Potomitan

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Annou voyé kreyòl douvan douvan

je tente d’écrire…

Jean André Constant

pour les tissus et leurs cellules
trépassant dans des corps
trop insignifiants
pour la destination de ces substances
essayant en vain de survivre
pour signifier la vanité de la mort
quand elle ne sert que la perte 

pour les faces que nous chérissons
plus que les vies
au point que nous piétinons
celles qui cherchent une chair d’appui
nous les laissons parfois sur le trottoir
ou derrière le portail de la vie

je tente d’écrire

pour ceux qui malgré la rareté des sourires
trouvent encore un air quelconque de paix
à insuffler dans les narines des souffrants
dans l’indifférence de l’ensemble
courant à pas de cadavres

pour ceux à qui restent une voix
et parfois une oreille à céder
devant la persistance des cris d’impatience

pour ceux à la faim plus grande
que  l’œsophage
(aussi courts que soient leurs goûts)
et qui voient leur faim grandir
beaucoup plus vite que leurs cris

ceux qui portent en eux
matière à répétition
de leur rage dans la cage
des manques et des familles
sous forme d’amour ou de haine
pour signifier leur haine
aux fausses amours et la haine

pour ceux qui trouvent matière à passion
à haute tension d’illusion 
dans ce qu’ils ont
et ce qu’ils n’ont pas
soit par addiction
soit pour suivre une ombre 
soit pour apprendre à s’aimer
ou tout simplement pour feindre d’exister
pour signifier leur haine pour le réel
(blessant trop l’imaginaire)

j’ai pour nous
l’ancienneté qu’on retrouve
dans toutes les douleurs
les douleurs communes mais tant singulières
tant chacune mord
taillée dans l’intensité des incises
dans l’incision de la multitude
qui se distingue toute personnelle
avant de rejoindre le carrefour de l’humanité
                
j’ai pour nous l’humanité concrète
dans la singularité des douleurs
côtoyant les joies trop personnelles
trop distantes et trop abstraites
jusqu’a ce que l’indifférence s’en mêle
pour me faire poète

j’ai pour nous la douleur humaine
nouvelle ou ancienne
mais jamais défunte ni opaque
cette douleur qui ne tait pas pour autant
les écarts entre les auteurs et leurs œuvres
les guerriers et leurs victimes
les penseurs et les soldats
les juges et les bourreaux
mes amours et leurs couteaux tranchants

j’ai pour nous le chant des enfances fragiles
qui hantent les naissances inaccomplies
dans la densité des mouvements
vers le succès de soi
le succès de son corps
le succès des siens

j’ai pour nous les déserts qui s’aventurent
dans les mouvements humains
arrachent l’amour au verbe
et nous désertent du sable
de la vie dense et tumultueuse
et aussi loin de nous-mêmes

j’ai pour nous toutes les nouveautés
qui font tanguer la ville et ses montres
dans l’intimité et la simplicité
des insectes et autres êtres chers
à la terre et aux poètes

j’ai pour nous toutes les mains absentes
ou qui le sont par oubli
dans la construction du bleu
des îles et autres terres oubliées
celles qui repoussent les nuages
au delà des montagnes
celles qui peignent les montagnes ou la vie
telles que décrites dans les bouquins
celles qui ramènent le soleil au regard
celles qui écrivent les graffitis de la liberté
celles qui font danser même en état d’urgence

j’ai pour nous l’écriture
et sa voix d’urgence
ses effets pas trop subversifs
pour vous tendre la main
pour vous raconter le drame des hommes
et des femmes en appel
et qui ont soif du bleu de la terre
vendu aux enchères
malgré le cri des moineaux

janvier, 2007

Viré monté