Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

Identité et Altérité chez Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau,
scripteurs visionnaires de la Parole créole

par Philippe Chanson

Théologien, Université de Genève,
chercheur en anthropologie sur les Antilles et la Guyane

Résumé:

À partir de l’expérience douloureuse du passé esclavagiste qui avait bâillonné la Parole créole sous l’écriture coloniale, le défi d’Édouard Glissant et de Patrick Chamoiseau, écrivains phares de la littérature antillaise, est de nous offrir à penser à nouveaux frais les territoires et frontières mentales qui défient toujours les humains. Travaillant les processus historiques extraordinairement ‘diversels’ d’emmêlement et d’entrecroisement des racines généalogiques, géographiques, culturelles et linguistiques caractéristiques des îles caribéennes – et contre l’intolérance et les dangers de toute pensée unificatrice et totalitaire – ils nous amènent à réfléchir de manière fondamentale et visionnaire sur l’identité et l’altérité dans un monde en voie inéluctable de métissage. Devant le foisonnement et la richesse de leur pensée – après avoir introduit à cette littérature puis retracé le parcours saccadé de la conjugaison progressive de l’identité créole – nous examinerons les deux métaphores les plus marquantes qui en portent les mots: celle de l’identité-rhizome de portée philosophique, et celle de la langue écho-monde mêlant linguistique et stylistique. Nous terminerons sur l’importance des rapports étonnants et stimulants que peuvent entretenir entre eux littérature et anthropologie.

Summary:

Starting from the painful experience of slavery past when the Creole oral personal form of expression had been gagged, disappearing under the colonial written form of expression, Edouard Glissant and Patrick Chamoiseau – two outstanding figures of Caribbean literature – meet the challenge of offering the reader the means to re-assess their still prevalent human mental constructions of territories and frontiers. Stretching out the historical and extraordinarily “diversel” (their own coined word whose approximate translation would be “diverse”) processes of threading and knitting roots, whether genealogical, geographical, cultural, or linguistic, so typical of the Caribbean islands, with the aim of fighting against intolerance and also the dangers inherent in any unifying and totalitarian mode of thinking, they dramatically, and in a visionary way, foster the reader’s reflection on his/her position vis-à-vis identity and otherness in a world that is on the inescapable road to a mix of people and cultures. Dealing with their rich luxuriant thought – they have mined the literary text with, and retraced in it, the uneven progressive course of an intertwined Creole identity – our purpose is to examine the two metaphors which signal out this type of identity: “identité-rhizome” (root identity), a concept philosophical portent, and “langue écho-monde” (world-echoing language), the product of both linguistic and stylistic considerations. Our analysis will finally dwell on the astonishing and stimulating that literature and anthropology significantly bear with one another.

Mots clés:

Altérité – Créolité – Identité – Littérature anthropologique – Multilinguisme.

Key words:

Otherness – Creoleness – Identity – Anthropological literature – Multi-linguistic system.

boule  boule  boule

«Nous sommes Paroles sous l’écriture...»
Éloge de la Créolité

Avant-dire:
«le coup de force» de la Parole créole

Il s’agira, le temps de cette rencontre1 avec l’œuvre théorique de la nouvelle littérature antillaise produite depuis les années quatre-vingts du dernier siècle, de nous laisser envahir par sa problématique. La laisser à elle-même, parler d’elle-même, suivre ses traces, l’écouter et l’observer, s’en remettre à l’apparente fébrilité de sa cohérence interne, à ses propres références contextuelles et baroques. Ne surtout pas répéter l’histoire coloniale et esclavagiste en forçant le passage. Ses scripteurs, de laquelle ils émergent, en ont beaucoup trop souffert. À l’instar du Goncourt antillais Patrick Chamoiseau, ils veillent, jaloux de leur indépendance enfin conquise «en pays dominé»2. Ce sont des thérapeutes qui soignent les esprits, les états d’âmes et les mémoires hantées de vieilles et profondes blessures situées, comme l’a titré Frantz Fanon, entre Peau noire masques blancs3. Déduites des quêtes et enquêtes de leur existence passée et à venir et de la découverte du processus anthropologique et culturel de créolisation, ils tissent une philosophie de l’histoire où la sagesse du principe de Relation, le souffle poétique et prophétique, portant l’offrande commune des identités et des altérités reconsidérées, serait propre à combler les brèches urgentes des conflits ethniques, des frustrations de classes, des antagonismes religieux, des douleurs linguistiques et des idéologies totalitaires. C’est dire s’ils savent aussi débattre et magnifiquement inspirer en conviant leurs lecteurs jusqu’aux fonts baptismaux identitaires et «altéritaires» du monde. Il y a déjà là, résumé, nombre de raisons pour lesquelles notre approche empirique, ancrée au «laisser-dire», sera résolument phénoménologique (comme nous y reviendrons dans les quelques lignes de l’ouverture finale de cette contribution), tant nous discernons très clairement, à l’étude, les liens insécables entre littérature et anthropologie.

Pourtant, il y a seulement une petite trentaine d’années en arrière, même marquée de la grande œuvre de la Négritude césairienne et l’arrivée remarquée de l’Antillanité d’Édouard Glissant, la production littéraire créole était mince sur les rayons des bibliothèques. On se disait, qu’ici, toute une culture orale l’emportait. Aujourd’hui, l’étrangeté s’incline devant le véritable «coup de force de l’écriture»4, et donc de la Parole des écrivains créoles qui surent passer les deux épaules de l’aliénation historique au colonialisme français et de l’Afrique mythique distillée par l’illusion négritudienne. Il s’agissait même, sur la scène de la littérature internationale, d’un coup de force par l’écriture, soit du mode original «d’écrire l’écriture», comme nous le verrons plus loin.

C’est l’incontournable Discours antillais de Glissant, commis en 1981, qui devait déclencher une fureur d’écrire sans précédent. L’Histoire, y clamait le philosophe martiniquais, est pour nous «une absence», «un vertige», «une névrose». L’Histoire avec un grand «H», celle exclusive, autocentrique et univoque toujours rapportée jusque-là par les colonisateurs, les esclavagistes, les missionnaires et les voyageurs dans un type d’écriture comptable, descriptive, restrictive, dite «du Registre», non sans occulter dramatiquement «la mémoire vraie» des histoires créoles qu’il fallait désormais, tels des archéologues, rechercher, dégager, décrypter et reconstituer sous les couches, sous les dates, sous les faits répertoriés, sous les identités niées5: d’où sont, qui sont, où en sont les sujets créoles et comment le sont-ils devenus, et en sus, que faire de l’Autre par qui tout est advenu? Telles étaient les questions lancinantes. Ce défi, relevé, allait aboutir à un flamboyant corpus créole quasi «biblique» et d’une rare intensité. Des centaines, des milliers de pages où, sous tous les genres littéraires, chronique, évangile, épître, saga historique, récit de commencement, d’exorcisme, psaume incantatoire, parabole, cantique, romance, homélie, sapiente, envolées poétiques, apocalyptiques et prophétiques, allait se dire d’un même allant, d’un même élan, et malgré la disparité des personnalités qui la proclamèrent, cette même voix: «Nous sommes Paroles sous l’écriture...»

Prononcé en 1989 par les Martiniquais Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant porte-parole d’un mémorable Éloge de la Créolité qui marqua toute la nouvelle littérature antillaise6, la finesse de ce «dit» fera toujours fond à nos propos. Devant l’abondance d’un écrire créole essentiellement romanesque, nous nous bornerons donc à n’en investir que les pans théoriques, et principalement ceux conceptualisés, non sans accents prophétiques, par Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau dans des œuvres que nous indiquerons à chaque avancée de cette rencontre, tant le style «spiraliste» de ces auteurs nous obligent à consulter leurs ouvrages de manière éparse7.

Mais quelles sont donc ces Paroles qui gisent et adviennent sous l’écriture coloniale? Chamoiseau en dicte très exactement les strates palimpsestes dans son Écrire en pays dominé en dissertant sur la figure du conteur antillais considéré comme le père de la Parole créole – Parole marronne née la nuit, dans l’Habitation. Remémorant le cri de l’esclave enferré dans la cale du bateau négrier, Chamoiseau dit ceci: «L’expansion silencieuse de ce cri provoqua sa parole qui elle-même alla dans l’étendue...»8. C’est ce ricochet successif du cri (que la Négritude conjuguera en «Je»), de la parole (que la Créolité conjuguera en «Nous») et de l’étendue (qu’Édouard Glissant conjuguera en «Tout»), jailli sous l’écriture coloniale, que nous allons suivre avant d’en «laisser-dire», par l’écriture créole, la Parole.

«Je», «Nous», «Tout»: la conjugaison de l’identité créole

Que nous dit d’abord la Créolité? Elle nous dit que ce grand phénomène irréversible du métissage mondial auquel nous assistons aujourd’hui a déjà été vécu dans les chairs créoles et que de fait toutes les problématiques liées à ce ‘surmélange’ ont déjà été préfigurées et travaillées sur les terres caraïbes.

«Tirée» tel un conte de l’histoire des Indes occidentales, les Antilles françaises sont en effet le produit sui generis d’un formidable maelström de cultures, de civilisations, de langues, d’imaginaires, de religions, d’anthropologies qui n’ont cessé et ne cessent de s’entrelacer, de s’interpénétrer, de se contrarier dans une folle exhubérance. Cette dynamique dite de «créolisation» par fécondation et fermentation tous azimuts est finalement le résultat composite totalement imprévu de tout ce que l’Histoire coloniale, de l’esclavage à la départementalisation, aura petit à petit jeté ou rajouté sur le même sol depuis plus de trois siècles9. Aux survivants amérindiens: colons européens et ethnies africaines; puis, dès l’abolition de 1848, ouvriers et commerçants hindous, chinois, japonais, syriens, libanais, madériens et autres sud-américains... C’est dire le patchwork identitaire que l’on dut rapiécer, assumer. Bien des écrivains créoles de la génération précédente, et non des moindres, tels Gilbert Gratiant, René Ménil, Hector Poullet ou Jacques Stephen Alexis, le pressentirent. Il aura cependant fallu attendre les premières lignes, célèbres, du manifeste d’Éloge de la Créolité que nous venons d’évoquer, pour en conceptualiser l’issue inédite, la résultante:

«Ni Européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous proclamons Créoles. Cela sera pour nous une attitude intérieure, mieux: une vigilance, ou mieux encore, une sorte d’enveloppe mentale au mitan de laquelle se bâtira notre monde en pleine conscience du monde».

