Kaz | Enfo | Ayiti | Litérati | KAPES | Kont | Fowòm | Lyannaj | Pwèm | Plan |
Accueil | Actualité | Haïti | Bibliographie | CAPES | Contes | Forum | Liens | Poèmes | Sommaire |
Articles 73 et 74: 18 Décembre 2009
|
Décidément, l’annonce de la consultation référendaire le 10 janvier 2010 est l’occasion rêvée pour certains de se lâcher, comme on dit, dans la presse, les médias audiovisuels ou encore l’Internet. Chacun y va de son analyse pseudo-savante, de sa petite phrase tantôt fielleuse tantôt assassine. Si l’initiative Lise-Marie-Jeanne a eu au moins un mérite, c’est celui de libérer la parole. Pourquoi s’en plaindre? il existe tellement de pays où le seul fait de prononcer tel mot ou d’écrire une simple phrase vous conduit directement à la geôle! Et puis, si cet exercice peut avoir un effet cathartique aussi bien au niveau individuel qu’au niveau du peuple martiniquais globalement considéré, on ne peut que s’en féliciter.
Le seul hic – et il est de taille – c’est que dans ce flot, devenu incessant, de paroles et d’écrits, on entend et on lit du tout et du n’importe quoi et malheureusement, surtout du n’importe quoi. Des deux côtés, de celui des pro-73 comme des pro-74, avec tout de même la palme d’or aux pro-73 qu’on retrouve, il est vrai, sur tout l’échiquier politique depuis la Droite assimilationniste jusqu’aux Trotskystes en passant par le PPM.
GRENN-DE
Continuons donc notre inventaire… «Nous devons être pleinement conscients que nous jouons aujourd’hui l’avenir de nos enfants. Ne jouons pas aux dés!» s’exclame l’un de ces grands penseurs avec des trémolos sous sa plume. Ce leitmotiv qu’est «l’avenir de nos enfants» a de quoi laisser rêveur. On se demande si cette personne ignore que sur les 37.000 chômeurs que compte la Martinique, près de 64% sont des jeunes et que donc, ce n’est pas à cause d’une éventuelle autonomie que leur avenir sera barré. Il l’est déjà dès aujourd’hui! Dès aujourd’hui – et cela depuis au moins trois décennies – nos dipômes Bac + 3, + 4 ou +5 ne trouvent pas de travail et cela pour deux raisons: parce qu’il n’y a plus d’économie au sens propre du terme en Martinique d’une part et d’autre part parce que dans la simili-économie qui existe grâce aux transferts financiers franco-européens, les meilleurs postes se voient attribués à des non-Martiniquais. Qu’on arrête donc de faire peur aux gens avec l’autonomie en leur faisant croire que cette dernière risque de causer la perte de leurs enfants! C’est malhonnête. Leurs enfants sont déjà foutus, RMIsés, ANPEisés, forcés à l’émigration etc… dans le système actuel et depuis belle lurette.
Sourions ensuite à l’image du jeu de dés! Au «grenn-dé» ou au «sèbi» comme on dit en créole. En effet, on sait que le chiffre 11 y est le chiffre magique, le chiffre gagnant. Lorsque le joueur s’apprête à lancer les dés, il s’écrie: «Wonz!... 11, man di’w!». Parfois, il lui arrive, réminiscence de la table de multiplication sans doute, de souffler sur les dés et de crier (alors même que les dés ne sauraient lui donner qu’un 6 + un 5): «Ba mwen an 7 épi an 4, fout!» (Donnez-moi un 7 et un 4, bon sang!»). Autant dire 11 au «sèbi» normal et…74 au «sèbi politique». Mais trêve de plaisanterie: la politique n’est pas un jeu de «sèbi», cher monsieur!
LEADER NATUREL
Poursuivons… Sur un site-web, un prétendu anthropologue écrit que le rassemblement des pro-74 consiste à «transcender les divergences politiques et les répulsions personnelles pour la stratégie du TSL (Tout Sauf Letchimy) en organisant l’isolement systématique de celui que le siècle nouveau impose comme le leader naturel de la Martinique émergente». Dans la Grèce antique, ce genre de chant à la gloire des héros s’appelait un péan. De nos jours, cela relève plus prosaïquement de la basse flagornerie. Mais une flagornerie éminemment dangereuse car teintée de macoutisme à travers cette notion de «leader naturel». Ce monsieur se croit-il chez Amin Dada? Car enfin, un leader se fait petit à petit, se forme, se construit. Pour cela, il lui faut du temps, des années. Il lui faut combattre dans l’obscurité, avec obstination et abnégation, jusqu’à ce que peut-être il émerge à la lumière. Peut-être. Personne ne nait avec des chromosomes qui feraient de lui un leader naturel! Ainsi A. Marie-Jeanne et G. Malsa ont milité dur, dans la plus parfaite indifférence au début, l’un à Rivière-Pilote, l’autre à Saint-Anne, subissant des défaites ou des revers, mais n’abandonnant jamais la lutte. Claude Lise a subi les foudres du shériff Michel Renard qu’il a eu le courage d’affronter électoralement au Marigot et dont les «dogs» lui ont fracassé les vitres de sa voiture à coups de roches. D’autres leaders martiniquais, y compris de Droite, ont, eux aussi, accompli ce parcours du combattant.
