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Journées scientifiques en hommage Écouter et habiter le monde autrement IFC-Yaoundé, 05-06 Novembre 2024 Contacts |
F®(r)ictions et ondes transatlantiques: des rendez-vous masqués aux rendez-vous manqués avec [l’œuvre de] Maryse Condé (André et Simone Schwarz-Bart, L. G. Damas)
Kathleen GYSSELS
Francophonie, littératures postcoloniales, écritures et littératures diasporiques (noire et juive) Universiteit Antwerpen, Belgique
Dans un mail du 20 janvier 2008, Maryse m’écrit, me remerciant d’avoir envoyé à New York le bel essai de Nicole Simek, Eating well, Reading well: paru dans ma collection Francopolyphonies (Rodopi, 2008)
P.S.: «Méfiez-vous de l’intertextualité. Vous rapprochez des miens des textes que j’ai à(sic) peine lus et qui ne m’ont certainement pas influencée (sic).» Certes, comme Pierre Assouline, je suis friande des entretiens d’auteurs, mais je me méfie de leurs déclarations tantôt réfléchies, tantôt irréfléchies. Je ne suis ni la seule, ni surtout la première à avoir interrogé les entretiens nombreux de l’auteure, «nomade inconvenante». La formule est à prendre au double sens de «dérangeante» et «changeante», versatile (changeant de place, de discours, de ton, à propos de l’un ou l’autre sujet et surtout de confrère ou de consœur dans le champ littéraire antillais et plus largement caribéen, voire africain américain. Dans ma communication, je prouverai que Condé s’est bien inspirée de Pluie et vent, d’une part, et de La Mulâtresse Solitude, de l’autre. La friction qui émerge entre deux grandes romancières guadeloupéennes s’exprime de surcroît à travers l’intertextualité dans Histoire de la femme cannibale, parmi d’autres endroits. Le même en/jeu (celui de s’inscrire dans une lignée de sororité noire, et le cache-cache de l’emprunt par calque du titre («L’œil le plus bleu», titre d’une de ses nouvelles), s’affiche aussi avec Toni Morrison (dont elle nie pareillement avoir été influencée, voire avoir apprécié ses romans). Alors à quoi joue Maryse Condé lorsqu’elle contredit ainsi ce qui dans la pratique s’énonce distinctement? Avec le poète Damas, de Cayenne, Condé s’est apparemment sentie peu apparentée, et contrairement aux cas précédents (les Schwarz-Bart), le troisième cofondateur de la Négritude ne l’a guère accompagnée. C’est d’autant plus dommage, car trois points essentiels de sa poétique convergent avec trois thématiques prépondérantes. Des rendez-vous masqués (le cas schwarz-bartien) aux rendez-vous ratés (le cas damassien), je parcours ces virevoltes de l’auteure nomade et inconvenante.
Maryse Condé ou l’imaginaire de la liberté
Jean-Paul II DJOUM
Université de Yaoundé 1
En faisant le procès de la société coloniale, Maryse Condé définit une écriture de l’aspiration à être. Par des esthétiques particulières, elle interroge la condition des Noirs qui donne à imaginer. Face à l’ambigüité, le besoin d’inventer s’impose, d’où, cette sorte de fiction. Face au social et à l’historique, cette écrivaine des marges bâtit un imaginaire en vue d’une reconquête de soi, d’une reconstruction et d’une reconstitution. Dans une confrontation de ses expériences relativement aux contradictions qu’elle affronte, elle propose un imaginaire à fond d’engagement. C’est donc un imaginaire qui est un dépassement de la propre expérience de l’écrivaine; ce dépassement établit une déconstruction des discours dominants et est une revendication de l’autonomie de son écriture. Maryse Condé, par sa parole de la rupture et de promotion de l’altérité, se sent préoccupée par la condition et la situation de l’Afrique. C’est donc à partir de la problématique des souffrances, des identités et de l’exil qu’elle fait voir l’analyse des dynamiques à l’œuvre pour traiter de l’imaginaire. Cet imaginaire n’est-il pas la préfiguration d’une Afrique nouvelle et forte? le présent article a pour ambition de montrer comment cette auteure parvient à articuler la problématique de l’imaginaire avec celle de la liberté au point où l’on peut conclure que sa poétique de l’imaginaire correspond à une poétique de l’espoir et de la liberté des Noirs.
