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Chronique du temps présent

Ce que nous enseignent les révolutions…

Raphaël Confiant

18. Mars 2011

La révolution arabe qui se produit sous nos yeux a signé, une fois de plus, la défaite des experts, spécialistes, politologues et autres islamologues. Aucun de ces brillants esprits qui, dans leurs ouvrages et sur les plateaux-télé, prétendent nous expliquer le monde arabe, ne l’avait vu venir. Rien de nouveau sous le soleil! En 1989, lorsque le Mur de Berlin s’est effondré et que le monde communiste européen est passé à la trappe, nul soviétologue ne l’avait annoncé non plus. Les Etats-Unis s’apprêtaient même à dépenser des milliards de dollars pour construire un bouclier anti-missiles afin de protéger leur territoire de la menace soviétique. Chez nous-mêmes, qui avait prévu la grève générale de 2009? Personne.

On est, dès lors, en droit de se demander à quoi sert cette débauche d’études savantes, ces rapports et ces analyses prétendument fouillés. À quoi servent les services secrets et les ambassades dont d’ailleurs Wikileaks a révélé l’ineptie des télégrammes qu’ils envoient régulièrement dans leur pays? Ne pas se poser ces questions relève du déni de réalité ou à un réflexe corporatiste, chacun, politologue, sociologue, expert en relations internationales ou journaliste visant à protéger son pré carré ou, pour le dire crûment, son pain quotidien. A cette liste, il faut évidemment ajouter les historiens que ne protègent même pas le fait de travailler sur des événements déjà passé et dont la fonction n’est pas de prédire l’avenir. Certes, mais à quoi bon étudier l’histoire si on ne peut en tirer aucune leçon particulière? Pur plaisir intellectuel?

IMPREVISIBLE

Les beaux esprits ont l’habitude de se gausser d’une notion chère à Edouard Glissant à savoir l’imprévisibilité du monde. Ils y ont vu un bavardage de poète déconnecté de la réalité, or, cette réalité justement ne cesse de leur donner tort. Car enfin, pour aller droit au but, la Tunisie, l’Egypte ou la Libye jouissent d’un PIB considérablement supérieur à bien des pays d’Afrique noire, d’Asie du Sud-Est et d’Amérique latine. Leurs populations ont un niveau de vie, d’éducation scolaire et universitaire, de couverture médicale etc…bien meilleur que dans nombre de régions du Tiers-Monde. L’explication par la seule exploitation des masses ne tient donc pas. Alors, on invoquera le caractère dictatorial des régimes arabes. Certes, mais Ben Ali ou Kadhafi sont-ils pires que Mugabe ou les généraux birmans? Non et pourtant il n’y a aucun soulèvement généralisé au Zimbabwe, en Birmanie ou encore en Guinée Equatoriale. L’argument de l’exploitation des masses et celui du caractère dictatorial des régimes arabes ne tenant pas la route, on se rabattra alors sur la spécificité de la culture arabe, voire même sur l’islam. Sauf qu’au cours des manifestations sur la place Tahrir ou celle de la Kasbah à Tunis, on n’a vu fleurir aucune pancarte se référent à l’identité arabe bafouée, encore moins à la religion de Mahomet.

Enfin, tout le monde s’est empressé de parler de première révolution-Facebook ou Twitter, comme si ces nouvelles technologies de l’information et de la communication n’étaient pas aussi utilisées dans des pays de même niveau économique que les pays arabes, voire même nettement plus pauvres. Mais il est vrai que la télé satelittaire Al-Jezeera, en prenant fait et cause pour ces révolutions, les a en quelque sorte «boostées».

On pourra toujours s’en sortir en invoquant un faisceau d’éléments où se croiseraient explications économiques, politiques et culturelles. Mais force est de reconnaître que rien, sauf l’imprévisible, ne peut expliquer que l’immolation d’un vendeurs de fruits et légumes tunisien, suite à son arrestation par la police, ait pu entraîner une révolution qui s’est ensuite diffusée à la vitesse d’une mèche à travers la quasi-totalité du monde arabe. Car ce monde arabe est justement formé de vingt-deux états assez différents, voire très différents les uns des autres. Gardons-nous d’oublier qu’il y a 5.000kms de distance entre le Maroc et la Syrie! Soit la distance Paris-New-York. Que l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, ouverts sur l’Europe, ressemblent assez peu au Yemen, à Bahrein ou à Oman, ouverts sur l’Afrique de l’Est, le Pakistan et l’Inde. Bahrein est même peuplé à 50% d’immigrés du sous-continent indien!

EXPLICATION

Sans sombrer dans le mythe du complot cher à des analystes comme Thierry Meyssan, on est en droit de s’étonner de cette traînée de poudre révolutionnaire. Voire même d’être perplexe. Tout en étant très content pour les masses arabes et en souhaitant que leurs dictateurs soient dégagés les un après les autres, on peut craindre des lendemains qui déchantent. Quand on apprend, par exemple, que les blogueurs égyptiens ont été formés par un groupe de blogueurs étasuniens dont la spécialité est de pirater ou de neutraliser les sites-web de tel pays ou de telle grande administration ou institution bancaire, il y a de quoi se poser des questions. Et les tergiversations des États-Unis face à la révolution arabe ont parfois des airs de faux-semblant. Tout comme les craintes pour le devenir d’Israël.

Gardons-nous donc de toute euphorie et espérons pour les peuples arabes que derrière leur juste soulèvement, il n’y ait pas en sous-main, dans l’ombre, des forces qui agissent en vue de procéder à une recolonisation, sous d’autres formes, de cette partie du monde!

Raphaël Confiant

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