Disons-le tout net: cette notion de «leader naturel» est une notion fasciste. S. Letchimy est un homme non dénué de qualités, mais rien dans son passé militant ni dans présent ne fait de lui «le leader naturel de la Martinique émergente» comme l’écrit le flagorneur. En réalité, il existe une coupure, voire un abime, entre la totalité de notre corps politique et notre jeunesse. Pour ces jeunes, vêtus d’oripeaux noirs américains ou rastafariens, perdus, incapables d’être simplement martiniquais, qui «donnent chaîne à la rue» sans travail qu’ils sont, livrés au «zeb» et à la drogue, prompts à la violence (y compris contre eux-mêmes: voir les morts à moto), il n’y a aucun leader naturel. AUCUN. Ni Letchimy. Ni Marie-Jeanne. Ni Lise. Ni Malsa. Ni personne d’autre. Et la meilleure preuve en est la disparition des mouvements de jeunesse des partis politiques. Où est «An lot chimen pou lajénes» du CNCP qui flamboyait dans les années 80? Quid de la section étudiante de l’Assaupamar? Alors bien sûr, nos partis exhiberont de temps à autre deux-trois «jeunes», sauf que ces derniers sont plus près de la trentaine qu’autre chose, qu’ils ont déjà le plus souvent un travail et ne sont absolument pas représentatifs de notre jeunesse déboussolée.
Donc, oui, Serge Letchimy, comme d’autres de sa génération, a vocation à devenir l’un des leaders de la Martinique de demain, mais cela n’aura rien de «naturel». Ce sera le résultat de son travail, d’un travail acharné, au jour le jour, parfois sans gloire, parsemé de déceptions et de victoires. Et d’ailleurs, rien ne dit qu’il y parviendra ! Des tas d’hommes brillants n’ont jamais réussi à percer. Ainsi va la carrière de tout homme politique en…démocratie tout au moins. Il n’y a qu’en royauté qu’il existe des leaders naturels : le flagorneur en question veut-il nous faire revenir à l’époque de Béhanzin ou de Haïlé Sélassié?
LA PEUR AU VENTRE
Mais la palme de l’indignité revient à un universitaire du campus de Schoelcher qui, dans un texte intitulé «Article 74: éloge de la peur», explique pourquoi il votera deux fois «Non»: «non» le 10 janvier à l’article 74 et «non» le 24 janvier à l’assemblée unique. Jamais je n’ai eu aussi honte d’être enseignant à l’UAG qu’en lisant ce tissu d’imbécilités assimilationnistes, ce catalogue de toutes les peurs rassies et rancies qu’on pourrait, à la rigueur, admettre chez un analphabète, mais qui font frémir quand on sait que leur auteur est chargé de formé non pas seulement la jeunesse martiniquaise, mais celle qui est censée en être l’élite. Qu’on en juge par ce court extrait:
«J’ai peur de ce débat de savants auquel je ne comprends rien…
J’ai peur que d’ici janvier, on vienne encore me remplir la tête de juridique, d’économique, de constitutionnel, enfin un tas de gros mots mensongers… etc…etc…»
Qu’on me comprenne bien: c’est le droit le plus absolu de tout citoyen de choisir ses options politiques et de les exprimer. Ce qui est choquant, c’est que venant d’un universitaire, on s’attendrait à ce qu’il s’explique à l’aide d’arguments rationnels et surtout économiques (puisqu’il enseigne cette discipline). Eh bien non! Sorte de caricature de Ti Sonson, notre homme fait appel aux sentiments les plus frustres, mélangeant la peur de perdre sa retraite à la peur des…cyclones et des tsunamis!!! J’avoue que quand j’ai lu le texte la première fois, j’ai cru qu’il s’agissait d’une provocation visant à ridiculiser les assimilationnistes et autres immobilistes. Mais quand j’ai eu la confirmation qu’il s’agissait bien des convictions profondes de son auteur, j’en suis tombé des nues. Jusqu’à maintenant, j’ai du mal à y croire! Mais bon…(C’était le même qui, il y a quelques années, avec le GRS, prétendait faire venir 50.000 personnes en Martinique pour le Forum Social Caribéen!)
ELECTIONS REGIONALES
Un petit «zoy» enfin contre les pro-74. Lors d’une réunion publique d’un des mouvements soutenant cet article, quelqu’un a posé la question suivante: et si, comme en 2003, le peuple désavouait Marie-Jeanne en janvier et le plébiscitait aux régionales de mars, Chaben acceptera-t-il de gérer une Martinique régie par l’article 73? Ne devraient-il pas, Lise et Lui, mettre dès maintenant leur démission dans la balance au cas où le peuple dirait «Non» le 10 janvier? (Cela s’est passé trois jours avant la déclaration de Chaben disant qu’il ne continuerait pas a «chayé dlo an panyen»). Il lui fut répondu, à cette personne, qu’il ne fallait tout de même pas livrer la Martinique à Conconne et à Meignan.
M’ouais…
Raphaël Confiant