Crise de l’humain et poétique de la relation: analyse sémio-imagologique de «solo» et «ayissé» de Maryse Condé
Harman KAMWA KENMOGNE
ACEL -Université de Yaoundé I / LASPAIHICA
L’une des fonctions de la littérature n’est-elle pas d’interroger notre façon d’habiter le monde face aux évènements qui se produisent souvent à notre insu, qui s’imposent à nous et qui impactent immanquablement le fil de notre histoire où la beauté du jour est parfois contrainte de cohabiter avec les tentacules de la longue et grande nuit (A. Mbembe, 2013)? Cette fonction est au cœur des nouvelles «Solo» et «Ayissé» (1997) dans lesquelles Maryse Condé explore le quotidien apparemment banal du tissu familial et social des Caraïbes, mais dont les liens complexes issus de multiples recompositions et compromissions suscitent un questionnement existentiel profond où les valeurs culturelles et morales, aux prises avec les avatars de la misère et du jeu politique trouble et malsain, semblent céder peu à peu. Dans cette étude, nous voulons relire ces deux nouvelles afin de montrer, à l’aide des présupposés de la sémiotique narrative et de l’imagologie, que le questionnement existentiel est ici l’expression de la crise de l’humain mise en relief à travers la poétique de la relation (Glissant, 1990) qui fait exister le sujet par son rapport à l’Autre qui devient, d’une part, un espace symbolique d’auto-contemplation et, d’autre part, une unité de mesure (modération, bienséance) ou de démesure (folie, hybris) de notre humanité individuelle et collective. Il ressort de notre étude que le sujet individuel tire son identité du tissu familial et social, ainsi que des rencontres qui l’habitent, l’entourent et le traversent de façon discontinue dans un contexte sociopolitique où les aspirations personnelles sont parfois phagocytées par le milieu et ses enjeux. On comprend alors la nécessité d’une expérience éthique de l’humain capable de surpasser les controverses individuelles et collectives dans la construction d’une société ou d’un monde meilleur que suggèrent les récits de Maryse Condé.
Poétiques de la maison dans l’œuvre de Maryse Condé
Agnieszka KOMOROWSKA
Université de Kassel, Allemagne
En revendiquant une écologie décoloniale, Malcom Ferdinand prône une «approche politique du monde, au sens grec de polis, [qui] sort l‘écologie de la seule question de l‘oïkos (économique ou environnemental), car si la Terre est bien parsemée de maisonnées, espaces fertiles de vie et d‘échanges avec elle, la Terre n‘est pas notre maison.» (2019 :40) Conformément à la problématique du colloque sur les formes d’ «écouter et habiter le monde autrement», la conférence portera sur les poétiques de la maison dans l’œuvre de Maryse Condé. Nous étudierons ainsi différentes formes d’habitat, d’une oikonomia décoloniale, la composition des habitants et la place de la maison dans la communauté. De la Traversée de la Mangrove à L’Évangile du Nouveau Monde en passant par En attendant la montée des eaux, la conférence explorera l’importance de l’enracinement, la question d’un chez-soi dans un contexte de mouvement perpétuel et de migration, la notion de la propriété et de l’accès aux ressources matérielles et intellectuelles, et des rôles de genre dans la création d’une maison. (...) Comment habiter des espaces intermédiaires, des interstices, sans les transformer en territoires? Est-il possible de rendre habitables des espaces inquiétants (au sens freudien de Unheimlich) du passé traumatique? Comment créer des généalogies qui dépassent les rapports de force?
