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Chronique du temps présent

L’article 74: un tout petit début de commencement d’autonomie…


Raphaël Confiant

13 Novembre 2009

 

 

 

 

 

74

L’article 74, ce n’est pas l’autonomie. Surtout quand on examine la liste plutôt restreinte des compétences demandées par le Congrès du 18 juin dernier: transport, éducation, environnement etc... Ce n’est que le tout petit début de commencement d’une certaine forme d’approche de l’autonomie. Quelque chose qui est de l’ordre du Coca-light par rapport au Coca normal. C’est pourquoi les cries d’orfraie de la Droite et du néo-PPM ont quelque chose à la fois de malhonnête et scandaleux. Surtout le PPM avec sa prétendue «période d’expérimentation de six ans», lui qui n’a eu de cesse de réclamer l’autonomie pendant 50 ans.

Bref, il n’y pas fouetter (ou effrayer) un chat dans le 74. Car cet article 74 est un minuscule sac dans lequel même un chaton serait mal à l’aise. Le diaboliser donc est une atteinte à l’intelligence des Martiniquais et en faire un épouvantail («élever un mur de la peur» dit joliment Claude Lise), c’est s’exposer à ce que le mot «autonomie» remplace le mot «indépendance» dans la tête de Ti Sonson. On aura d’ailleurs remarqué que depuis près de deux ans, plus personne n’emploie le mot «indépendance», hormis deux-trois groupuscules d’extrême-gauche qui ne disposent d’aucune représentation électorale. En fait, quand je dis «c’est s’exposer», le mal est fait. Il est là, déjà là. Qu’on lise les articles pro-73 ou qu’on écoute les propos radio ou télédiffusés des 73-zistes et on se rendra compte que le mot «aventure» y revient de manière obsessionnelle, presque délirante. Les pro-74 veulent mener le peuple à l’aventure, clament-ils sur tous les tons! C’est vrai que Lise et Marie-Jeanne ont des têtes de Christophe Colomb. Ou de Livingstone…

Quand le néo-PPM aura donc suffisamment diabolisé le «mot» autonomie, quand le 17 janvier au soir, il fêtera la victoire (annoncée) du «NON», il voudra nous faire croire que six ans plus tard, les Martiniquais trouveront subitement des vertus extraordinaires à ce statut et voteront comme un seul homme pour lui. Non, messieurs! Autour de moi, le résultat de votre lamentable campagne est déjà palpable : autour de moi, tous les gens, d’âges variés et de conditions diverses, qui prononçaient le mot «indépendance» avec défiance ou dégoût, ne l’emploient plus du tout. Et vous voulez savoir pourquoi? Parce que vous avez réussi votre coup: remplacer dans leur tête «autonomie» par «indépendance». Bravo! Vous pouvez être fiers de vous. Surtout les intellectuels et autres universitaires qui vous accompagnent dans ce qui est, à mon sens, une véritable campagne d’abaissement mental et moral du Martiniquais. Une campagne abjecte visant purement et simplement à infantiliser ce dernier.

RIRES

L’e-mail a quelque chose de fascinant: il permet en trente secondes de contacter quelqu’un n’importe où à travers le monde et d’obtenir une réponse dans la minute, le quart d’heure ou l’heure qui suit. Je me suis donc amusé à envoyer l’article 74 et les compétences demandées par le Congrès de la Martinique à des connaissances dans des pays où existent une forme ou une autre d’autonomie. Leur réponse unanime: un vaste éclat de rire virtuel. LOL! (laught out lourder). Ainsi un ami canarien se demande (le pauvre!) pourquoi nous n’aspirons pas à gérer nous-mêmes nos impôts locaux. Un Catalan ne voit nulle part de revendication du créole comme langue co-officielle à côté du français, ce qu’est le catalan par rapport à l’espagnol dans son pays, ni d’obligation d’enseignement de la langue de la Maternelle à l’Université. Un Corse, qui a visité la Martinique et qui a été scandalisé par le bétonnage de notre littoral, ne voit nulle part d’outil permettant d’exproprier les contrevenants (je suppose qu’il pense au Cap Est qui l’a beaucoup choqué lors de son séjour ici). «Il n’y a pas de villa les pieds dans l’eau en Corse!» m’écrit-il. Oubliant d’ajouter que lorsque par hasard un richissime étranger s’avise d’en construire une, des encagoulés se chargent de la plastiquer la nuit venue. Un Açorien (de l’île de Terceira) ne voit rien concernant la maîtrise des transports aériens, chose vitale pour une île. Un Québécois s’écrie «What?» (en français dans le texte). Ce qui signifie «C’est quoi ça?», en voyant qu’il n’y a rien dans la liste des compétences qui concerne la coopération régionale et internationale. C’est quoi votre autonomie Coca-light qui fait tant trembler les gens apparemment, me rétorquent-ils tous? Je consacrerai bientôt une «Chronique du temps présent» entière à la publication de ces différentes réactions. Car il faut arrêter de se gratter le nombril. Il faut sortir du débat martinico-martiniquais et martinico-français. Il y a des centaines de pays à travers le monde qui possèdent des statuts d’autonomie divers et variés et le rôle des politiques et des intellectuels martiniquais est d’introduire cette donnée dans le débat (au lieu de perdre du temps à pondre de petits chefs d’œuvre de banalités jésuitiques comme le Manifeste du Mouvement des Autonomistes et Progressistes). Certes, nous sommes territoires français et c’est la constitution française qui nous régit, mais il y a dans les expériences d’autonomie à l’étranger largement de quoi nourrir notre réflexion, ce qui aura l’avantage en plus, d’éviter à certains de débiter des âneries sur un ton docte de professeur de Sciences péteux.