Enchaînant sur cette déclaration liminaire revendiquant la totalité kaléidoscopique de ces surcharges d’identités, les soixante-dix petites pages de cet ouvrage théorique explicitent alors de long en large comment furent acquis «sous l’écriture », par un «ouvrir les yeux sur soi-même »10, les principes anthropologiques et philosophiques de cette Créolité ouverte permettant non seulement de faire l’exégèse des douloureuses questions identitaires antillaises jusque-là générées par une infériorisation toujours échelonnée à la couleur de son épiderme, mais d’offrir une nouvelle manière préfiguratrice d’être au monde et de vivre une altérité étoilée d’héritages et d’horizons. Traçant des dénominateurs communs tels «la vision intérieure», «l’acceptation de soi » en sa complexité et «le droit à l’opacité » – dénominateurs que nous avons traités par ailleurs11 –, l’Éloge de la Créolité commente avec des accents bibliques la chance et les possibles de cette nouvelle humanité métisse portée vers son assomption.

Devait en pâtir, du coup, le «Je suis Nègre» proclamé par Aimé Césaire dans son Cahier d’un retour au pays natal. Ce cri, qui avait pourtant ébranlé les assises du monde colonial dès la première édition de l’œuvre en 193912, résonnait maintenant mal aux Antilles. La Négritude tournait à vide. Elle était non seulement dépassée mais remise en cause par l’exposé de la pensée identitaire et «altéritaire » de la Créolité. Cette dernière ne pouvait plus conjuguer en «Je». Elle restait très pragmatiquement et intellectuellement l’étayage désormais indémontable d’un «Nous» générique qu’Édouard Glissant, en philosophe sophistiqué, finira – comme nous le verrons plus loin – par faire glisser sur une pensée du «Tout» magistralement nommée «Relation ». À savoir l’appréhension conceptuelle du monde en tant qu’échange «Tout-Monde», total mais non totalitaire, sans limite et sans repos, de toutes les identités-monde désormais inextricablement mêlées.

À la grande tristesse de «Papa Césaire» chahuté ainsi par les plus impertinents de ses fils, la Créolité tout d’abord, nouveau paradigme identitaire issu finalement très naturellement d’une nouvelle génération»13, devait donc larguer les amarres d’avec la Négritude. Plus fondamentalement, à l’instar des membres de l’intelligentsia antillaise qui tentèrent sans succès un retour vers l’Afrique (on pense à Maryse Condé, René Maran, Paul Niger, Guy Tirolien, Bertène Juminer), elle coupait carrément le cordon ombilical avec la terre-mère africaine. Césaire aura certes tenté, et tente toujours, de s’accrocher au drapeau de «l’essence nègre» en qualifiant la Créolité de «département de la Négritude»14. En vain, même s’il reste vrai qu’aucun créoliste ne dénigre en soi cet «acte primal de notre dignité restituée»15. Au contraire, tous conviennent d’un dû envers Césaire et chacun, admiratif, s’en réclame. Revendiquer les dimensions anthropologiques, culturelles et spirituelles africaines en terre créole et démontrer qu’elles pouvaient s’accorder avec la plus belle des utilisations de la langue liturgique française était sans doute indispensable à la conquête d’une dignité noire si longtemps bafouée. Mais ces deux mythes, devenus déports, se sont vite révélés insuffisants lorsqu’il a fallu rendre compte de ce qui s’est exactement produit sur les îles antillaises.

Cependant, le mouvement de la Créolité, comme nous l’avons dit, allait être aussi rattrapé à son tour par la pensée «Tout-Monde» de Glissant. Déjà père du concept de Créolité à travers l’élan de l’Antillanité qui, dans les années 1960, s’efforçait de replacer le terrain de «la vision intérieure» identitaire sur le seul topos géographique caraïbe qui lui corresponde, Glissant devait en appeler à une vision identitaire «archipélique», c’est-à-dire plus extériorisée en s'ouvrant sur une toute-altérité. Car pour lui, même le «Nous sommes» réaliste de la Créolité pouvait être menacé de tous les enfermements insulaires. On devait donc tenter de redéployer à l’envers les apports d’arrivées sur les îles en engouffrant définitivement le couple identité/altérité dans la démesure salutaire du Tout-monde16. En clair, il ne fallait pas retomber dans le «Je» de Césaire considéré comme pratiquement coupé de toute altérité – ce que l’homme-phare de la Négritude contestait avec force. Soyons pourtant juste. Lorsque les auteurs d’Éloge déclaraient la Créolité «vecteur esthétique majeur de la connaissance de nous-mêmes et du monde»17, ils évoquaient bel et bien les rapports insécables entre identité et altérité. La Créolité a toujours voulu jouer un rôle médiateur entre la reconnaissance de soi et de l’Autre, entre identité re-découverte et altérité en promesse. À preuve ce superbe néologisme de DIVERSALITÉ gravé en lettres capitales dans la dernière ligne d’Éloge pour exprimer la possibilité de vivre en préservant harmonieusement et consciemment le Divers du monde loin des relents de l’Universalité coloniale18. Et Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant l’avaient pressenti: contre les dangers des polarisations «unicistes» qui fomentent les intégrismes ethnicistes d’un côté et les totalitarismes expansionnistes de l’autre, il fallait trouver équilibre entre identité et altérité. Mais si la Créolité avait ainsi clarifié son rapport à l’Autre colonial – indifféremment nommé l’Un, le Même, le Centre, l’Unicité, l’Universalité – il lui avait fallu en un premier temps déconstruire ce rapport avant d’envisager, en reprise, de bâtir aussi avec cet Autre «l’Être harmonieux du monde»19.

Trop longtemps, en effet et nous l’imaginons bien, que ce soit en histoire, en pensée, dans les moindres interstices de la vie familiale et quotidienne, cette rencontre constructive fut rendue impossible par cette surdétermination du regard de l’Autre colonial. «S’éjecter du regard de l’Autre», «ne plus se mirer dans son éclat », «échapper à l’oeil du maître» en auront été les devises stratégiques. «C’est d’une descente en soi-même qu’il s’agit, mais sans l’Autre, sans la logique aliénante de son prisme » en formulait l’enjeu20. La Créolité gardait donc l’altérité totale en point de mire mais, nuance importante, elle devait tout simplement d’abord et en priorité forger son propre socle identitaire. C’est pourquoi, réinvestissant à nouveaux frais cette vision de la Créolité qu’il avait lui-même inspirée par son Discours antillais, Édouard Glissant, dès 1990 (soit une année après l’Éloge), resituait la question de l’identité en tant que tremplin et déploiement de l’altérité sous la forme d’une Poétique de la Relation travaillée en plusieurs volumes21. C’est désormais sous ce titre générique qu’il s’explicitait (et continue aujourd’hui de s’expliciter22). L’effort de Glissant n’était pas de resituer l’identité au prix d’une non-identité (j’ai obligatoirement et concrètement un Lieu affirme Glissant), mais de la redéfinir en tant que Relation. Cette notion est cardinale, car c’est précisément la Relation qui, pour lui, soude le binôme identité/altérité. Les deux pôles ne peuvent plus vivre l’un sans l’autre. C’est leur conjonction, leur osmose qui permet «à chacun d’être là et ailleurs, enraciné et ouvert (...) en accord et en errance»23. Dans le fond, le philosophe antillais veut nous dire qu’il n’est tout simplement pas possible qu’une identité puisse vivre de manière autonome, indépendante, sans être connectée à une altérité quelconque. «L’Autre est en moi, parce que je suis moi. De même, le Je périt, dont l’Autre est absent » déclarait déjà Glissant de manière cardinale dans L’intention poétique24. C’est donc dans cette perspective qu’il réinvestit courageusement l’Autre colonial. Il ne le magnifie, évidemment, mais ni non plus ne s’y oppose ou le rejette. «Notre nécessité aujourd’hui, déclare-t-il: d’affirmer, non une communauté face à l’autre, mais en relation à l’autre»25. Subjuguant dès lors le mauvais passé colonial, il veut reconnaître cet Autre conflictuel tout simplement identiquement à tous les Autres qui font concert des altérités du monde, considérant que toute culture, toute identité, n’est, ne sont, en toute égalité et nécessairement, que formées, in-formées de toutes les autres. Comment une identité, une culture, pourrait vivre sans reconnaître et se re-connaître dans une autre identité, une autre culture? Avec Glissant, on quitte de fait radicalement le terrain d’une littérature purement anticolonialiste et indépendantiste. Le brillant penseur martiniquais est une sorte de prophète, un visionnaire. «Il est porté par un souffle qui n’est pas celui de l’histoire, même si les archives sont souvent convoquées, mais celui de l’inspiration poétique, tantôt cérébrale, tantôt frondeuse », commentait récemment le critique René de Cecatty. Avec lui, à partir de l’expérience culturelle antillaise, «le lecteur est d’emblée placé sur le terrain de l’imaginaire universel»26. Qu’on se le dise, de son Lieu, Glissant convoque très généreusement à la Parole. Il en fait ricocher son propre cri sur l’étendue:

«Et que la Caraïbe créole parle au monde qui se créolise – clame-t-il dans le magnifique plaidoyer de Traité du Tout-Monde consacré à son île natale de la Martinique. Elle a rallié sa multiplicité en une diversité étonnamment convergente. Sans aucune sorte d’uniformité cependant. Consacrons cela entre nous. Cela n’est pas un Appel, ni un manifeste, ni un programme politique (...) C’est ici un cri, tout simplement un cri. D’Utopie réalisable. Si le cri est repris par quelques-uns et par tous, il devient parole. Chant commun. Le cri et la parole se relaient pour faire lever le possible, et aussi ce que nous avons toujours cru être l’impossible, de nos pays»27.