Motif itératif de la mangrove dans quelques romans de Maryse Condé ou la figuration de l’humanité insulaire caribéenne
Baba Amine ADAKOUI
ACEL -Université de Maroua, Cameroun
Dans ses œuvres, Maryse Condé revient fréquemment sur le géo-espace de la Caraïbe, l’une des régions les plus bigarrées au monde et où plusieurs cultures venues de diverses géographies se sont mâtinées, confrontées, heurtées et proliférées. Sa représentation de l’Île coïncide le plus souvent avec la mise en place d’un espace écologique riche et diversifié: celui de la mangrove. Cet article vise à cerner les dynamiques symboliques que l’auteur mobilise pour rendre compte de cet espace. Ainsi, comment dans ses discours Maryse Condé matérialise-t-elle les interactions entre l’anthropographie insulaire et le paysage de la mangrove? À partir des présupposés théoriques inspirés de Poétique de la relation d’Edouard Glissant et des théories de l’imaginaire de Gilbert Durant (1997) et Gaston Bachelard (1957), nous allons montrer comment certaines œuvres de l’auteure s’emparent des traits de la mangrove pour en constituer un paradigme scriptural. Surtout, il s’agit de cerner les réappropriations littéraires de cet univers écologique à partir desquelles l‘auteure prône le dépassement de certains atavismes culturels pour envisager une axiologie qui repose sur la rencontre des seuils anthropographiques.
Relire et réécrire avec Maryse Condé
Kirsten BEHR
Institut d’Études Romanes, Université de Kassel, Allemagne
Réactualiser, réapproprier, redécouvrir et relier la succession littéraire de Maryse Condé ne peut se faire sans prendre en considération l’importance capitale que ces modes ont dans l’œuvre de l’écrivaine. La marge des renvois s’y étend de la citation concise des titres-clés de la littérature-monde jusqu’à la réécriture étendue des histoires canoniques. [...] Pour saisir la notion de réécriture telle que Maryse Condé la forge tout au long de son œuvre, la présente contribution se tourne vers sa réflexion littéraire sans doute la plus approfondie: La Migration des cœurs (1995). C’est une adaptation caribéenne de Wuthering Heights d’Emily Brontë (1847) que Maryse Condé fournit peu après son retour en Guadeloupe. Sa relecture se veut respectueuse du réalisme et du symbolisme de son modèle sans rester soumise ni au lieu ni à l’époque de l’intrigue.
The political narratives of transatlantic slavery memories and black identity
Yao Katamatou KOUMA
Université de Lomé, Togo
Maryse Condé, in her interview: “Maryse Condé et l’esclavage” (2011), said that, talking about slavery was a taboo subject in her family, because it was a lot of shame. It was not until 2007 that United Nations Organization designated “The 25 th of March, the annual International Day of Remembrance of the Victims of Slavery and the Transatlantic Slave Trade” to remember the most shameful and darkest page of the world history, to open public debates, and to take actions against racial prejudices and discriminations. Henceforth, several slavery museums and public arts mainly in Europe and America emerged, raising a lot of controversies. For some, these famous places, that negatively stereotype black life, are lucrative touristic settings one-dimensionally narrated to impress the worldwide audience. However, many other critics, mainly in Africa and the Diaspora, see them as black recolonization instruments. The objective of this study is to analyze the political narratives and the counter-narratives of slavery memories in order to highlight how they operate in the reconstruction process of black collective identity. Through a holistic approach that focuses on memorials, museums, monuments, houses of slaves, historic, and individual critical works, this study suggests, in a Pan-Africanist vision, a new inclusive discourse to reinforce black unity.
