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Lafferière, Saw et Césaire 17.01.2014 |
Deux prestigieuses institutions françaises viennent donc d’accueillir en leur sein deux étrangers: l’écrivain haïtiano-québécois Dany Lafferrière à l’Académie française, au fauteuil occupé jadis par Montesquieu, puis Alexandre Dumas; le sculpteur sénégalais Ousman Saw à l’Académie des Beaux-Arts. Faut-il s’en étonner? Non point. Edouard Glissant aimait à dire que l’Occident est le lieu des extrêmes c’est-à-dire qu’il oscille en permanence entre la plus extrême cruauté et la plus extrême générosité. Ses cruautés, on les connait: génocide des Amérindiens, esclavage des Noirs, destruction des Juifs d’Europe et tant d’autres. On connait ou on célèbre bien moins ses générosités parmi lesquelles, pour ne citer que les plus récentes, toute cette floraison d’ONG («Médecins sans frontières» etc.) qui, partout à travers le monde, s’emploie à soulager la misère.
Un exemple frappant: lorsque ce terrible tsunami avait frappé le pays musulman le plus peuplé du monde, l’Indonésie, on se serait attendu à ce que les monarchies pétrolières du Golfe, solidarité musulmane oblige, volent à son secours. Ce fut le cas mais dans des proportions nettement moindres, dix fois moindre, que les pays occidentaux. C’est que les non-Occidentaux sont dans une sorte de «moyenneté» qui explique sans doute que malgré des civilisations anciennes et brillantes, ce ne sont pas eux qui ont conquis le monde, mais l’Occident.
Prenez le cas de Xang-He, cet amiral chinois (de confession musulmane) qui, à peu près à la même époque où Christophe Colomb «découvre» l’Amérique, à la fin du 15è siècle donc, débarque à la tête d’une flotte d’une dizaine de bateaux sur les côtes de l’actuel Kenya, cela après un périple de 15.000 kms. Xang-He se contente de ramener trois girafes et deux plants de café à l’empereur de Chine et prend le chemin du retour!!! Si Christophe Colomb avait agi de la même façon (il a certes ramené quelques Amérindiens et des perroquets), nul doute qu’il eût été pendu haut et court par Ferdinand et Isabelle de Castille. Il a dit: j’ai découvert un nouveau continent, donnez-moi les moyens de le coloniser. Et cette attitude occidentale n’a rien à voir avec une quelconque supériorité technique. Invité avec une dizaine d’autres écrivains du monde entier à la Foire Universelle de Séville (Espagne) en 1992, quelle ne fut pas ma stupéfaction devant la reproduction à l’identique des embarcations de Xang-He et de Colomb: le Chinois avait traversé la Mer de Chine, l’archipel de la Sonde et l’océan Indien à bord de bateaux gros comme l’Express des Iles tandis que l’Italo-espagnol avait traversé l’Atlantique à bord de caravelles à peine plus grosses que des…gommiers. C’est qu’à la fin du 15è siècle, la Chine disposait d’une avance considérable sur l’Occident en matière de construction navale. Elle n’en a pas profité…
Académies
L’accueil donc de Lafferriere et de Saw au sein de ces deux institutions françaises est à mettre au compte de la générosité occidentale, de sa face lumineuse, qu’il serait malhonnête à nier. Dans une chronique publiée récemment dans ce même journal, Y-L. Monthieux écrit: «Un écrivain martiniquais devrait-il siéger dans le petit gouvernement de l’Académie française, comme l’Haïtien Dany Laferrière qui vient d’y être admis? Des césairolâtres avaient prêté à leur idole son refus d’y participer comme son ami Senghor. La vigilance martiniquaise doit-elle se prolonger jusque-là?». La semaine d’avant, il se plaignait que Césaire ait interdit aux Martiniquais de siéger dans un gouvernement français; cette fois, il évoque le refus du même Césaire d’entrer à l’Académie française tout en doutant que cette proposition lui ait été faite. Je rassure Y-L. Monthieux: oui, à maintes reprises, des intellectuels français ont sollicité le père de la Négritude, mais il leur a opposé une fin de non-recevoir. Je le tiens de sa propre bouche lors des entretiens que j’ai eu la chance d’avoir avec lui à la fin de sa vie.
Et pourquoi un tel refus? L’explication est la même que pour l’acceptation d’un poste ministériel: tant que la Martinique ne s’autogouvernera pas, tant qu’elle sera sous tutelle, il nous interdit de participer à un quelconque appareil d’Etat ou à ses institutions. Ce n’est là point haine du peuple français car toute collaboration avec des organismes non-étatiques ou acceptation de distinctions émanant de ces dernières est non seulement admise, mais même recommandée. Et puisque Césaire est un écrivain, seul un imbécile peut croire que le président de la République ou le premier ministre français peut téléphoner aux jurys du Prix Charles Veillot (attribué à Césaire) ou du Prix Goncourt (attribué à Chamoiseau) pour exiger que les dits jurys attribuent leur prix à ces auteurs antillais. À moins de penser qu’il n’y a aucune différence entre la France et l’Ouzbékistan. Les jurys littéraires français ne sont pas des organismes d’Etat!
Par contre, Lafferière étant haïtiano-quécois et Saw sénégalais, leurs pays étant indépendants, il n’y a aucun problème à ce qu’ils intègrent l’Académie française ou l’Académie des Beaux-Arts. Certes, Haïti et le Sénégal furent des colonies françaises, certes l’indigène y a été esclavagisé et exploité, certes une certaine domination occidentale y perdure par le biais des multinationales, mais au moins ces deux pays ont-ils le choix. Ils peuvent se tourner vers d’autres pays que la France. Il y en a 197 à l’ONU! Taïwan et la Chine se sont récemment battus pour construire récemment un hôpital, comparable à La Meynard, chez notre voisine Sainte-Lucie. La Martinique, elle, n’a pas le choix. Voilà le problème! Et puis, ces pays n’ont qu’à s’en prendre à leurs élites corrompues: si Karim Wade, le fils de l’ancien président sénégalais Addoulaye Wade, est actuellement en prison, ce n’est pas de la faute du paysan breton ni de l’ouvrier de Renault.
Donc, non, de même que nous n’avons pas besoin de ministre dans le gouvernement français, nous n’avons pas besoin d’académicien non plus, cher Y-L. Monthieux. Césaire a toujours été très clair là-dessus.
Raphaël Confiant