Ce chant de la Parole tout entier composé par le principe de la Relation est si axial chez Glissant qu’il oblige à observer sa mesure. Devant le foisonnement et la richesse de sa pensée et dans la visée de nos propos, nous nous restreindrons au choix de deux métaphores très différentes parmi les plus marquantes qui en portent les mots: la métaphore végétale de l’identité-rhizome, de portée philosophique, et la métaphore de la langue écho-monde mêlant stratégiquement linguistique et stylistique.

La métaphore de l’identité-rhizome: poétique de la Relation et pensée de l’Autre

La première métaphore qui permet à Glissant d’exprimer à la fois sa poétique de la Relation et ce qu’il appelle «la pensée de l’Autre», est tirée d’un paradigme végétal bien connu aux Antilles: celui de la mangrove, mis forcément en rapport avec la notion de racine rhizome, notion elle-même empruntée au Mille Plateaux de Gilles Deleuze et Félix Guattari. Il l’expose en particulier dans son Introduction à une Poétique du Divers28.

L’image est très parlante et nous informe de plusieurs choses. La mangrove, c’est un emmêlement inextricable de branches, un fouillis de racines rhizomes à la fois aériennes, marines et souterraines qui illustre fort bien les enchevêtrements infinis et complexes des identités créoles et, par analogie, de toutes les identités-monde en processus inéluctable de métissage (Glissant préfère le terme de «créolisation»). L’homme créole n’est pas le produit d’un tronc-racine-unique à la manière dont on représente un arbre généalogique occidental cherchant à démontrer une filiation. Son principe identitaire en inverse radicalement la figure. Ses branches sont d’abord issues du sol avant d’être aspirées par le tronc créole. L’homme créole est une racine démultipliée, rhizomée, qui s’étend en transversalité, en horizontalité, pas en verticalité acquise par Révélation/filiation comme n’ont cessé de s’en réclamer les idéologies coloniales prétendant à une légitimité instituée de droit divin. Quel leurre! La filiation? Mais quelle filiation, insinue Glissant, pourrait-il y avoir entre un Chinois mêlé de sang nègre, blanc ou tamoul perfusé depuis trois générations sur le sol d’une île antillaise? Et de même, qu’est-ce qu’une filiation aujourd’hui dans un monde surmélangé? Qu’est-ce «être» Français? «être» Martiniquais? Qu’est-ce sinon d’habiter un Lieu et d’y entrer en Relation! Car Glissant va encore beaucoup plus loin. Il nous dit que le principe même de racine rhizome fait que l’Arlequin créole n’a d’ailleurs pas à proprement parler «d’être», «d’essence» au sens des termes éculés par la philosophie européenne. Il n’est ontologiquement parlant qu’un «étant», dit très subtilement Glissant, parce qu’il s’étend dans l’étendue de ses rapports multiples à l’Être du monde dont il est une résultante29. Ce n’est pas l’Homme d’une Genèse révélée, mais l’humain produit par «digenèses», contraction signifiant une diversité de genèses ou encore, dans son emploi au singulier, une genèse qui n’a pas de source unique30. Tout le reste en découle: totalité-monde, chaos-monde, pensée-monde, langue écho-monde, identité-monde et donc Tout-Monde... La palette est très extensible chez Glissant. Comme les rayons d’une roue, ces vecteurs s’étoilent à partir du seul noyau de la pensée du rhizome. À chaque fois, ce sont les processus infinis de métissage par créolisation qui sont par là implicitement démontrés, qui «font» obligatoirement Relation. Si donc «la Relation [est] comme constitutive de mon être», elle l’est en tant qu’étant dans l’Être du monde31. Elle l’est ainsi en tant que réseau de solidarité et plus exactement dit en tant que notre inscription dans ce réseau de solidarité nous préserve rigoureusement des absolutismes. Et elle l’est encore en tant qu’«effort sans limites du monde» pour «qu’il se réalise en totalité, c’est-à-dire qu’il échappe au repos»32, nous dit très subtilement le philosophe. Car si la totalité reste en repos, ou se repose sur une seule de ses faces, alors elle s’alourdit et devient totalisante et totalitaire.

C’est pour échapper une fois de plus à ce risque historiquement destructeur que Glissant définit alors finalement la Relation comme «totalité ouverte », indéfiniment ouverte, et plus précisément toujours travaillée à rester ouverte par «la force poétique (l’énergie) du monde, maintenue vive en nous » par l’imaginaire33. D’où toute une série d’injonctions «catéchétiques» qu’il nous livre en vrac: «Ouvrez au monde le champ de votre identité»; «La rencontre de l’Autre suractive l’imaginaire»; «Sur l’imaginaire de l’identité racine-unique, boutons cet imaginaire de l’identité-rhizome»; ou encore cette magnifique adresse: «Tout de même qu’elle n’est pas pure abstraction en place du vieux concept d’universel, la Relation n’implique ou n’autorise aucun détachement œcuménique. Le paysage de ta parole est le paysage du monde. Mais sa frontière est ouverte»34.

La Parole de la Relation, clair message de l’osmose identité/altérité tirée en extension du concept d’identité-rhizome, trouve ici ses mots. C’est par cette manière d’écrire le monde dans sa tête, si l’on peut dire, et pour chacun, que «nous sommes Paroles». Glissant en récapitule fort bien l’écho dans ce passage tiré de l’Introduction à une Poétique du Divers:

«Tant qu’on n’aura pas accepté l’idée, pas seulement en son concept mais par l’imaginaire des humanités, que la totalité-monde est un rhizome dans lequel tous ont besoin de tous, il est évident qu’il y aura des cultures qui seront menacées. Ce que je dis c’est que ce n’est ni par la force, ni par le concept qu’on protègera ces cultures, mais par l’imaginaire de la totalité-monde, c’est-à-dire par la nécessité vécue de ce fait: que toutes les cultures ont besoin de toutes les cultures»35.

Enfin, ces liens croisés entre identité/altérité/Relation, déduis de la métaphore du rhizome, trouvent encore un écho pertinent et tout à fait pragmatique dans ce que Glissant nomme «la pensée de l’Autre».

Voici ce qu’il déclare à ce sujet: «la pensée de l’Autre, c’est la générosité morale qui m’inclinerait à accepter le principe d’altérité, à concevoir que le monde n’est pas fait d’un bloc et qu’il n’est pas qu’une vérité, la mienne». Accompagné d’un bon esprit, Glissant, dans le fond, réclame encore ici un bon sentiment. Mais attention, ce bon sentiment risque d’être insuffisant et stérile si cette pensée de l’Autre ne bouge rien en moi-même. C’est pourquoi, à la pensée de l’Autre, il faut donc conjoindre «l’Autre de la pensée [qui] est ce bougement même». Car c’est là que tout est mis en mouvement d’échange «où chacun est changé par l’autre et le change», non en abdiquant l’apport de sa propre pensée, mais en l’enrichissant, à chaque fois, des ajouts de l’Autre36. Patrick Chamoiseau, grand admirateur de Glissant le commente dans ce passage autobiographique extrait d’Écrire en pays dominé:

«L’Autre me change et je le change. Son contact m’anime et je l’anime. Et ces déboîtements nous offrent des angles de survie, et nous descellent et nous amplifient. Chaque Autre devient une composante de moi tout en restant distinct. Je deviens ce que je suis dans mon appui ouvert sur l’Autre. Et cette relation à l’Autre m’ouvre en cascades d’infinies relations à tous les Autres, une multiplication qui fonde l’unité et la force de chaque individu. Créolisation! Créolité! Dans la Créolité martiniquaise chaque Moi contient une part ouverte des Autres, et au bordage de chaque Moi se maintient frissonnante la part impénétrable des Autres. J’avais quitté là, dans un acmé des rêves, l’identité ancienne»37.

Presque dix années après l’Éloge de la Créolité ce témoignage est d’importance. Il convainc du propre enrichissement de la Créolité de Chamoiseau à la pensée Tout-Monde de Glissant, à cette «autre manière de penser l’homme-au-monde et d’envisager son épanouissement diversel»38. Diversel et non Universel. La Diversalité chantée ici par Chamoiseau se fait d’ailleurs encore l’écho d’une autre très belle idée développée par Glissant, celle «d’errance enracinée»39 par laquelle il célèbre le mouvement à la fois comme antidote aux névroses identitaires, et, si l’on peut dire, comme matière première de l’identité.

Qu’est-ce à dire? Parce que «la terre de la communauté est un comble d’errance», énonce Glissant, l’errance devient ce qui nous met en «appétit du monde»40. Alors que nous sommes forcément enracinés à un Lieu (même en situation d’exil), elle permet à notre identité-rhizome, donc étendue aux espaces du Tout-Monde, d’errer à loisir dans l’entier du monde, par l’esprit, dans un rapport sans fin d’altérité et de possibles et sans crainte de s’égarer! Pensons à l’image très simple d’un navire relié à une chaîne d’ancrage immense lui permettant de dériver sans danger vers tous les lieux du monde. La force de cet imaginaire-là nourrit et élargit une fois de plus la pensée de l’identité à l’infini. Elle n’est pas antinomique ou castratrice de l’identité ni dissolvante de l’identité. Elle permet au contraire de dépolariser et de relativiser la notion/question de l’identité «laquelle n’est après tout que la recherche d’une liberté dans un entour»41 qu’une Poétique de la Relation surmultiplie par tous les angles de vues et de lieux possibles, en perspective Tout-Monde. Prolongeant ici Glissant, nous pourrions alors avancer que la connaissance de soi comme de l’Autre n’est finalement que le processus obligé de «co-naissance», vécue, partagée, entre soi et l’Autre.