Filiation trouble et vulnérabilité dans Le fabuleux et triste destin d’Ivan et d’Ivana de Maryse Condé
Charles Sylvain ELOUNDOU MVONDO
ACEL -Université de Dschang , Cameroun
La protection des couches vulnérables constitue l’une des préoccupations majeures de Maryse Condé qui écoute le monde et déconstruit les anti-valeurs dans le but de panser les déchirures sociales et penser les réparations. Dans cette veine, l’auteure met en accusation le type de parents irresponsables qui pensent avoir le choix d’assumer ou pas leur parentalité vis-à-vis de leur progéniture. Les enfants s’en trouvent fragilisés lorsqu’ils ne sont pas simplement rejetés. La présente étude propose un décryptage d’une situation de filiation trouble et de vulnérabilité du personnage-enfant qui grille les codes sociaux à cause de l’absence d’un encadrement paternel approprié. Dans son roman Le fabuleux et triste destin d’Ivan et d’Ivana (2017), Maryse Condé traduit devant le tribunal de la conscience «les Lansana», ces pères irresponsables qui abandonnent leurs enfants, parfois même avant leur naissance, les livrant aux rigueurs implacables de la vie, en même temps qu’ils les condamnent à l’errance identitaire. Ce procès constitue en réalité une démarche visant à réhabiliter les victimes d’une filiation confuse en répondant à la question de Magali Blanc (2017): «Comment survivre sans la figure paternelle?». La présente étude questionne les mobiles de la dénégation identitaire du personnage-enfant et apprécie les conséquences d’une telle situation.
Les marques de l’autofiction dans La vie sans fards de Maryse Condé
Clément MOUPOUMBOU
Université Omar Bongo, Libreville-Gabon
Dans La Vie sans fards, Maryse Condé dit clairement paraphraser Jean-Jacques Rousseau dans Les Confessions: «Je veux montrer à mes semblables une femme dans toute la vérité de la nature et cette femme sera moi». La fidélité à ce projet d’écriture par cette clarté recherchée et proclamée touche bien au contraire à «l’opacité essentielle du sujet humain à lui-même». Par ses biffures et ses retranchements, propres aux écritures du moi, s’organise un modèle de discours qui réinvente chaque fois sa forme, donnant tantôt de la lisibilité sur son «désir d’Afrique» à elle, tantôt des «confessions» sur sa vie de famille et même sa vie intime, autant de clés de renouvellement de lecture de ses propres romans. C’est également ce regard sur les mutations historiques dans l’Afrique de son temps qui retiendra notre attention.
Quand le désir d’évasion rime avec la créativité: parcours initiatique dans Trois femmes à Manhattan
Christian MBARGA
Romance Languages Dept St. Thomas University Fredericton, NB, E3G 5G3 Canada
Nous nous proposons d’étudier le parcours initiatique des trois personnages principaux dans Trois femmes à Manhattan de Maryse Condé; publiée en 1982, cette œuvre mineure est très peu connue du grand public. Les trois femmes, issues de pays et de conditions différents, jouent un rôle essentiel dans cette production littéraire et politique de Maryse Condé. Créatrices chacune à sa manière, elles semblent représenter le trajet menant à la création et à la parturition littéraire dans des espaces d’oppression nourris par le patriarcat, le racisme et l’opportunisme. Claude, la plus jeune des trois femmes, présente l’itinéraire le plus cruel: physiquement, spirituellement, économiquement [précarité, pauvreté, exploitation], problèmes familiaux, alcool, maltraitance. Quel est l’aboutissement de la succession d’apprentissages dans les vies de Claude et des deux autres femmes dans ce récit? Quels sont les enjeux de ces voyages singuliers et réels, et à quel (s) prix?
Dans cette nouvelle très dense, Maryse Condé réussit à aborder de manière profonde et harmonieuse des sujets de la vie aussi divers que le politique, la volonté, la rébellion, la tyrannie, la famille, le racisme, la religion, la dépendance, le colonialisme, la notion de centre et périphérie, etc. On y retrouve ainsi des éléments chers à l’écrivaine guadeloupéenne.
Une cannibale en Asie
Xavier LUCE
Enseignant-chercheur, Faculté Roger Toumson UFR des Humanités Caribéennes de l’Université des Antilles. Membre-associé de l’ITEM (CNRS-ENS) et du CELLF de Sorbonne Université.
«Supposez trente Anglais en tout et pour tout, de par le monde. Qui les remarquerait?»
