogé par Week-End, hier matin, le lord-maire, M. Luc Marie a confirmé la disparition de deux colliers, mais il a soutenu "ne pas en savoir plus". Selon le Lord-maire, "plainte ayant été déposée auprès des autorités compétentes, c'est à la police de tirer l'affaire au clair

Il ressort, toutefois, qu'à ce jour encore il subsisterait des doutes quant à l'authenticité d'un des colliers portés disparus. Dans la mesure où le coffre-fort contenait trois colliers (celui que portait Louis Léchelle, un deuxième collier mairal de confection plus récente et le collier, moins coûteux de l'adjoint au lord-maire) personne, au sein de l'administration, ne peut dire avec certitude que c'est bien celui de Louis Léchelle qui a été enlevé. Une opération d'expertise serait peut-être nécessaire pour confirmer la chose.

Si, par malheur, il se trouvait que le voleur ait effectivement fait main basse sur le collier de Louis Léchelle, c'est certain que la Cité de Port-Louis aura alors perdu un objet d'une valeur inestimable, non seulement pour sa valeur commerciale, mais surtout pour sa valeur historique. En effet, vieux de cent quarante-huit ans, le collier porté par Louis Léchelle (qu'on peut encore voir suspendu au cou de ce dernier dans la peinture qui trône dans le salon mairal) est étroitement associé à l'Histoire de la franc-maçonnerie à l' île Maurice. Selon l'historien Hervé de Sornay (auteur de Isle de France-île Maurice), les élections générales qui virent le triomphe de l'équipe de conseillers municipaux dont faisait partie Louis Léchelle eurent lieu le 2 février 1850, sous l'administration de sir George Anderson, et c'est la Loge de La Triple Espérance qui servit de centre de vote. A la suite de ces élections, le gouverneur Anderson choisit Léchelle comme maire avec pour adjoint M. Félix Koenig.

Le collier, qui serait un don de la Loge de La Triple Espérance à la municipalité, fut enterré avec la dépouille de Louis Léchelle, au cimetière de l'Ouest, en guise d'hommage à son excellente administration, mais, bien des années plus tard, quand son épouse fut à son tour inhumée, les fossoyeurs le rendirent à la corporation municipale qui le fit nettoyer, désinfecter et garder comme relique. M. Raymond Devienne, franc-maçon connu, fut le premier à porter ce collier plus d'un siècle plus tard quand, maire PMSD de la capitale, il procéda à l’ouverture de la Salle Louis Léchelle.

Le Secrétaire de la Cité p.i, M. Ramon Cundasamy, dit-on, est très affecté par la perte de ces objets et personne, en fait, ne semble chercher à le rendre responsable de cet état de choses. II paraît effectivement que c'est tout le système de sécurité de la garde des documents et du patrimoine commun de la capitale qui devrait être remis en question et renforcé. Quoi qu'il en soit, voilà une raison de plus pour mettre rapidement en application !es résolutions du National Heritage Trust Fund Act récemment voté par l'Assemblée nationale.

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Extrait du livre "Les premières années de la Corporation municipale de Port-Louis" par Rivaltz Quenette, en page 75:

"Les témoignages de reconnaisance de la Municipalité de Port-Louis à la mémoire de son ancien Maire Louis Léchelle, dont la manifestation avait été largement compromise par la franc-maçonnerie, ne devait point s'arrêter à des condoléances tardivement exprimées à sa veuve. Déjà, à sa séance du 22 mai 1857, le Conseil Municipal avait décidé que celle-ci, "en souvenir des services rendus par feu M. Léchelle, à la Municipalité" serait dispensée du paiement de la somme de 200 piastres dûe pour la concession d'une prise d'eau du canal Dayot, pour approvisionner sa nouvelle demeure, sise rue de la Pompe (actuelle rue Brown-Sequard). ... En sus, la Municipalité avait décidé de faire peindre, pour la somme de 600 piastres, un portrait en pied de Léchelle, par le peintre Alfred Richard (qui fut achevé en janvier 1858). Un semblable portrait se trouvant à La Triple Espérance, servit de modèle au travail de Richard, grâce à l'amabilité de Jean Edouard Remono, Vénérable Maître de cette loge.

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HISTOIRE
Il y a 150 ans, Port-Louis perdait son 1er maire

L'Express
Article publié le Lundi 24 avril 2006.

Lechelle
Copie peinte par Gabriel Gillet et faisant partie
des collections du Musée national d'Histoire à Mahébourg.

Le conseil municipal de la cité de Port-Louis ne manquera pas, vendredi prochain, de commémorer comme il se doit, le 150e anniversaire du décès de son premier maire, l’Honnorable Louis Léchelle. De son côté, la Chambre de commerce de Maurice se fera un devoir de rendre un hommage aussi éclatant à son premier président. C’est, en effet, la moindre des choses, lorsque l’occasion se présente, que nous rendions l’hommage dû à ceux qui se sont dévoués corps et âme pour nous permettre de devenir ce que nous sommes devenus. Et qui contestera qu’un 150e anniversaire ne se commémore pas tous les jours. On est fier de son patrimoine ou on ne l’est pas.

En ces jours où les patriotes mauriciens se font un devoir de se souvenir de la contribution exemplaire de Louis Léchelle à l’édification de la nation mauricienne, la moindre des choses c’est qu’ils se fassent le devoir, mais aussi le plaisir, de relire le livre que l’éminent historien, Rivaltz Quenette, consacre à cet éminent fils du sol. C’est d’ailleurs la principale source de référence de la présente chronique.