C’est dire, de toutes façons, si chez Glissant le principe identitaire s’efface dans la Relation (sans pourtant disparaître!) pour laisser place à «l’altéritaire » et, partant, si sa notion d’identité s’écarte des thématiques et des marqueurs usés de la sociologie classique. Appuyé sur tout ce qui vient d’être observé, on peut ainsi avancer que pour lui l’identité, générée donc à partir d’un Lieu42, n’est qu’une forme d’existence relationnelle librement consentie et dépendante d’altérités que, sans repos, elle relie, relaie, rallie et relate – pour reprendre une série de verbes plébiscités par l’auteur. On est ici au cœur d’une pensée maintenant partagée dans toute la nouvelle littérature antillaise: mon identité n’est pas une identité-racine-unique, mais une identité-racine-rhizome continuellement à la rencontre d’autres racines et nourries d’autres racines. Je ne suis qu’imbriqué dans un réseau de relations. En bref, mon identité émane de mes rapports, de mes efforts, de mes apports aux autres, à tous ces bouts de monde que mon imaginaire poétique capte, peut produire et investir à partir de mon Lieu. Elle n’est donc plus donnée une fois pour toute, fixiste, fixée par un destin, ni même à découvrir et à réaliser, mais toujours en ‘bougement’, continuellement en devenir. Elle n’est plus «raciale», «ethniciste», ou «substantialiste». Elle n’est plus physique mais pensive et, au sens littéral du terme, «spirituelle», c’est-à-dire «spirée», soufflée, «in-spirée» de toutes les relations qui me tissent. C’est dans cette optique que Patrick Chamoiseau en résume la force poétique: «Quand on a élu en soi l’idée de créolisation, on ne commence pas à «être», on se met soudain à «exister», à exister à la manière totale d’un vent qui souffle, et qui mêle terre, mer, arbre, ciel, senteurs, et toutes qualités...»43.

La métaphore de la langue écho-monde: légitimité identitaire, «oraliture», et multilinguisme imaginaire

Renforçant dans un tout autre registre la métaphore de l’identité-rhizome, celle de la langue créole née sur le sol de la Colonie est une autre étonnante expression du binôme identité/altérité inhérent à la Relation. Une métaphore omniprésente dont l’esprit agite et habite toute la nouvelle littérature antillaise, mais qu’il faut paradoxalement déchiffrer parce qu’elle amalgame tout à la fois les concepts de langue, de langage, de «linguisme», de parole, des parlers, des parlures, de «l’écrire», d’écriture, de graphie, de lexie, de littérature, d’oralité et, nous le verrons, «d’oraliture»... Elle s’étaye sur le fait que la langue créole est de fait une langue d’altérité en ce qu’elle «réfléchit dans ses phrases la diversité du monde»44. À l’inverse du «sabir anglo-américain», écho-monde négatif dont la puissance dangereusement totalitaire neutralise aujourd’hui la Relation en subjuguant la belle diversité des langues de la planète, Édouard Glissant, lui-même vénéré par ses pairs comme «Marqueur des échos-monde»45, considère en effet la langue créole tel «un écho-monde fragile et révélateur, né d’un réel de relation»46. Superbe «compromis»47, cette langue est le type même, exemplaire, d’une résultante de la créolisation, c’est-à-dire du mode d’emmêlement du monde48. Dans l’épopée historique de sa construction et la pluralité de ses variantes, on constate que cette langue – en ses variances – est née de toutes les anthropologies redécouvertes par la Créolité, se frotte à donc toutes les cultures et ratisse dans tous les parlers49. En cela, elle reflète clairement un processus qui peut aussi s’étendre et participer à relier, relayer, rallier, relater au Tout-Monde, et de manière toute prophétique en exprimant ainsi que «le divers du monde a besoin des langues du monde»50.

Il y a là, dans cette métaphore, comme un petit air de revanche indéniable et légitime (pour ne pas dire ironique). Car la langue créole a vécu une très difficile conquête historique dont les mémoires antillaises portent encore lourdement les traces. Entre «français corrompu», «jargon extrêmement mignard», «espèce de baragouinage», «langue d’esclave bonne pour les sauvages, frustres et sous-développés», «patois», «sous-langue», «langue argotique», «parler petit-nègre» ou autre «dialecte» systématiquement opposé à la sacro-sainte «langue élue» du «français-France», le créole, c’est le cas de le dire, en aura vu de toutes les couleurs. Une reconstruction de ses origines comme celle que nous a laissée par exemple Raphaël Confiant – non sans redresser quelques torts toujours tenaces51 –, convainc pourtant de l’infondé des sarcasmes. Le créole est une langue véritable, imputable aussi bien aux maîtres blancs qu’aux esclaves. Ils la créèrent ensemble, de toute pièce, comme médium de communication obligé. Sommés de se comprendre, ils durent inventer de suite une communauté linguistique entre bribes de langues des autochtones caraïbes, dialectes des colons venant d’une France où l’hexagone géographique tout comme la langue unifiée, faut-il le rappeler, n’étaient pas encore fixés52, et les nombreuses langues des esclaves déportés de quasi toutes les ethnies des côtes et de l’intérieur de l’ouest africain. Mais dès l’abolition de 1848, Blancs et Mulâtres (revendiquant leur «po chapé» – «peau sauvée» – au nom d’un pedigree fort blanchi) la rejetèrent violemment «comme on se dévêt des hardes de la négraille»53. L’assimilation forcée aidant, grave fut alors la répression d’une langue désormais racialisée, rabaissée, dévalorisée et marginalisée par des maîtres qui avaient, eux, l’avantage de parler à la fois et ce désormais «baragouin» et «le bel français d’En-France». Retour de balancier, la fascination pour le français académique, langue de scolarisation officielle, devait faire le reste. Érigée en langue culte aux attributs de savoir et de pouvoir, mesurée à l’art de sa maîtrise, la langue française devenait seule apte à blanchir et à promouvoir, à tous les niveaux, l’individu créole. Séquelle identitaire irréductible: le rejet de sa langue créole, véritablement maternelle, considérée tel un stigmate infâme de l’esclavage.

Outre le problème de la longue mise en place d’un système de graphie équitable et reconnu par tous, les écrivains créoles payent encore le prix fort de cette «douleur linguistique»54 par l’impossibilité non pas d’écrire en créole, mais de se trouver en face d’un véritable lectorat créole55. N’ayant cesse de dénoncer ce refoulement constant de la langue créole reléguée le plus souvent au seul cadre familial, ils trouvèrent néanmoins une issue subtile et stratégique à ce double déni identitaire et «altéritaire» en conjuguant ce vice historique de la fétichisation de la langue française par la mise en œuvre littéraire d'un principe scriptural inédit: le principe d’oraliture. Le mot même en dit toute l’intelligence. La composition de ce néologisme est une joyeuse pirouette inventée par les écrivains haïtiens «pour remplacer le mot littérature, marquant ainsi leur détermination à rester dans le champ de l’oral», commente Édouard Glissant dans son Discours Antillais56. Le processus dialectique qu’il informe et active, entre oralité et écriture comme entre langage vernaculaire et véhiculaire, est spectaculaire en ce qu’il offre à la langue créole le pouvoir lisible d’infléchir le français visible! Et plus encore. D’après Glissant, au niveau stylistique, cette oraliture/littérature créole si spécifique va même jusqu’à provoquer l’indistinction des genres littéraires57. C’est, au coup de force de l’écriture, ajouter le coup de force par l’écriture! Cette réécriture libre qui a fait couler beaucoup d’encre, ni tout à fait français créolisé ni non plus créole francisé58, nous semble à la fois de l’ordre de la jubilation par transgression et de l’ordre d’une raison rivée tout simplement à la logique de l’anthropologie créole mise à jour.

À lire les écrivains créoles, on sent bien, en effet, cette jubilation à chahuter, à irriguer, à irriter le français sans complexe, à mélanger les genres, à provoquer le baroque, à court-circuiter les académismes, les points, les virgules, les verbes, les tournures, à tirer des mots de nouvelles vibrations, d’inédits accouplements, à les placer dans des positions inattendues, pour tout dire, une espèce d’orgasme narratif et verbal dont les auteurs d’Éloge n’ont rien caché: «Nous l’avons conquise (...) La créolité (...) a marqué d’un sceau indélébile la langue française»59! Mais la raison de cette appropriation n’est pas gratuite. Sa perspective stratégique est naturellement dictée par les digenèses d’origines qui irriguèrent les habitants des îles. La voici: articuler le cri de la Parole prophétique préfigurée par le tourbillon d’identités créoles, dans le champ du monde. C’est d’autant «nécessaire à la Relation» déclare Glissant à ce propos que «les œuvres de l’oralité (...) trament dans la Relation»60. Dans l’oraliture («notre parole retrouvée et finalement décidée»61), ces œuvres sont sous la graphie formelle, sous la scription, Paroles sous l’écriture. «Écrire c’est dire, littéralement (...) c’est vraiment dire », écrit Glissant62.

Ce détour subtil et triomphal par l’oraliture permet ainsi à celui qui écrit le dire (soit littéralement au «Marqueur de paroles» créole, comme aime à s’intituler Chamoiseau63), de (re)trouver et garder sa légitimité identitaire tout en préservant l’altérité (et de fait la Relation, y compris avec l’Autre) à la fois et très paradoxalement, on l’a vu, avec et sans le créole, avec et contre le français!64 Si donc la problématique du rejet de la langue créole s’assompte ainsi par ce détour, a contrario il n’est cependant plus question du rejet d’une langue française par là-même conjurée et transmuée. «L’imaginaire de l’homme antillais a besoin de la langue créole et de la langue française», insiste Édouard Glissant65, étant entendu que cette dernière langue n’est qu’une des langues de la totalité monde. Car le philosophe martiniquais, constamment méfiant et hantés des enfermements réducteurs qui ont été le lot du colonialisme, et toujours soucieux «d’écouter ensemble le cri du monde»66, ajoute encore au principe d’oraliture celui du multilinguisme. Avec ce postulat: la langue créole est certes écho-monde, mais le multilinguisme l’étend encore plus au champ de la Relation Tout-Monde.

