Kaz | Enfo | Ayiti | Litérati | KAPES | Kont | Fowòm | Lyannaj | Pwèm | Plan |
Accueil | Actualité | Haïti | Bibliographie | CAPES | Contes | Forum | Liens | Poèmes | Sommaire |
La jarre d'or: par Maurice BELROSE (in "JUSTICE", semaine du 18 au 25 octobre) |
Raphaël Confiant, l'un des meilleurs représentants du courant de la Créolité, est, on le sait, un écrivain prolixe, à l'imagination apparemment intarissable. Il vient de publier au Mercure de France son dernier roman, intitulé La jarre d'or, où règne un climat qu'on dirait inspiré du “réalisme magique” du Colombien Gabriel Garcia Marquez. L'action se déroule dans deux espaces privilégiés, qui sont le Nord-Atlantique (Lorrain, Basse-Pointe) et la ville de Fort-de-France, plus précisément le quartier populaire des Terres-Sainville où est venu échouer le romancier raté Augustin Valbon, issu de la petite bourgeoisie mulâtre du Nord-Atlantique. L'auteur, conformément à ce qui chez lui constitue déjà une tradition, met en scène des personnages récurrents, hauts en couleur, dont certains ont existé réellement, tels Bec-en-or, Grand Z'Ongles ou encore Lapin Chaudé, et qui côtoient d'autres personnages tout aussi pittoresques créés pour la circonstance.
L'histoire est construite sur une croyance jadis profondément ancrée dans l'esprit des Martiniquais de la campagne: celle de la jarre contenant un trésor, enterrée par quelque riche Béké et gardée par le cadavre ou la tête d'un Nègre esclave sacrifié pour l'occasion. Cette jarre, évidemment maudite et placée sous la protection du diable, était réputée insaisissable, à moins que le chercheur de trésors ne possède des pouvoirs supérieurs à ceux du diable ou ne soit sollicité par quelque âme en peine voulant se faire pardonner ses crimes. Signalons que cette légende, dont Confiant a compris l'intérêt éminemment romanesque, existe dans d'autres pays de la Caraïbe. Au Venezuela par exemple, durant la Guerre d'indépendance, précisément en l'an 1814, beaucoup de familles blanches créoles de Caracas ont enterré leurs bijoux et leurs pièces d'or avant de s'enfuir pour échapper aux massacres perpétrés par le caudillo espagnol Boves et ses guérilleros noirs et mulâtres. Ce fait historique est venu conforter la vielle légende coloniale de l'entierro, c'est-à-dire du trésor enterré.
Raphaël Confiant prend donc cette légende comme matière première de son roman, mais en transformant le contenu de la jarre, laquelle, contrairement à ce que suggère le titre de l'œuvre, ne recèle ni bijoux ni pièces d'or, mais des livres aux pouvoirs magiques, biens inestimables dans un pays comme la Martinique des années 50 où les gens étaient très superstitieux.
L'histoire est racontée par plusieurs voix narratives qui alternent: celle d' Augustin Valbon lui-même, qui est à la fois narrateur autodiégétique, c'est-à-dire parlant à la première personne, et acteur; celle du narrateur hétérodiégétique, omniscient, s'exprimant à la troisième personne; celles des fossoyeurs Charlemagne et Zoklet. À la fin de l'œuvre, le fils prodigue qu'est Augustin Valbon, retourne vivre chez ses parents.
Et alors, son père qui avait tout tenté pour l'écarter de la littérature, accepte de reconnaître qu'il a du talent et l'incite à écrire “un livre qui s'appellera La Jarre d'or”. Ainsi, le lecteur est invité à accepter l'idée que le roman de Raphaël Confiant qu'il est en train de lire n'est autre que celui que le personnage Augustin Valbon a reçu mission d'écrire, comme si l'auteur et le personnage qu'il a créé n'étaient qu'une seule et même personne.
Augustin est en train de vivre à ce moment-là un drame terrible engendré par le fait que le romancier dont son père apprécie tant le talent n'est pas connu sous sa véritable identité, mais sous celle, inventée, de Lionel-Henri de Médrac, dont les romans romantiques construits autour du personnage féminin Louisiane sont salués unanimement par la critique parisienne.
En réalité ce drame est plutôt une tragi-comédie sous fond de réalisme magique. En effet, Augustin, médiocre écrivaillon socialement déclassé, n'a trouvé l'inspiration salvatrice qu'en s'amourachant d'une défunte du nom de Louisiane, dont le cadavre a été retrouvé intact, longtemps après son suicide, par Zoklet qui en est tombé aussitôt amoureux. Informé de l'aventure de Zoklet par Charlemagne, Augustin qui a connu -ou croit avoir connu- Louisiane de son vivant, transforme celle-ci en personnage des romans de Lionel-Henri de Médrac et s'éprend d'elle à la folie, au fur et à mesure qu'il la recrée littérairement.
La jarre d'or révèle un nouveau Confiant, moins tenté par l'anthropologie, plus soucieux de la dimension romanesque, quoique toujours aussi attaché à la simplicité de l'expression et à la création -ou défense- d'une langue littéraire martiniquaise spécifique. L'humour continue de fleurir dans ses pages, où le sexe est toujours présent, bien que moins cru. Confiant emprunte dans ce roman la voie du réalisme magique, alors que ce courant n'a presque plus d'adeptes en Amérique Latine. Et pourtant on ne saurait le taxer d'écrivain archaïque. Il vit simplement au rythme de son pays.
En tant que lecteur quelque peu exigeant, car attentif, je lui dirai que si j'adhère sans réserve à sa représentation magique de notre réalité, je ne peux accepter l'idée qu'il ait pu y avoir une cave dans la maison Grand Z'Ongles, car le quartier de Terres-Sainville de l'époque, que j'ai connu dans mon enfance, était une zone encore marécageuse où il était impossible de creuser la moindre cave. Par contre, ce qu'il y avait dans les maisons traditionnelles, c'étaient des galetas.
La jarre d'or: un livre à lire et à savourer!
M.Belrose