C’est à la lumière de cette citation, tirée du récit de voyage d’Henri Michaux, Un barbare en Asie, que Maryse Condé nous invite à lire le roman Histoire de la femme cannibale. Or, l’histoire ne se déroule pas en Asie et nul ne s’y rend: Rosélie Thibaudin, l’héroïne, avait refusé la proposition de son mari défunt, Stephen, d’aller au Japon car «trop endolorie pour risquer les regards des curieux, des racistes, jetés de plein fouet ou plantés à la dérobée dans sa chair.» La citation placée en épigraphe semble plutôt concerner Stephen lui-même, de nationalité anglaise et digne représentant de sa civilisation: professeur de littérature, il est capable de disserter sur toutes sortes de matières culturelles; il est aussi capable de voyager à travers le monde de la manière la plus désinvolte: «Tu ne sais pas t’amuser» dit-il à Rosélie sidérée par l’atmosphère d’un de ces «westerns sans bisons futés, ni Indiens, déjà trucidés ou défaits, édentés, parqués dans les réserves» que sont les safaris en Afrique-du-Sud au volant d’une Land Rover. Sous cet angle, il faudrait se souvenir avec Montaigne – cité dans le roman – que le Cannibale est cette créature barbare murmurant à l’oreille du Civilisé un blâme railleur; si bien que le roman de la femme cannibale serait celui de Rosélie et se donnerait à lire, en dialogue avec Henri Michaux, comme une satire de la mondialité. L’amant de Rosélie, Ariel Echevarria, «homme de la mondialité, non de la mondialisation», en serait l’incarnation caricaturale. On voudrait en proposer une telle lecture.
Construction d’un «moi» postcolonial dans la vie sans fards de Maryse Condé
Éric Mathieu NDONGO AVELA
ACEL - Université de Yaoundé I
Le discours autobiographique demeure consubstantiel à la littérature caribéenne. Il est souvent au service d’une réflexion sur le «moi» que partageraient la plupart des littératures postcoloniales dans leurs divers rapports avec l’Histoire de l’esclavage et de la colonisation. La Vie sans fards de Maryse Condé n’échappe pas à cette réalité. Dans ce récit de soi, véritable périple initiatique, l’auteure livre par le truchement des réminiscences corrosives, ses parcours de vie. Cette mobilité des corps et des espaces, oscillant entre déterritorialisation et reterritorialisation, interroge l’itinérance de «la Grande Négresse» guadeloupéenne dans la construction de son «moi» postcolonial. L’autobiographie postcoloniale, en tant que discours hybride, se déploierait comme une stratégie opérant une transformation des concepts traditionnels de représentation. Ainsi, cette réflexion a pour projet de faire émerger les différents modes de mise en scène de «soi». Comment le sujet postcolonial se réinvente-t-il à partir de ses traumatismes afin d’habiter autrement le monde?
Maryse Condé, Moi, Tituba sorcière noire de Salem: une critique intersectionnelle
Gélase KOUMBA
CERILA - Université Omar Bongo de Libreville
En lien avec le féminisme noir, «l’intersectionnalité» est un concept qui a été théorisé par la juriste américaine Kimberlé Williams Crenshaw à la fin des années 1980. Ce concept explore comment différentes formes de discriminations et d’oppressions en relation avec le genre, la race, la classe sociale, etc. interagissent, se chevauchent et se renforcent mutuellement. Cette intersectionnalité traverse le roman Moi, Tituba, sorcière noire de Salem (1986) de Maryse Condé. L’autrice décrit comment Tituba, personnage principal, esclave noire originaire des Caraïbes, accusée d’être sorcière, lors des procès de Salem en 1682, est victime de la misogynie, de la xénophobie, du sexisme et du racisme qui structurent la société américaine coloniale et esclavagiste du XVIIe siècle. Pour s’émanciper, elle utilise ses pouvoirs ancestraux d’origine africaine. L’histoire de Tituba représente celle des femmes noires dans le contexte de cette Amérique coloniale.