Qu’entend-il par là? «Le multilinguisme, dit-il, ne suppose pas la coexistence des langues ni la connaissance de plusieurs langues mais la présence des langues du monde dans la pratique de la sienne; c’est cela que j’appelle le multilinguisme»67. Cette présence des langues dans la sienne est évidemment pour lui ouverture d’esprit. Elle est de l’ordre d’une reconnaissance, d’une Poétique du Divers:

«Ce n’est pas une question de parler les langues, ce n’est pas le problème. On peut ne pas parler d’autres langues que la sienne. C’est plutôt la manière même de parler sa propre langue, de la parler fermée ou ouverte; de la parler dans l’ignorance de la présence des autres langues ou dans la prescience que les autres langues existent et qu’elles nous influencent même sans que nous le sachions (...) c’est une question d’imaginaire des langues. Ce n’est pas une question de juxtaposition des langues, mais de leur mise en réseau».

Et encore:

«Je parle et surtout j’écris en présence de toutes les langues du monde (...) je ne peux plus écrire de manière monolingue. C’est-à-dire que ma langue, je la déporte et27 la bouscule non pas dans des synthèses, mais dans des ouvertures linguistiques qui me permettent de concevoir les rapports des langues entre elles aujourd’hui sur la surface de la terre»68.

La perception de cet «imaginaire des langues», que Glissant entend sous son interprétation assez énigmatique de la notion de «multilinguisme», mérite que l’on s’y attarde quelque peu.

Pour le philosophe antillais, le multilangage est pragmatiquement mis en œuvre lorsque le locuteur met en relation, en réseau, par des mots, des idées, des pensées, les divers imaginaires humains que génèrent toutes les langues du monde. Autrement dit lorsqu’il participe à refléter les rapports interhumains dans l’esprit d’une connaissance partagée, échangée et non captée ou spoliée des diverses cultures humaines. «La poétique de la Relation, commente-t-il, requiert toutes les langues du monde. Non pas les connaître ni les méditer, mais savoir (éprouver) qu’elles existent avec nécessité. Que cette existence décide des accents de toute écriture»69. En somme, il s’agit pour Glissant d’une posture, à la fois poétique, rhétorique, politique, éthique, qui échappe aux positions fétichistes et unicitaires qu’imposerait le choix strict d’une langue et donc d’une monoculture référente, captatrice, tentaculaire et totalitaire. Car Glissant, encore et toujours à l’affût de tous assujettissements, s’inscrit dans le principe de l’égalité des langues et des cultures qui seul permet une vraie reconnaissance des altérités. C’est cette conception particulière du multilinguisme qui lui permet de dépasser les prétentions ataviques et totalitaires et qui le porte à penser ‘altéritairement’ l’immense espace ‘diversel’ du monde. Tout simplement parce que c’est ce type d’imaginaire-là qui peut participer à rendre l’Autre constamment présent tout en rendant cet Autre constamment libre et présent à lui-même. Car l’imaginaire est errance, non emprise! Glissant parle d’ailleurs de «vagabondage de langues et de parlers»70 comme pouvant potentiellement, en chaque être collectif ou personnel, manifester la présence d’être au monde dans l’Être du monde. En langage glissantien, on peut donc très bien parler ici «d’archipélisation de chaque langue» aux dimensions d’un «Tout-Monde de langues», ou carrément d’un «Tout-langue» selon Lise Gauvin71 – interlocutrice privilégiée du penseur martiniquais. Il ne s’agira pas, bien entendu, de penser chaque langue tel un «fourre-tout» de langues, à la manière dont l’avaient conçu – même positivement – les créateurs d’un espéranto international. Ce serait en revenir dangereusement au projet idéologique de Babel abrasant toutes les différences. Encore une fois, il s’agit d’une poétique de la Relation qui, acceptant les opacités de tout divers contre les sacro-saintes dangereuses transparences, s’arc-boute à préserver l’altérité. «L’ère des langues orgueilleuses dans leur pureté doit finir pour l’homme, disait déjà prophétiquement Glissant en 1969: l’aventure des langages (des poétiques du monde diffracté mais recomposé) commence»72.

C’est dire finalement si le Tout-Monde chanté par Glissant ne saurait effectivement se conjuguer sans «l’imaginaire Tout-langue» de scripteurs s’éprouvant désormais comme étant nécessairement habités de toute les cultures du monde. Lise Gauvin en a très bien vu le corollaire: une telle poétique de la Relation ne conduit pas tant finalement à la parole poétique qu’à «la parole comme poétique». Car cette parole devient du coup «une parole autre, une parole de l’autre, qui dit le ‘je de l’autre’»73. La nuance est aussi fine que révélatrice de la démarche vers laquelle la pensée créole nous a mené et que nous avons suivi jusqu’ici: avec le penseur Martiniquais, on ne part plus du ‘Je’ vers le ‘Tout’(- autre), mais c’est bien depuis le ‘Tout’(- autre) que l’on peut alors revenir vers le ‘Je’! La boucle donc ce boucle. Et c’est ainsi que pour Glissant, l’écrire multilingue permet de rêver, de penser, d’imaginer, de vivre et de préserver toutes les identités-monde et les altérités-monde. Tout écrivain, habité de ce désir, en devient porte-parole. C’est dans le fond, par le détour linguistique, la pointe théologique de la parabole de Babel qui émerge ici: «Il est donné, dans toutes les langues, de bâtir la tour»74.

Ouverture:
les chemins identitaires et «altéritaires » d’une littérature anthropologique

Au siècle (déjà) passé, Kafka faisait l’hypothèse que la littérature serait peut-être «le dernier chemin vers notre prochain ». À fouler depuis tant d’années le terrain créole, nous pensons qu’elle peut devenir certitude. Paul Ricoeur ne nous a-t-il pas enseigné que lire et méditer les textes nous projetait vers autrui? Emmenées par ces scripteurs visionnaires que sont Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau, la littérature créole, pourtant issue de beaucoup de souffrances, d’une histoire dramatique, nous amène vers ces prochains créoles et nous ouvre vers ces lointains du monde désormais irréversiblement en relation. Non sans facilité! Glissant n’a jamais caché la difficulté de sa «Mondialité»75 en parlant d’emblée du «vœu dramatique de la relation»76, une manière d’exprimer sans ambages l’effort ‘sur-humain’ en quelque sorte que réclame le non-donné de chaque relation. Dans son dernier ouvrage, La cohée du Lamentin, il considère même «notre relation à l’Autre et au Monde comme un énorme tremblement»77. La «Pensée du Tremblement», telle les ailes frémissantes étendues de l’oiseau, c’est «la pensée sismique du monde qui tremble en nous et autour de nous»78. Ce tremblement n’est pas de peur mais de travail, la sublimation d’«une souffrance de tous»79 qui palpite au ‘palpitement’ du monde qui prend corps en nous. Et nous sentons bien que cette littérature tremble et bat d’une profonde et noble inquiétude de l’humain. Et ce geste fascine. L’enquête légitime de sa propre identité, malgré les douleurs, a fini par déboucher sur une quête impensée d’altérité. Et c’est pourquoi elle nous convainc de «l’action de la littérature sur les hommes» – pour reprendre le mot de Lévinas. Le linguiste antillais Jean Bernabé a d’ailleurs renchéri ce point de vue: «la littérature n’est pas seulement mais est aussi un opérateur ayant une pertinence pour le développement des communautés humaines»80.

Dans cette trace, cette contribution aura donc également abordé, de manière un peu inattendue et modeste, ce lien aujourd’hui accepté – mais assez peu exploité – entre littérature et anthropologie81, tant processus littéraire et processus identitaire ont ici travaillé de pair, tant la littérature créole fait ici corps avec le «littérateur» créole. C’est du reste très souvent dans l’entrecroisement des disciplines constituées qu’émergent des résultantes inédites et stimulantes. Et particulièrement en littérature dont l’auteur vénézuélien Andrès Bansart, dans le contexte de la problématique antillaise, nous dit avec pertinence:

«L’écrivain ne s’enferme pas dans une tour d’ivoire pour élucubrer une histoire possible. Au contraire, il cherche des pistes, rassemble des faits comme l’historien. Il écoute le peuple comme l’anthropologue. Il étudie les langues comme le linguiste. Il observe l’organisation sociale comme le sociologue. Il examine l’ «oikos» comme l’économiste ou l’écologiste. Il analyse la «polis » comme le politologue. Mais, en plus de cette démarche transdisciplinaire, il sent avec sa sensibilité d’artiste, il imagine, interprète, construit et il propose une vérité nouvelle à partir du peuple dont il fait partie»...82

La littérature est ici décrite comme discipline de cumul. L’anthropologue s’y insère comme l’écoutant. La remarque corrobore ce que nous entendions, dans notre introduction, sous les mots «laisser-dire», termes qui ont déterminé l’observation phénoménologique de l’approche de notre sujet (approche chère à l’anthropologie contemporaine), en considérant la littérature créole tel un matériau anthropologique. Ce type de collecte ethno-littéraire n’est pas nouveau. Bien des anthropologues, au même titre que le matériau photographique par exemple, acceptent de voir dans la littérature le lieu d’une connaissance et d’une récolte ethnographique valable.

