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Chronique du temps présent

Murs et frontières…

Raphaël Confiant

14. Janvier 2011

DIVISION DU MONDE.

Des intellectuels antillais bien intentionnés appellent à la disparition des murs et des frontières entre les peuples. Cet élan de fraternalisme universalisant aurait été plus crédible si ces personnes s’étaient donné la peine de répondre à une question simple: qui érige des murs et des frontières? En effet, depuis 1980, il s’est créé pas moins de 21.000 kms de frontières dans le monde et 90% de celles-ci l’ont été en…Europe. L’URSS a éclaté en 15 états (Azerbaïdjan, Ukraine, Biélorussie, Tadjikistan, Turkménistan etc…), la Yougoslavie en 6 états (Croatie, Bosnie, Serbie, Monténégro, Slovénie et Kosovo), la Tchécoslovaquie en 2 états etc…etc…Et la Belgique n’est guère loin.

Sur le continent américain, de l’Alaska à la Terre de Feu: 0 km de frontière créée. La Bolivie n’a pas obtenu du Chili le corridor maritime qu’elle réclame depuis un siècle, Cuba n’a pas récupéré la zone de Guantanamo, ni l’Argentine les îles Malouines. Sur le continent africain: quelques centaines de kilomètres seulement suite à la fuite honteuse de l’Espagne du Sahara Occidental et l’occupation de ce dernier par le Maroc. En Asie: 0 km de frontière créée. Ni le Tibet et le Xinjiang, en Chine, ni les Kurdes en Irak, Iran et Turquie, ni les Sikhs en Inde, ni les Tamouls au Sri-Lanka ou encore les musulmans de l’île de Mindanao dans les Philippines n’ont réussi à créer des états. Et donc des frontières. En Polynésie: 0 km de frontière ou de mur.

La frontière (et le mur) est donc bien une création principalement européenne.

Et pourquoi? Parce que c’est l’Europe qui a inventé l’État-nation. Tous les grands empires non-européens étaient multilingues, multiconfessionnels et multiraciaux, le plus bel exemple étant l’Empire ottoman. Cela ne signifie pas que dans lesdits empires, les peuples vivaient dans l’harmonie et la béatitude, mais au moins n’étaient-ils pas obsédés par la délimitation de frontières.

Guerres civiles européennes.

L’État-nation est une structure par nature artificielle et belliqueuse dans la mesure même où elle doit batailler pour faire coïncider «état» et «nation». Par exemple, à partir de la Révolution française, un rouleau compresseur nordiste a été mis en marche en France pour éradiquer les cultures de l’ouest (Bretagne) et du Sud (Occitanie, Pays basque, Corse, Catalogne). L’État-nation est donc un monstre. Dans la nature, il n’existe pas. Il n’y a pratiquement aucune région du monde où à un peuple précis corresponde un territoire parfaitement circonscrit. Mêmes les peuples insulaires des dizaines de milliers d’îles du Pacifique sont étroitement apparentés et souvent mélangés. L’insularité n’est donc pas un gage de l’existence naturelle d’un État-nation.

On comprend mieux pourquoi les deux guerres mondiales ont éclaté en Europe et pas ailleurs. Quand on est obsédé par ses frontières, on ne peut que faire la guerre à ses voisins. Et si les historiens étaient sérieux, ils auraient dû parler de la Première Guerre Civile Européenne (1914-18) et de la Deuxième Guerre Civile Européenne (1939-45), ne serait-ce que parce qu’aux Amériques, en Afrique noire et en Asie du Sud-est, on n’a pas tiré un seul coup de fusil ou de canon à ces moments-là.

Il y a donc de quoi sourire quand les milieux intellectuels européens se pâment devant nos intellectuels antillais qui réclament la fin des murs et des frontières, d’autant que ces derniers se gardent bien de dénoncer ouvertement la plus honteuse de tous: le mur de séparation construit par Israël.

REFERENDUM AU SOUDAN.

À l’heure où nous mettons sous presse, nous n’avons pas encore les résultats du référendum du Soudan (9 janvier) qui doit décider si ce pays se sépare ou non en deux états: l’un arabo-musulman au Nord, l’autre afro-chrétien au Sud. Mais ce que l’on peut d’ores et déjà affirmer, c’est qu’en cas de scission, Européens et Étasuniens en auront été les grands responsables. Ils auront réussi, en armant les Sudistes et leur fournissant de l’argent à volonté, à dépecer le plus vaste pays de tout le continent africain, remettant du même coup en cause le dogme de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation et ouvrant la boite de Pandore. Car dès lors, pourquoi refuser de reconnaître le pseudo-État du Somaliland, né de la sécession de la partie Nord de la Somalie? Et pourquoi ne pas aider aussi les sécessionnistes de Casamance au Sénégal, de l’Ouest du Congo-Kinshasa ou du Sud du Nigeria?

L’importation de l’État-nation en Afrique a été une catastrophe sur un continent naturellement multilingue, multiculturel et multiethnique.

DEMOCRATIE.

Rien à voir avec tout ce qui précède. Au Conseil général de la Martinique, le temps de parole n’est pas limité. Chacun y prend la parole le temps qu’il estime nécessaire. Au Conseil Régional du même pays, depuis l’arrivée au pouvoir des héritiers de Césaire, le temps de parole de l’opposition a été limité (muselé, devrais-je dire) à 3 minutes par personne.

Cela s’appelle la démocratie non pas sous les cocotiers, mais à l’ombre des balisiers.

Raphaël Confiant

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