Marie Hélène ou l’Aphrodite moderne dans Une saison à Rihata
Falimatou PEMGBOU
ACEL-Université de Yaoundé I
Dans cette communication, nous partons du fait que la sexualité, qu’elle soit exprimée sous forme de désir, de fantasme, de valeur, de comportement ou de jeu, construit l’intrigue dans Une Saison à Rihata. L’héroïne, Marie-Hélène use de sa beauté envoûtante pour provoquer la rupture, le déshonneur et la mort, à l’instar d’Aphrodite et son intrépide et immense beauté qui envoûte et cause préjudice. Quels sont les traits caractéristiques d’Aphrodite dans le personnage de Marie-Hélène? La redondance des mythèmes à travers des situations dramatiques dans Une Saison à Rihata fait ressortir la part littéraire du mythe d’Aphrodite dans le personnage de Marie-Hélène. La présente analyse s’inspire de la mythocritique de Gilbert Durand pour élucider l’imaginaire d’une période historique donnée, en créant des modèles de comportements grâce à la synthèse des schèmes recensés, pour aboutir au constat de la pérennité, de la dérivation et de la dégradation du mythe d’Aphrodite, à travers les éléments du dire érotique.
L’Histoire de la femme cannibale de Maryse Condé ou comment défaire l’éternité des mythes raciaux
Elvine Félicité NDOUGA NKOA
ACEL -Université de Yaoundé I
L’Histoire de la femme cannibale questionne la misogynoire comme un espace de dévoilement des vulnérabilités féminines noires. Ce texte réinvestit une problématique contemporaine que privilégient les études féministes postcoloniales et décoloniales. Publié en 2003, le roman de Maryse Condé est à situer dans le prolongement de La Parole des femmes (1979) et La Parole aux négresses d’Awa Thiam (1978). Des textes fondateurs du féminisme noir francophone qui explorent le complexe univers des femmes noires. Il est dès lors opportun d’interroger les dispositifs littéraires qui réimaginent les modes d’être au monde de ces marges face à la subsistance du racisme contemporain. Ce parcours de réflexion se propose ainsi de lire l’Histoire de la femme cannibale comme un chœur féminin vibrant, intimiste et subversif qui défait les mythes raciaux pour une mémoire collective recréée et une perception nouvelle de la spiritualité de la femme noire.
Maryse Condé, de l’invisibilité à la visibilité: itinéraire d’une pensée nomade
Marie JULIE
Marie Julie dite Marie Juillet ou encore Mademoiselle Marie Juillet est artiste, poétesse et chercheuse indépendante en arts, langages et littératures.
“La littérature est le lieu où j’exprime mes peurs et mes angoisses, où je tente de me libérer de questionnements obsédants.» Maryse Condé, La Vie sans fards, 2012.
De l’analyse des trois œuvres littéraires, Traversée de la Mangrove (1989), Histoire de la femme cannibale (2003) et L’Évangile du nouveau monde (2021), nous questionnons les imaginaires de la relation et la parole des femmes dans l’œuvre de Maryse Condé. [..] De quelles manières ce corpus hétérogène donne-t-il à percevoir l’itinéraire de la pensée nomade qui caractérise l’écriture de Maryse Condé ? [...) De quelles manières Maryse Condé propose des atlas de nouvelles géographies sensibles qu’elle révèle? Comment transmute-t-elle les voix muettes, les corps dévastés par la colonisation et son après? De quelles voix et voies, les conduit-elle de l’invisibilité à la visibilité par la force de son acte littéraire et esthétique? De nos quelques arpentages, émerge une hypothèse. Dans une recherche-création sous la forme d’un texte hybride qui mêle des analyses du corpus et un récit intercalaire microfictionnel, le texte est perfor(m)é lors de sa présentation publique.