Faut-il parler ici de «texte anthropologique»? La difficulté de répondre à cette question est sans doute réelle dans le cadre d’une écriture de voyage produite par un auteur exogène. Mais la difficulté est vraisemblablement conjurée dans le cas d’un texte travaillé par un auteur endogène à propos d’un phénomène culturel, social et surtout identitaire, comme c’est le cas des scripteurs créoles cherchant à dégager «sous l’écriture» les entrailles mêmes de leur être collectif et leur architecture intime. Pour combler les silences d’une Histoire écrite par l’Autre, n’ont-ils pas paradoxalement été obligés de se mettre en scène (à travers leurs engagements, leurs pensées, leurs héros romanesques) à la fois comme sujets observants et sujets observés de l’histoire identitaire qu’ils s’efforcèrent de décrypter?83 À les lire, on en acquiert d’autant la conviction qu’œuvres romanesques, poétiques et théoriques s’inscrivent finalement toutes dans un genre narratif inductivement autobiographique. Car au fond, les écrivains créoles n’expliquent rien. Tel Patrick Chamoiseau, ils sont nombreux à dire qu’ils ruminent leurs émois, qu’ils frémissent, palpitent, rêvent, se content et se racontent leurs histoires si longtemps confisquées par plus de trois siècles d’assimilation à la culture politique dominante:

«Aller au rêve. Haler le rêve. C’était là, je le compris soudain, le mode meilleur de connaissance: rêver, rêver-pays. Le rêve m’offrait la légèreté omnipotente du papillon. Le rêve pouvait dénouer les ferrements coloniaux posés à nos réalités. Rêveur, j’irai aux frissons d’ombres...»84

Indéniablement, le sujet créole se dit et s’identifie dans sa propre littérature. «L’Écrire» (qu’il précède d’un grand «É » comme Chamoiseau et qu’il préfère aux mots «écriture» et «littérature») est ici son texte de vie, de corps et d’esprit. Y gît sa mémoire. C’est littéralement une «ex-pression», une poussée vers l’extérieur de tout ce qui était enfoui en lui jusqu’ici85. Et plus encore – et c’est très significatif – lorsque l’écrivain se mue lui-même en ethnographe en ratissant les pans d’oralité de sa propre mémoire menacée: contes, proverbes, devinettes, pratiques séculières, etc. Certes, la subjectivité est ici première – quoique Glissant, au coeur de sa «pensée-monde», a pu en appeler à la dépasser «pour aller vers une intersubjectivité du ‘Tout-monde’»86. En attendant, les écrivains créoles la revendiquent tel un pain quotidien en «donnant congé aux docteurs de la loi» de toutes sortes tant ils ont été «fondamentalement frappés d’extériorité», déportés d’eux-mêmes et «exotisés»87. Mais cette subjectivité n’est de toute façon pas en contradiction avec l’approche phénoménologique. Au contraire. Mieux encore que les monographies de terrain écrites par les anthropologues, cette littérature scriptée par les auteurs créoles nous semble même plus objective au sens où elle est terrain même de l’anthropologie créole! Au plein sens du mot centre de ‘l’en-quête’! Lieu évidemment au plus proche de la connaissance du sujet créole. Et d’un rare réalisme épistémologique lorsque l’écrivain rédige ses propres moments phénomé-nologiques de descriptions anthropologiques et ses propres moments anthropologiques de descriptions phénoménologiques (!) qui l’ont mené à trouver une issue identitaire:

«Il fallait nous laver les yeux: retourner la vision que nous avions de notre réalité pour en surprendre le vrai. Un regard neuf qui enlèverait notre naturel du secondaire ou de la périphérie afin de le replacer au centre de nous-mêmes. Un peu de ce regard d’enfance, questionneur de tout, qui n’a pas encore ses postulats et qui interroge même les évidences. Ce regard libre se passe d’auto-explications ou de commentaires. Il est sans spectateurs extérieurs. Il émerge d’une projection de l’intime et traite chaque parcelle de notre réalité…»

commentent les auteurs d’Éloge de la Créolité ajoutant par après:

«Notre vision intérieure exercée, notre créolité mise comme centre de créativité, nous permet de réexaminer notre existence (...) L’écrivain est un renifleur d’existence (...) il a pour vocation d’identifier ce qui, dans notre quotidien, détermine les comportements et structure l’imaginaire»88.

En définitive, c’est peut-être pourquoi, plus qu’ailleurs, cette littérature/oraliture créole écrite, toujours aujourd’hui, «en pays dominé», vient pour ainsi dire au secours de l’anthro-pologie. Elle est donc instrument de l’anthropologie et, pour tout dire, anthropologique. N’est-elle pas incarnée? Ne libère-t-elle pas l’Humain et sa Parole? N’offre-t-elle pas une réflexion fondamentale et novatrice sur l’identité et l’altérité dans un monde en voie inéluctable de métissage? Et sur le comment vivre les identités singulières face aux défis immenses des altérités qui se présentent à nous aujourd’hui? Et contre les intolérances et les dangers d’une pensée unificatrice menaçante? Plus encore, dans la foulée, nous postulons qu’en tant qu’œuvre d’incarnation et de fiction travaillée d’imaginaires, la nouvelle littérature antillaise, dont les traces et la voix véritablement prophétiques sont si admirablement portées par Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant, entraîne d’emblée ses lecteurs vers leur propre libération identitaire tout en les portant constamment aux rêves «altéritaires» les plus fous!

boule  boule  boule

Bibliographie sommaire

BANSART, Andrès: «Le roman caribéen: expression polyphonique d’une histoire non écrite», in Alain YACOU (dir.), Les apports du Nouveau Monde à l’Ancien, Actes du colloque du FESTAG (Festival des Arts de Guadeloupe des 23-25 juillet 1991), Paris, CERC-Karthala-FESTAG, 1995, pp. 203-215.

BERNABÉ, Jean: «De la Négritude à la Créolité. Éléments pour une approche comparée», in Antilla, Fort-de France, n° 552 du 24 septembre 1993, pp. 26-29.

BERNABÉ, Jean: «La créolité: problématiques et enjeux», in Alain YACOU (dir.), Créoles de la Caraïbe, Paris, Karthala-CERC, 1996, pp. 209-217.

BERNABÉ, Jean; CHAMOISEAU, Patrick; CONFIANT, Raphaël: Éloge de la Créolité, Paris, Gallimard, 1989.

CALVET, Louis-Jean: La tradition orale, Paris, PUF, 1984 («Que sais-je?», n  2122).

CÉSAIRE, Aimé: Cahier d’un retour au pays natal, rééd. Paris-Dakar, Présence Africaine, 1993.

CHAMOISEAU, Patrick: Écrire en pays dominé, Paris, Gallimard, 1997.

CHAMOISEAU, Patrick: «Dans la Pierre-Monde », in Pro Helvetia (rapport d’activité 2000 de la Fondation), Zürich, 2000, pp. 4-16.

CHAMOISEAU, Patrick; CONFIANT, Raphaël: Lettres créoles. Tracées antillaises et continentales de la littérature. 1635-1975, Paris, Hatier, 1991.

CHANCÉ, Dominique: «Marqueur de paroles ou auteur antillais?», in Marie ABRAHAM et Daniel MARAGNÈS (dir.), Guadeloupe. Temps incertains, Paris, Éditions Autre-ment; 2001, pp. 197-207 (collection Monde HS, n° 123).

CHANSON, Philippe: «Esclavage, Négritude et Créolité. Les lames de fond de l’assomption créole», in Bulletin du Centre Protestant d’Études, Genève, n° 3/1996, pp. 5-38.

CHANSON, Philippe: La Créolité antillaise, avènement de la Parole métisse, Louvain-la-Neuve, Université Catholique de Louvain, Unité d’Anthropologie et de Sociologie, 2002 (Ethnologie prospective, n° 3).

CHANSON, Philippe: Les Antilles françaises, lieu d’émergence d’une Parole vers demain? Tracées inédites d’une diaspora d’origine africaine, Contribution au Colloque inter-disciplinaire «Afrique et diasporas: la force de penser demain», les 25-26 juillet 2002 à l’Institut de Développement et d’Échanges Endogènes de Ouidah (Bénin), Genève-Ouidah, IrEd-IdÉe, 2003.

CONFIANT, Raphaël: «Le créole ou la quête de la souveraineté scripturale», in Magazine littéraire, Paris, n° 369, octobre 1998, pp. 117-119.

DEPESTRE, René: Le métier à métisser, Paris, Stock, 1998.

DEPESTRE, René: Ainsi parle le fleuve noir, Grigny, Paroles d’Aube, 1998.

GAUVIN, Lise: «L’imaginaire des langues: tracées d’une poétique», in Jacques CHEVRIER (Textes réunis par), Poétiques d’Édouard Glissant, Actes du colloque international ‘Poétiques d’Édouard Glissant’, Paris-Sorbonne, 11-13 mars 1998, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1999, pp. 275-284.

GLISSANT, Édouard: L’intention poétique, Paris, Seuil, 1969, puis Gallimard, 1997.

GLISSANT, Édouard: Le discours antillais, Paris, Seuil, 1981.

GLISSANT, Édouard: Poétique de la Relation, Paris, Gallimard, 1990.

GLISSANT, Édouard: Introduction à une Poétique du Divers, Paris, Gallimard, 1996.

GLISSANT, Édouard: Traité du Tout-Monde, Paris, Gallimard, 1997.

HAZAËL-MASSIEUX, Marie-Christine: «Chamoiseau, cet écrivain qui écrit le créole directement en français…», in Portulan, Châteauneuf-le-Rouge, n° 3, octobre 2000, pp. 189-202.

LUDWIG, Ralph (dir.): Écrire la «parole de nuit», La nouvelle littérature antillaise, Paris, Gallimard, 1994 (Folio, essais, n° 239).

Notes

  1. Ce texte a été travaillé pour la Franklin College Conference on Caribbean Literature and Culture, «The Caribbean Unbound», les 13-16 avril 2005 à Sorengo (Lugano). Cf. aussi une de nos contributions beaucoup plus courte offerte pour le numéro spécial "Altérité et identités dans les littératures de langue française", de la revue Le français dans le monde. Recherches et applications (Sèvres), sous la dir. d’Aline Gohard-Radenkovic, juillet 2004: «‘Nous sommes Paroles sous l'écriture…’ Identité et altérité dans l'œuvre théorique de la nouvelle littérature antillaise», pp. 130-139.
     
  2. Pour rejoindre le titre significatif du livre de Patrick CHAMOISEAU, Écrire en pays dominé, Paris, Gallimard, 1997.
     
  3. Frantz FANON, Peau noire masques blancs, rééd. Paris, Seuil-Points, 1975.
     
  4. Une formule fameuse de Louis-Jean CALVET pour désigner (sur fond d’urbanisation, d’exode rural, de développement éducatif et scolaire) l’ingérence de la modernité et les clivages entre les sociétés à normes écrites et celles à traditions orales. Cf. son ouvrage: La tradition orale, Paris, PUF, 1984 («Que sais-je?», n° 2122).
     