Cet auteur, qui est aussi le biographe de Jean Lebrun, d’Onésipho Beaugeard, d’Emmanuel Anquetil, (en attendant la vie du Grand Laurent, Eugène), nous renvoie d’emblée au 29 avril 1856, au cimetière de l’Ouest où le Tout Maurice se transporte pour rendre un dernier hommage à Louis Léchelle. Emile Pipon, un des adjoints du défunt, souligne ceci : “Il a fait partie de toutes les institutions que possède son pays. Dans toutes, il a su se placer au premier rang. Il ne le doit qu’à son mérite.”

Son biographe talentueux et consciencieux évoque aussi le souvenir de Louis Léchelle, père, né à Québec, Canada, le 17 mai 1758. Il débarque à Maurice en 1784. En février 1790, il participe à la réflexion entourant la formulation d’une nouvelle constitution, “dans la foulée libératrice de la Révolution française”. Négociant et armateur, il est appelé à assumer diverses responsabilités pendant cette période révolutionnaire, éminemment transitoire. L’occupation anglaise de l’Ile de France ne modifie en rien la notoriété de Louis Léchelle, père. Le 22 janvier 1788, il épouse à Port-Louis, Françoise Athanase Chenard de la Giraudais, originaire de Saint-Malo. Il meurt à Pamplemousses le 17 avril 1834.

Le 1er septembre 1789, année particulièrement emblématique, voit la naissance de Louis Léchelle. Il débute dans la vie active comme agent de change et courtier juré, à une époque charnière : l’Ile de France devient Mauritius; une nation de négociants et d’armateurs se métamorphose en une de planteurs canniers et de producteurs sucriers ; une population servile cède la place à l’immigration de travailleurs agricoles engagés en Inde ; un embryon de vie démocratique et même d’administration autonome doit se soumettre aux diktats de Londres avant de repartir à la conquête de ses libertés perdues, sous l’égide d’Adrien d’Epinay, de Rémy Ollier et de Louis Léchelle, en attendant la venue d’autres porte-drapeaux.

Le 12 octobre 1848, l’inspecteur général de police (aujourd’hui commissaire de police), Charles Anderson, agissant, sous les ordres du gouverneur Gomm, “en villégiature à Mahébourg”, met fin à une tentative de fondation d’une corporation municipale. Ce n’est que partie remise. Le 17 octobre suivant, les mêmes protagonistes se rendent à la Triple Espérance pour rédiger une pétition à la reine Victoria, en vue de la création d’une assemblée élective, d’une corporation municipale et de quelques autres institutions civiques. Une autre tentative du même genre a lieu le 6 juin 1849.

A la même époque, Louis Léchelle et le Dr Perrot militent en faveur d’un service maritime entre Maurice et l’Europe via Aden et Port Saïd (avant l’aménagement du Canal de Suez). Il est aussi le syndic de l’association des agents de change et de courtiers jurés. C’est alors que Blyth Brothers apprend que des hommes d’affaires britanniques se penchent sur les moyens d’assurer la protection de l’industrie et des capitaux anglais. Cette même maison de commerce propose par conséquent la création d’une Chambre de commerce de Maurice. Louis Léchelle est nommé à la tête du comité préparatoire. Le 4 décembre suivant, il conduit une délégation au nouveau gouverneur, George William Anderson. Celui-ci, n’étant pas Gomm, et c’est tout dire, manifeste, sur le champ, son accord de principe. Le 25 janvier 1850, la Chambre de commerce renaît de ses cendres et fait de Louis Léchelle son premier président et de James Blyth son premier représentant à Londres.

Décidément ce mois de décembre 1849 est riche en événements car le 27 de ce mois, le conseil du gouvernement vote une loi “pour faire de la municipalité du Port-Louis la première instance intégralement élue” de l’occupation anglaise. Les 21 et 23 février 1850 ont lieu, toujours à la Triple Espérance, les premières élections municipales de l’occupation anglaise. Louis Léchelle sort en tête de liste et le gouverneur Anderson le désigne comme le premier maire du Port-Louis depuis la période révolutionnaire. Le 4 mars suivant, Louis Léchelle et son adjoint, Félix Koenig, sont assermentés à l’Hôtel du Gouvernement. Le lendemain, à la Triple Espérance, ils reçoivent le serment des autres conseillers municipaux. Louis Léchelle porte le toast d’adieu au gouverneur Anderson, le 17 octobre 1850. Il obtient que le peintre Alfred de la Hogue fasse le portrait en pied de ce gouverneur, tableau devant prendre place dans le salon d’honneur du futur hôtel de ville.

Mais pour l’instant, la nouvelle corporation municipale est en quête de mouillage. Elle bivouaque successivement à la Salle des Colons, au 37 de la rue Desforges, dans l’immeuble de Numa Geoffroy, à l’angle des rues du Rempart (Edith-Cavell) et des Créoles (Mère-Barthélemy), puis retour à la rue Desforges. Elle manque même et de peu de s’installer à l’Hôtel du Gouvernement, construit, entre autres, par Mahé de La Bourdonnais et dont l’occupation anglaise veut se débarrasser. Mais le gouverneur Higginson se montre trop gourmand. Il veut que la nouvelle municipalité achète également le château du Réduit.

S’ensuit un tollé général, alimenté déjà par les défenseurs de notre patrimoine architectural. Ce n’est que le 31 août 1866 que la municipalité du Port-Louis peut s’installer dans ses nouveaux murs : l’Hôtel d’Europe d’où est partie la délégation, dirigée par Louis Léchelle, et réclamant au bon gouverneur Anderson la mise sur pied d’une corporation municipale. Les défenseurs de notre patrimoine architectural manqueront, hélas, à tous leurs devoirs, un siècle après, quand disparaîtra à jamais l’ancien Hôtel d’Europe pour céder la place à l’actuel blockhaus en béton servant d’hôtel de ville à notre capitale.

(A suivre)

Yvan MARTIAL

 

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