«Vivre avec son temps»: Épistémogéographies contemporaines chez Maryse Condé
Jean Claude ABADA MEDJO
ENS/ACEL- Université de Yaoundé I
«Il faut vivre avec son temps». Cette boutade de Man Sonson, dans Traversée de la mangrove, pourrait bien définir l’horizon de l’écriture de Maryse Condé. Cette dernière construit un univers fictionnel qui, ruinant avec méthode les atavismes raciaux et les replis identitaires, dénonçant toute forme d’attendrissement nostalgique et élargissant toujours plus encore le compas de son imaginaire au(x) monde(s) contemporain(s), invite à embrasser la fulgurance, la complexité et la diversité du présent. Ses ouvres questionnent et reformulent incessamment les systèmes de connaissances, les représentations, de même que les discours qui structurent la compréhension des géographies, des cultures et des mémoires afrocaribéennes. En procédant à une double lecture cosmopolitique et épistémogéocritique de son imaginaire romanesque, la présente étude veut mettre en exergue les modalités du vivre contemporain chez Condé, ainsi que les enjeux d’une écriture singulière qui, si elle est imprégnée de signatures historiques et mythologiques, ne se détache pas des problématisations liées à l’expérience humaine actuelle. Il faudrait alors montrer comment la figuration de l’histoire dans quelques-uns de ses romans ouvre à la fois à une actualisation critique et à une approche originale du temps présent qui soumet l’homme à des défis toujours nouveaux. On insistera, par ailleurs, sur la remise en question des épistémologies dominantes, ainsi que la postulation de nouvelles modalités d’être au monde dans la poétique condéenne.
Maryse Condé et la conception du monde futuriste
Jean-Jacques TSOUNGUI
Université de Maroua,Cameroun
La conscience identitaire de Maryse Condé est marquée par l’esthétique changeante d’un être-dans-le-monde préoccupé par le devenir de l’humanité. Cette humanité qui l’habite et qui hurle hors des pores du monde se déploie, dans son écriture, pour révéler toute la sensibilité et l’intérêt qu’elle accorde à l’Homme. Au regard de cette riche expérience, modelée par des voyages et l’actualité d’une part, les transformations de l’histoire depuis l’esclavage jusqu’à la post-colonie d’autre part, la romancière guadeloupéenne imagine une société et des modes de vie qui dépassent ceux de son siècle. Ainsi, le concept du monde futuriste auquel cette communication fait référence est au coeur de la création littéraire de Maryse Condé. Tant elle croise des personnages aux origines différentes mais à la recherche d’une cause commune. Chez elle, le concept de monde futuriste ne s’éloigne pas du réel encore moins de la réalité socio-historique, politique, économique et culturelle qu’elle décrit dans le roman étudié. Avec Condé, le monde futuriste pense autrement le monde dans son apparent chaos, imaginant des humains transitaires et en transition. Dans l’optique de cette conception, le monde reste une imagination, un univers à (re)créer et (re)penser, un espace à dé-couvrir et à conquérir pour mieux se rapprocher de l’Autre afin de trouver les sens même de notre être dans le monde. Dans un tel élan de mouvement, la vie humaine prend de l’importance et l’avenir de l’Homme devient un sujet préoccupant, un idéal d’humanisme. Ainsi donc, à la lecture du roman En attendant la montée des eaux (2010), il sera question de montrer, à partir des récits qui composent l’histoire du texte, comment Maryse Condé imagine un monde futuriste.
L’identité sans fards de Maryse Condé ou la traversée de l'incertitude
Ronald SELBONNE
Docteur en littérature générale et comparée, écrivain, auteur de biographies d’écrivains guadeloupéens, représentant de l’association Kaz à Condé, Guadeloupe.