  5. Pour ce traitement clé de l’Histoire objet d’une revendication fondamentale, voir: le chapitre «Histoire, histoires» d’Édouard GLISSANT in Le discours antillais, Paris, Seuil, 1981, pp. 126-161; «La mise à jour de la mémoire vraie» de Jean BERNABÉ, Patrick CHAMOISEAU et Raphaël CONFIANT in Éloge de la Créolité, Paris, Gallimard, 1989, pp. 37-39; «Le registre des chroniques » de Patrick CHAMOISEAU et Raphaël CONFIANT in Lettres créoles. Tracées antillaises et continentales de la littérature. 1635-1975, Paris, Hatier, 1991, pp. 21-29;  et les paragraphes «Rêver-pays» et «Moi-colons» de Patrick CHAMOISEAU in Écrire en pays dominé, op .cit., pp. 97-109.
     
  6. Éloge, op. cit., p. 38.
     
  7. La particularité de ce style qui se situe entre écriture linéaire et écriture circulaire (et qui a été mis en route par l’école haïtienne du «spiralisme» de Frankétienne) est de toujours travailler à renvoyer l’œuvre à son propre écho pour l’enrichir en l’ajoutant à elle-même dans un ressassement et une avancée infinie qui jamais ne la fixe mais toujours l’amplifie. «L’imaginaire (...) travaille en spirale: d’une circularité à l’autre il rencontre de nouveaux espaces (...) Il fait réseau et constitue volume », nous dit à ce propos Édouard GLISSANT, in Poétique de la Relation, Paris, Gallimard, 1990, p. 216.
     
  8. Patrick CHAMOISEAU, Écrire en pays dominé, op. cit., p. 176.
     
  9. Une superbe synthèse de cette émergence nous a été livrée par Patrick CHAMOISEAU dans ce qui reste pour nous son plus bel article: «Dans la Pierre-Monde», in Pro Helvetia (édité dans le cadre du rapport d’activité 2000 de la Fondation), Zürich, 2000, pp. 4-16.
     
  10. Éloge, op. cit., p. 23.
     
  11. Dans nos contributions: «Esclavage, Négritude et Créolité. Les lames de fond de l’assomption créole», in Bulletin du Centre Protestant d’Études, Genève, n° 3/1996, pp. 5-38; La Créolité antillaise, avènement de la Parole métisse, Louvain-la-Neuve, Université Catholique de Louvain, Unité d’Anthropologie et de Sociologie, 2002 (Ethnologie prospective, n° 3).
     
  12. Nous conseillons la réédition de Présence Africaine, Paris-Dakar, 1993, comprenant d’importantes Annexes et notamment la célèbre Préface qu’André BRETON rédigea pour l’édition Bordas de 1947.
     
  13. Dans sa contribution «La créolité: problématiques et enjeux», in Alain YACOU (dir.), Créoles de la Caraïbe, Paris, Karthala-CERC, 1996, p. 211, Jean BERNABÉ rappelle la «clause générationnelle» de l’épistémologue Kuhn «qui veut que, avec chaque génération intellectuelle, apparaisse un nouvel angle de vision, générateur d’un  nouveau paradigme, et qui pose son objet en des termes radicalement différents de la génération précédente». Dans le manifeste d’Éloge, il s’agit d’un «incontournable moment dialectique » (op. cit., p. 20).
      
  14. In Le Monde. Dossiers et Documents littéraires, hors série, n° 14, consacré aux «Francophonies africaines et caraïbes», janvier 1997, p. 2. Césaire répondait aux auteurs d’Éloge qui, dans un jeu de mot subtil, avaient déclaré: «Césaire, un anticréole? Non point, mais un anté-créole» (Éloge, op. cit., p. 18).
     
  15. Éloge, ibid. Jean BERNABÉ, Patrick CHAMOISEAU et Raphaël CONFIANT y précisent même que «la Négritude césairienne est un baptême».
     
  16. «Il nous faut démesurer notre lieu, c’est-à-dire le raccorder à la Démesure du monde». Édouard GLISSANT, Traité du Tout-Monde, Paris, Gallimard, 1997, p. 232.
     
  17. Éloge, op. cit., p. 25.
     
  18. La diversalité, insiste encore Jean BERNABÉ, «n’est autre selon nous, que le retournement de la fausse universalité c’est-à-dire le partage équitable de l’Être au profit de toutes les composantes». Dans «La créolité: problématique et enjeux», in op. cit., p. 209.
     
  19. Éloge, op. cit., p. 53.
     
  20. Ibid., p. 42.
     
  21. Nous avons choisi de travailler sur ces trois importants volumes: Poétique de la Relation, op. cit.; Introduction à une Poétique du Divers, Paris, Gallimard, 1996; Traité du Tout-Monde, op. cit. On doit évidemment signaler la première tracée de cette poétique (bien avant le Discours antillais), par l’ouvrage: L’intention poétique, Paris, Seuil, 1969 (dès 1997 chez Gallimard).
     
  22. Cf. sa Poétique V: La cohée du Lamentin, Paris, Gallimard, 2005.
     
  23. Dans Poétique de la Relation, op. cit., p. 46.
     
  24. L’intention poétique, op. cit., p. 95.
     
  25. Ibid., p. 199 (c’est Glissant qui souligne).
     
  26. René de CECATTY présentant le dernier livre d’Édouard GLISSANT in Le Monde. Des livres, vendredi 14 mars 2003, p. I.
     
  27. In Traité du Tout-Monde, op. cit., p. 233.
     
  28. Introduction à une Poétique du Divers, op. cit., p. 60.
     
  29. In ibid., p. 28. Sur ce point GLISSANT dit par contre qu’il en est revenu aux sources pré-socratiques où la pensée prévalait que l’Être du monde ne pouvait se concevoir qu’en Relation. Ibid., p. 30.
     
  30. Précisions partagées par Édouard Glissant lors d’un entretien privé à Paris en janvier 2005. Cf. aussi ses mots dans Traité du Tout-Monde, op. cit., p. 36: «Acclimatez l’idée de digenèse, habituez-vous à son exemple, vous quitterez l’impénétrable exigence de l’unicité excluante».
     
  31. In Introduction à une Poétique du Divers, op. cit., p. 99. GLISSANT y insiste dans son Traité du Tout-Monde, op. cit., p. 21: «À l’Être qui se pose, montrons l’étant qui s’appose».
     
  32. Poétique de la Relation, op. cit., p. 186.
     
  33. Ibid., respectivement pp. 185 (nous soulignons) et 173. En terme de ‘poétique’, Glissant nous a glissé une nuance intéressante dans L’intention poétique, op. cit., p. 80: «L’autre n’est pas autrui, mais ma différence consentie. Autrui n’est que de morale; en l’Autre est toute poétique».
     
  34. Respectivement in: Traité du Tout-Monde, op. cit., p. 68; Poétique de la Relation, op. cit., p. 42; Traité du Tout-Monde, op. cit., p. 21; Poétique de la Relation, op. cit., p. 45.
     
  35. Introduction à une Poétique du Divers, op. cit., p. 133 (je souligne).
     
  36. Toutes les citations sur «la pensée de l’Autre» sont tirées de la Poétique de la Relation, op. cit., p. 169.
     
  37. Écrire en pays dominé, op. cit., p. 202.
     
  38. Ibid., p. 315.
     
  39. L’idée a fait, entre autre, le titre d’un paragraphe consacré à Saint-John Perse, in Poétique de la Relation, op. cit., p. 49s.
     
  40. Respectivement in Traité du Tout-Monde, op. cit., p. 81 et Introduction à une Poétique du Divers, op. cit., p. 130.
     
  41. In Poétique de la Relation, op. cit., pp. 32-33.
     
  42. «L’au-delà de la créolisation serait en effet le non-identitaire. Mais il y a le Lieu, qui nous maintient». In Introduction à une Poétique du Divers, op. cit., p. 99.
     
  43. Dans Écrire en pays dominé, op. cit., p. 204. L’identité est donc un «exister», un «étant» qui, par relations, est toujours changée et changeante. Elle ne peut pas en soi déboucher sur une définition fixiste «d’être».
     
  44. Patrick CHAMOISEAU et Raphaël CONFIANT, in Lettres créoles, op. cit., p. 55.
     
  45. Ibid., p. 185.
     
  46. In Poétique de la Relation, op. cit., p. 107.
     
  47. Ibid., p. 111.
     
  48. «La créolisation est un mouvement perpétuel d’interpénétrabilité culturelle et linguistique», dit GLISSANT à ce propos, in Introduction à une Poétique du Divers, op. cit., p. 125.
     
  49. Un exemple particulièrement révélant nous est laissé à propos du créole d’Haïti dans le Lexicréole de Jeannot Hilaire (Fribourg, Édikreyòl, 2001), ouvrage livrant les recherches ayant trait à l’identification des sources lexicales de l’haïtien en rapport avec ses racines historiques et socio-linguistiques. Il en ressort que les vocables créoles, outre ceux transbordés d’Afrique, proviennent d’un nombres impressionnant de langues soit dans la continuité de leur assimilation par le français (source lexicale la plus importante), soit dans le transfert des apports de toutes les autres langues coloniales (historiquement implantées dans toutes les Caraïbes) sur le terrain même d’Haïti comme l’anglais et l’espagnol. Les pp. 278-279 donnent les comptes et pourcentages détaillés par groupe linguistique et surtout la liste des quelques cinquante langues garnissant la corbeille du créole haïtien. Parmi elles, tous les vieux français régionaux (picard, normand, poitevin, breton, auvergnat, etc.), toutes les grandes langues de l’Ouest africain (baoulé, bambara, wolof, swahili, ashanti, fon, mandingue, ewe, yorouba, sérère, bantou, etc.), les principales langues amérindiennes (taïno, karib, tupi, galibi, arawak, nahuatl, algonquin), et celles d’Europe, du Moyen-Orient, d’Asie (français, anglais, espagnol, néerlandais, wallon, portugais, allemand, italien, flamand, scandinave, russe, turc, japonais, tamoul, hébreu, …).
     