REMEDE MIRACLE

Mais en toute honnêteté, tout ça c’est un peu aussi la faute des pro-74. Ils disent, en effet, ou laissent dire, que le 74 c’est l’autonomie alors qu’ils savent pertinemment qu’il ne s’agit que d’un tout petit début de commencement d’approche d’autonomie. En réalité, le 74, c’est tout simplement… la période d’expérimentation demandée par le PPM!!! On expérimente tout de suite au lieu d’attendre 6 ans. Voilà tout! Je sais que mes camarades pro-74 vont hurler en lisant mes propos, mais c’est ce que je crois. Je crois très sincèrement que le néo-PPM n’a aucun problème avec l’autonomie (à moins qu’il ne soit composé de schizophrènes). Le néo-PPM n’a aucun problème avec la liste des compétences demandées par le Congrès. Le seul problème, le gros problème du PPM, c’est qu’il veut que ce soit lui, et personne d’autre, qui conduise la Martinique à l’autonomie. Il refuse que ce soit le tandem Lise/Marie-Jeanne. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il n’y a aucune opposition idéologique, aucun opposition de fond, entre le néo-PPM et le camp du 74. Il y a juste un conflit de pouvoir. Et c’est là que le spectacle devient lamentable. Oui, lamentable, ces 6 ans supplémentaires qui n’ont pour seul et unique objectif que d’attendre que Lise et Marie-Jeanne soient hors jeu politiquement à cause de l’horloge biologique. Calcul mesquin, ignoble, qui discrédite encore plus les universitaires et autres intellectuels qui «soutirent» le néo-PPM.

DIVERSION

Car s’il y avait une vraie opposition idéologique entre le néo-PPM et le camp du 74, ça se saurait. Et d’ailleurs la meilleure preuve qu’il n’y en a aucune, c’est que le PPM a commencé d’abord par réclamer un «article 74 constitutionnalisé»! Cela les partisans du 74 ne le rappellent pas assez, ne le martèlent pas suffisamment. Il faudrait photocopier les textes du «Progressiste» qui en parlent et les diffuser massivement. Oui, au début de ce débat, le néo-PPM a été pro-74, même s’il s’agissait d’un 74 constitutionnalisé (ce qui, soit dit en passant, nécessite la réunion du Congrès de France soit le rassemblement au Palais de Versailles de près d’un millier de députés et de sénateurs qui sortiront du fin fond de la Vendée ou de la Lozère juste pour voter un article concernant l’importantissime Martinique. Sans compter que ce genre de congrès coûte 1 million d’euros!). Ce n’est donc que dans un deuxième temps que le néo-PPM s’est rabattu sur son fameux article 73 constitutionnalisé. Oui, dans un deuxième temps! Cette valse hésitation démontre sans discussion possible que la position du néo-PPM n’est pas fondée sur une divergence d’appréciation de notre situation politique, mais simplement sur la volonté d’éviction de Lise et Marie-Jeanne.

En fait, la seule vraie opposition idéologique se situe entre la Droite et le camp du 74. Là oui, on a des deux côtés des convictions idéologiques fortes que l’on cherche à faire prévaloir. On n’est pas dans la valse-hésitation, dans le pas-de-deux, dans l’astuce de «6 ans d’expérimentation». L’appel à voter «NON» le 17 janvier lorsqu’il émane de la Droite reflète donc un vrai positionnement idéologique. Ce même appel dans la bouche du néo-PPM n’est qu’une misérable tactique visant à s’emparer du leadership politique de la Martinique. Car faut-il rappeler à ces messieurs que, même s’ils contrôlent la capitale de la Martinique, ils ne représentent que 17% des élus. D’où leur malhonnêteté à contester les résolutions des deux congrès de la Martinique puisque ces résolutions ont été prises à 74% de majorité et ces 74% d’élus ont été démocratiquement élus par le peuple martiniquais que l’on sache! Ils n’ont pas été désignés par un quelconque dictateur!

Alors, le néo-PPM a beau jeu de dire que ces 74% d’élus n’ont pas été mandatés par ceux qui ont voté pour eux afin qu’ils conduisent la Martinique au 74. Je veux bien! Mais le néo-PPM a-t-il, lui, reçu mandat du peuple pour réclamer dans un premier temps un 74 constitutionnalisé, puis dans un deuxième temps, un 73 constitutionnalisé?

Arété ti jé makak zot la, mésié !

Raphaël Confiant

 Viré monté