Observer la cartographie littéraire et biographique de Maryse Condé, c’est naviguer entre cayes ou sémaphores identitaires: identité-nègre, identité-créole, identité-nationale, identité-antillaise, identité-guadeloupéenne, identité-racines, identité-mangrove, identité-rhizome, identité-Tout-Monde. Si elle n’a pas posé de cadres théoriques fixes dans le débat sur l’identité, ses discours et ses récits sont une invitation à saisir la complexité de l’expérience humaine. Dans une interview (Noëlle Carruggi, 2010), elle va jusqu’à marteler, avec le ton provocateur qu’on lui connaît: «L’identité collective, ça n’existe pas, il n’y a que les individus». L’apport singulier de Maryse Condé à la littérature antillaise francophone, c’est d’avoir su jouer la complexité de l’individu contre la simplification des bégaiements de l’identité collective. En cela Maryse Condé aura inauguré une étape importante de cette littérature en la faisant passer de l’âge lyrique de l’exaltation (le temps du cri) à l’âge de la parole simple, de la parole du quotidien. Ses romans sont des fabriques à existences; ils donnent priorité aux situations des hommes plus qu’à leurs fixations. La difficulté pour le lieu-Guadeloupe d’habiter pleinement le monde explique, sans doute, en partie, la sensibilité condéenne aux raccourcis historiques et identitaires.
D’une écrivaine à l’autre: trouver mon écriture grâce à Maryse Condé
Estelle-Sarah BULLE
Écrivaine, France-Guadeloupe Je suis née en banlieue parisienne en 1974 d’un père guadeloupéen et d’une mère franco-belge.
Ce métissage fut le point de départ de mon premier roman, Là où les chiens aboient par la queue (Liana Levi, 2018). Dans ce livre et les suivants et dans tout mon travail d’écriture, je pars de ce sentiment ambigu d’appartenance et d’étrangeté, notamment du fait que je ne parle pas créole mais en suis imprégnée. Maryse Condé, elle, est née en Guadeloupe en 1934. Ses parents tenaient à marquer leur position sociale en interdisant à leur fille de se mêler aux gens du peuple ou de parler créole. De ce fait, Maryse Condé fut, comme moi, étrangère à sa propre île. C’est en arrivant à Paris qu’elle a réfléchi à ce qui faisait son “antillanité”. Ce choc premier, entre appartenance et éloignement vis-à-vis d’une culture, a fait l’essence de son écriture: de roman en roman, de l’Afrique à l’Amérique en passant par la Guadeloupe, Maryse Condé cherche son identité. Grâce à Maryse Condé, j’ai ainsi réalisé que je pouvais écrire à propos de mon rapport à une île minuscule de l’Atlantique et atteindre l’universel. Par la force de ses idées et l’affirmation de son style, Maryse Condé a également défriché le chemin à la romancière que je suis: en 1976, Heremakhonon, son premier roman, dérangea et fut rejeté en Guadeloupe. Jusqu’à présent, mes romans sont très bien accueillis dans cette île qui, grâce à Condé, a réfléchi à ses propres questionnements identitaires, à son rôle dans le monde et à la place de ses écrivains, qu’ils soient nés ou non dans l’île.
Faire rhizome: d’un bout à l’autre de la relation dans Traversée de la mangrove de Maryse Condé
André Stéphane MAHOB MBOCK
ACEL-Université de Yaoundé I
L’héritage dont Maryse Condé est dépositaire s’exprime avant tout dans sa façon de (re)penser les modes d’être au monde. Aucune de ses ouvres ne semble trahir cet engagement. De ce fait, dans son texte majeur Traversée de la Mangrove, Maryse Condé esquisse un espace littéraire riche en entrelacs narratifs. Que ce soit d’un point de vue purement formel, ou par la symbolique des thèmes abordés, l’accent est mis sur la relation. Le roman, qui se déroule dans le petit village de Rivière en Sel en Guadeloupe, met en scène la complexité des relations humaines à travers une multiplicité de voix qui se croisent, s’entremêlent et se répondent de sorte que le roman se tend à l’infini, sans centre, ni périphérie; en toute liberté, en dehors de quelconques limites: exactement comme un rhizome. Dans ce sens, la relation trouve ici une résonance toute singulière dans la manière dont l’auteure dépeint les interconnexions spatiales, culturelles et sociales, au service d’une déconstruction des imaginaires qui se veut libre de toute hiérarchie. Cet article se propose d’analyser les métaphores dynamiques de la Relation en présence dans le roman.
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