  50. In Traité du Tout-Monde, op. cit., p. 121.
     
  51. Cf. Raphaël CONFIANT: «Le créole ou la quête de la souveraineté scripturale», in Magazine littéraire, Paris, n° 369, octobre 1998, pp. 117-119. Pour le traitement de cette reconstruction, voir également Patrick CHAMOISEAU et Raphaël CONFIANT, paragraphes «Naissance d’une langue» et «Créole abandonné, créole pensé français, créole détourné», in Lettres créoles, op. cit., pp. 52-56 et 70-80, ainsi que leurs pages écrites en collaboration avec Jean BERNABÉ dans Éloge, sous le titre «Le choix de sa parole», pp. 43-51.
     
  52. Au contraire de leurs homologues espagnols, portugais ou anglais, les maîtres français ne disposaient pas d’une langue unifiée et normalisée qu’ils pouvaient imposer à ceux qu’ils dominaient. Les études ont démontré que la grande majorité des Blancs des débuts de la colonisation était d’extraction rurale et ne savait ni lire ni écrire. Ces colons parlaient les dialectes d’oïl du Nord-Ouest de la France tels le normand, le poitevin, le vendéen ou le picard, mais pas le francien de l’Ile-de-France qui finira par s’imposer comme idiome dominant pour devenir le français que nous connaissons aujourd’hui. Très significativement, du reste, c’est l’année même au cours de laquelle les Français prennent possession de la Guadeloupe et de la Martinique, soit en 1635, que le Cardinal Richelieu créa l’Académie française dont l’un des objectifs premiers fut de dogmatiser les principes lexicaux et orthographiques d’une langue unifiée (remarques glanées aux pp. 20-24 de l’introduction que Raphaël CONFIANT consacre à son Dictionnaire des Titim et Sirandanes (Devinettes et jeux de mots du monde créole), Martinique, Ibis Rouge Éditions – Presses Universitaires Créoles / GEREC, 1998.
     
  53. Lettres créoles, op. cit., p. 71.
     
  54. Ibid., p. 161.
     
  55. Les auteurs d’Éloge écrivirent à ce sujet, p. 14: «Nous sommes encore dans un état de prélittérature: celui d’une production écrite sans audience chez elle, méconnaissant l’interaction auteurs/lecteurs où s’élabore une littérature». Mais l’aveu est à mesurer aujourd’hui avec presque quinze années de distance comblée par «le coup de force» d’écrivains créoles de plus en plus populaires.
     
  56. Édouard GLISSANT, Le discours antillais, op. cit., p. 345.
     
  57. Sous «Genres littéraires», GLISSANT écrit: «Dans la tension vers la totalité, l’œuvre littéraire constitue aussi bien l’ethnographie de sa propre matière. Nous équivalons un poème de Brathwaite à un roman de Carpentier, à un essai de Fanon. Nous allons plus loin dans l’indistinction des genres, en niant la nécessité pour nous de leurs partitions, ou en en créant de nouveaux». In Poétique de la Relation, op. cit. , p. 231. La lecture des littérateurs créoles informe à l’évidence et très lisiblement de ce fait: le mélange baroque et indistinct des styles dans une même œuvre.
     
  58. Cf. l’excellente contribution de Marie-Christine HAZAËL-MASSIEUX: «Chamoiseau, cet écrivain qui écrit le créole directement en français…», in Portulan, Châteauneuf-le-Rouge, n° 3, octobre 2000, pp. 189-202.
     
  59. Éloge, op. cit., pp. 46-47. Tout le passage vaut la lecture.
     
  60. Respectivement dans Le discours antillais, op. cit., p. 322 et Traité du Tout-Monde, op. cit., p. 113.
     
  61. Propos d’Éloge, op. cit., p. 47.
     
  62. Dans Traité du Tout-Monde, op. cit., p. 121.
     
  63. Cf. par exemple le sous-titre significatif du chapitre II de son Écrire en pays dominé, op. cit., p. 97: «Où l’ethnographe va devenir un Marqueur de paroles...». Une très belle contribution du professeur de lettres modernes Dominique CHANCÉ explicite cette position en quelque sorte médiatrice de l’écrivain antillais qui ne fait que «marquer» la parole dont il a reçu l’héritage: «Marqueur de paroles ou auteur antillais?», in Marie ABRAHAM et Daniel MARAGNÈS (dir.), Guadeloupe. Temps incertains, Paris, Éditions Autrement, 2001, pp. 197-207 (collection Monde HS, n° 123).
     
  64. Bien vu par Dominique CHANCÉ, ibid., p. 203 qui ajoute, p. 204, et inspiré par Jacques COURSIL: «L’écrit en français devra par conséquent traduire la parole créole, s’adaptant, s’infléchissant dans son rythme et son lexique à la réalité créole, tout en posant, par hypothèse, que la créolité peut survivre à la langue abandonnée, sorte de «muette qui parle» dans l’écrit en français».
     
  65. Dans Introduction à une Poétique du Divers, op. cit., p. 41.
     
  66. In Traité du Tout-Monde, op. cit., p. 17.
     
  67. Dans Introduction à une Poétique du Divers, op. cit., p. 41.
     
  68. Respectivement in ibid., pp. 122-123 (je souligne) et 39-40.
     
  69. In Poétique de la Relation, op. cit., p. 231.
     
  70. In L’intention poétique, op. cit., p. 46.
     
  71. Lise GAUVIN: «L’imaginaire des langues: tracées d’une poétique», in Jacques CHEVRIER (Textes réunis par), Poétiques d’Édouard Glissant, Actes du colloque international ‘Poétiques d’Édouard Glissant’, Paris-Sorbonne, 11-13 mars 1998, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1999, p. 280.
     
  72. Dans L’intention poétique, op. cit., p. 47. Notre édition de référence parue chez Gallimard est de 1997, mais l’édition originale de ce même texte, au Seuil, date en effet de 1969.
     
  73. Lise GAUVIN, art. cit., p. 283. «Le je de l’autre» est l’intitulé d’un des grands chapitres de L’intention poétique.
     
  74. In Poétique de la Relation, op. cit., p. 123. On rappellera que dans le récit biblique, le délit théologique est d’avoir fomenté un projet unicitaire, totalitaire et donc idéologique en projetant de bâtir la tour en unifiant les langues parlées du monde d’alors en un langage monolingue. Dans cette perspective, la dispersion des peuples et la redistribution des langues originelles narrées à la fin de l’épisode doivent être considérées comme une véritable grâce: le ré-apprentissage de la Différence, du Divers. Cf. la fine exégèse de David BANON: «Babel ou l’idolâtrie embusquée», in Bulletin du Centre Protestant d’Études, Genève, n° 6/1980, pp. 5-31.
     
  75. La «Mondialité», concept récent que Glissant ajoute en synonymie à sa pensée Tout-Monde, est en quelque sorte la pratique totale des totalités de la relation. Elle à pour revers névrotique la mondialisation. «Si vous vivez la totalité, vous êtes au point de combattre vraiment la mondialisation». Cf. Édouard GLISSANT, La cohée du Lamentin, op. cit., pp. 138-139.
     
  76. 76Déjà en 1969 dans L’intention poétique, op. cit., p. 128.
     
  77. La cohée du Lamentin, op. cit., p. 133.
     
  78. Ibid., p. 128. Et p. 33: «La pensée du tremblement éclate partout, avec les musiques et les formes suggérées par les peuples. Elle nous préserve des pensées de système et des système de pensée. Elle ne suppose pas la peur ou l’irrésolu, elle s’étend infiniment comme un oiseau innumérable, les ailes semées du sel noir de la terre. Elle nous unit dans l’absolue diversité, en un tourbillon de rencontres. Elle est l’Utopie qui jamais ne se fixe et qui ouvre demain: comme un soleil ou un fruit partagés».
     
  79. Ibid., pp. 33-34: «Innovant dans l’histoire des humanités, le monde pour nous n’est plus simplement un rêve, un lointain à assouvir, ce n’est plus un projet, une conquête à parfaire, mais désormais, et pour le temps qu’il y faudra, une souffrance, une souffrance de tous. Notre travail est de nous efforcer partout, ici-là et là-dedans, à sublimer cette souffrance. Elle devient suffocation, ou au contraire souffle libéré. Elle peut devenir, dans l’absolue diversité, souffle libéré, c’est-à-dire art et juste démesure, liberté (…) c’est, ici-là, notre travail dans le Tout-Monde».
     
  80. Jean BERNABÉ, «De la Négritude à la Créolité. Éléments pour une approche comparée», in Antilla, Fort-de-France, n° 552 du 24 septembre 1993, p. 28.
     
  81. Il y a de belles exceptions tel l’article de l’anthropologue Claude REICHLER qui fera date: «Littérature et anthropologie. De la représentation à l’interaction dans une Relation de la Nouvelle-France au XVIIe siècle», in L’Homme, 164/2002, pp. 37-56.
     
  82. Andrès BANSART, «Le roman caribéen: expression polyphonique d’une histoire non écrite», in Alain YACOU (dir.), Les apports du Nouveau Monde à l’Ancien, Actes du colloque du FESTAG (Festival des Arts de Guadeloupe des 23-25 juillet 1991), Paris, CERC-Karthala-FESTAG, 1995, pp. 211-212.
     
  83. C’est dans ce sens que l’écrivain haïtien René DEPESTRE déclare: «Je suis à la fois objet et sujet de mon étude», in Ainsi parle le fleuve noir, Grigny, Paroles d’Aube, 1998, p. 19.
     
  84. Dans Écrire en pays dominé, op. cit., p. 98.
     
  85. Très bien vu par Andrès BANSART, art. cit., pp. 216-217, à propos du roman caribéen.
     
  86. Pour GLISSANT, le rôle de la littérature est d’outrepasser sa subjectivité pour aller à cette recherche d’une intersubjectivité qui fasse pièce à tout système totalitaire. In Introduction à une Poétique du Divers, op. cit., p. 135.
     
  87. Respectivement Patrick CHAMOISEAU et Raphaël CONFIANT in Lettres créoles, op. cit., p. 11 et avec Jean BERNABÉ dans Éloge, op. cit., p. 14.
     
  88. Éloge, op. cit., pp. 23-24 et 39.

Viré monté