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Appel à contributions

Concurrence mémorielle:
Les politiques de mémoire de l'esclavage,
de l'émancipation et de l'engagisme dans les Caraïbes

English / Español


Bonn Center for Dependency and Slavery Studies (BCDSS), Université de Bonn, Allemagne

29-31 mars 2023

Colloque international organisé par Sinah Kloß, Andrea Gremels et Ulrike Schmieder

Les Caraïbes constituent un espace caractérisé par une mémoire dynamique, plurielle et en constante évolution. Si nous ne considérons pas les mémoires comme quelque chose d'acquis mais comme quelque chose fabriqué, les pratiques mémorielles nous invitent à réfléchir sur les dépendances (a-)symétriques et les dynamiques de pouvoir liées aux processus de souvenir, d'oubli, de mémorisation, de remémoration et de commémoration. Différentes mémoires sont créées, exprimées et transmises dans les récits, l’art, l’historiographie, la littérature, le cinéma, les médias journalistiques et d’autres types de représentation. De plus en plus, cette mémoire pluralisée est numérisée et mondialisée; elle est médiatisée de manière multimodale. Les expériences sensorielles stimulées par la mémoire sociale et collective peuvent également être construites dans les représentations rituelles ou dans la culture visuelle et matérielle. Les pratiques mémorielles sont présentes et représentées dans les monuments, les archives et les musées ainsi que dans les vestiges matériels des expériences antagonistes des esclavagé.e.s et des esclavagistes. En tant que lieux de mémoire imbriqués (Nora 1989), ces sites sont implantés, supprimés, contestés et remodelés partout dans le bassin caribéen, au sein des communautés diasporiques et dans les anciens pays colonisateurs.

Ici, comme ailleurs, les disparités sociopolitiques et les déséquilibres de pouvoir ont généralement un impact sur la capacité et les moyens de promouvoir les expressions de différents types de mémoire et les récits historiques spécifiques, à travers lesquels le passé est créé, adapté et traité. Ces dynamiques influencent les processus et mémoires à inclure ou exclure de certaines histoires et les versions du passé reconstruites, sélectionnées et interprétées. Un exemple dans le contexte caribéen est la révolution haïtienne, qui – en tant qu'événement «impensable» – continue d'être réduite au silence et reste exclue de nombreux récits de l'histoire mondiale (Ehrmann 2022, Trouillot 1995).

Des tensions et conflits surgissent ainsi en rapport avec les revendications exprimées et inexprimées de mémoires et histoires «véridiques» et «authentiques». Dans ce contexte, briser le(s) silence(s) est un moyen de revendiquer la visibilité (historique) et d'accéder à des ressources autrement refusées. Actuellement, certain.e.s militant.e.s aux Caraïbes ou dans leurs diasporas exigent par exemple la réparation des injustices de l'esclavage, soulignant l'héritage persistant du colonialisme européen et de l'esclavage transatlantique. Ils apportent des preuves du transfert de capital de l'esclavage et du travail forcé vers l'Europe et retrouvent des traces d'esclavagistes et d'esclavagé.e.s dans les documents historiques résumant et promouvant ainsi leurs revendications envers les anciens pays colonisateurs. La mémoire plurielle et les récits historiques peuvent ainsi se transformer en ressources culturelles qui jouent sur le statut social d'un groupe et l'accès à différents types de capital.

Les histoires et les mémoires peuvent être déclarées officielles ou officieuses ; elles peuvent être sanctionnées ou subjuguées. Les histoires «officielles» peuvent conduire à la monopolisation de certains récits historiques et à la mise en avant de mémoires spécifiques par rapport à d'autres. Aux Caraïbes, ce fut par exemple le cas lorsque les colonisateurs d’Europe et les élites locales ont exclu volontairement les voix et les mémoires des peuples subalternes ou exilés dans la réalisation des récits historiques. Pour ce qui est de la construction de la nation, différents acteurs sociaux (des Caraïbes) ont utilisé et sélectionné certains types de mémoire historique pour établir les histoires officielles d'une nation indépendante, en (re-)créant et en inventant un passé acceptable (Hobsbawm 1983).

Bien que les histoires officielles soient souvent reconstituées et transmises, des contre-mémoires et contre-histoires peuvent toujours circuler et former des modes de résistance aux récits dominants. Des recherches récentes en études mémorielles ont mis en avant la dynamique multidirectionnelle et transculturelle des formations de la mémoire collective (Erll 2011, Rothberg 2009). Compte tenu de l'hétérogénéité des Caraïbes et de leurs cultures, langues, peuples et histoires, il serait trop facile de supposer l'existence de revendications unifiées et d'efforts unanimes. Les mémoires et représentations liées aux différents systèmes d'oppression et d'exploitation vécus dans les Caraïbes – comme l'esclavage et l'engagisme – peuvent rivaliser au niveau national ou international pour la reconnaissance et les ressources monétaires.

Concurrence mémorielle se concentre donc sur les politiques de la mémoire ainsi que sur les constructions et représentations de mémoires plurielles et divergentes dans le contexte caribéen, notamment mais pas exclusivement en lien avec l'esclavage, l'émancipation et l'engagisme. «L'histoire» et la «mémoire» pouvant avoir des significations très différentes, nous examinons les différentes stratégies utilisées pour ces concepts dans et en relation avec les Caraïbes. Les questions abordées sont notamment:

  • Quelles mémoires rivalisent actuellement aux Caraïbes liées à l'esclavage de plantations et au système de l'engagisme? Comment ces mémoires sont-elles traitées, partagées et contestées au sein des ainsi qu'au niveau mondial, et comment ces processus ont-ils évolué au fil du temps?
     
  • Comment ces dynamiques révèlent-elles des dépendances symétriques et asymétriques dans la co-construction de récits (historiques) aux Caraïbes (post-)coloniales?
     
  • Quels sont les enjeux épistémologiques et politiques de l'études mémorielles et de l'historiographie sur l'esclavage, l'émancipation et l'engagisme dans et sur les Caraïbes?
     
  • Comment les mémoires individuelles et collectives de l'esclavage, de l'émancipation et de l'engagisme ont-elles été transmises à travers différents médias? Comment ont-elles été vécues à travers histoires, images, représentations religieuses, arts et autres formes de représentation dans le passé et de nos jours?
     
  • Comment les pratiques mémorielles sont-elles exploitées et/ou transformées en ressources culturelles et économiques ? Sont-elles utilisées pour contester les relations de pouvoir et le statut social?
     
  • En quoi les représentations et les pratiques de remémoration diffèrent-elles lorsqu'on compare les différents systèmes d'exploitation de l'esclavage et de l'engagisme? Est-ce que le concept de «post-mémoire» (Hirsch 2012) – les traumatismes transmis de génération en génération – est pertinent dans ce contexte?
     

Le colloque aura lieu du 29 au 31 mars 2023 au centre d’études Bonn Center for Dependency and Slavery Studies de l'Université de Bonn, Allemagne. Elle est co-présidée par la Society for Caribbean Research e.V. et organisée par Sinah Kloß (Bonn), Andrea Gremels (Francfort) et Ulrike Schmieder (Hanovre).

Veuillez soumettre vos résumés (200-300 mots) et de brèves informations biographiques avant le 31 mai 2022 à s.kloss@uni-bonn.de. Un nombre restreint de bourses de voyage sera accordé aux conférenciers admis. Veuillez indiquer dans votre candidature si vous souhaitez obtenir une bourse de voyage. Nous invitons les chercheurs du domaine des sciences humaines et sociales à participer.

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Viré monté