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Diab’-la : lu par une Suisse italophone

Francesca Palli

Zobel
Zobel en voiture. Photo Christine Simonis.

C’était bon, ce punch-là…
Tout de suite, j’ai été plongée dans les rites martiniquais, décrits par Zobel avec des mots d’une poésie captivante, difficiles à comprendre pour une néophyte du monde créole.

Zobel a été mon initiation fortuite, mais essentielle, rien ne pourra remplacer «Diab’-là» et «Rue case nègre» dans ma perception de l’âme créole.

Man Mano me conduit aux sensations fortes et pimentées: quelle envie de goûter au trempage à la morue. Dommage, cela est resté que du pur désir, rien d’autre! J’attends encore de pouvoir ressentir ces sensations gustatives, exclusivement imaginées.

Diab’-la est une source de surprises, riche d’une humanité universelle. Il m’est difficile de choisir lesquelles présenter.

Après avoir fui la canne, Diab-la cherche une nouvelle vie au milieu d’une communauté de pêcheurs. Ces derniers l’accueillent avec une certaine curiosité, néanmoins prêts à l’accepter. Ils lui demandent s’il  veut participer à la pêche. Lui, le «terrien», ne peut que prouver aux nouveaux amis, que la terre est aussi source de vie comme la mer, pourvu qu’on la côtoie avec fatigue, patience et amour, surtout qu’elle donne tout ce qu’il faut pour vivre bien.

Il trouve en Fidéline sa femme, dès la première nuit. Celle-ci découvre en lui la beauté d’un homme fort, bien fait. Elle sera sa compagne orgueilleuse, fidèle, grande travailleuse, et partagera avec lui les fruits de leur entente. En outre, vers la fin du livre, on nous parle doucement de son état de future mère.

Un jour, Diab ’-la, demande aux pêcheurs de «mettre un peu de joie en terre!» Quelle hardiesse pour tous ces pêcheurs voués qu’à la mer!

Pour l’aider, ils défrichent au son des tambours, heureux tous ensemble d’aider un nègre comme eux.  «Si un beau jour tous les nègres du monde voulaient se donner un coup de main comme ça, les uns les autres, quelle sacrée victoire, hein! »

Le carême dessèche la terre apportant des soucis à Diab-la. En même temps, la mer commence à annoncer ses dons. Les pêcheurs se sentent pris à l’envie d’aller à Michelon. Ti-Féfé part en premier avec Génor, qui devait bientôt se marier, et Ti-Soun, un garçon, unique soutien d’une mère malade.

Les trois ne retourneront plus. De plus, le petit avait dit avant de partir: «Maman demain je vais à Miquelon ». Sa mère lui avait répondu: «Miquelon est trop fort pour toi, tu vas être malade».

Tout le village partage l’angoisse et la souffrance des proches des trois disparus. On cherche des raisons d’espoir. Cependant, un beau matin, tous les hommes, oubliant la douleur de la maman du petit Soun, partent quand même pêcher. A leur retour, comblés par la bonne réussite, leur bonheur est visible dans tous leurs gestes. Soit dit en passant, d’un côté, la mer prend et de l’autre, elle redonne.

Diab’-la connaît enfin un capitaine à la retraite. Capitan’-la, qui avait épousé une femme du village.
Lors de leur première rencontre, ils découvrent qu’ils luttent tous les deux pour l’émancipation des nègres.

Lorsqu’ils boivent un punch, une voix d’enfant répète: «La Seine arrose…». le commentaire du capitaine est: «C’est enfant n’a que huit ans, écoutez-le! Il étudie la France». Lisant ces paroles indignes, je découvrais avec surprise les méthodes pédagogiques imposées par l’ancien colonisateur. Mon cœur gonfla d’amertume comme celui du Capitan’-la.

Ensuite, tout le village accepte avec enthousiasme la proposition innovatrice d’organiser des soirées de bal. L’organisateur doit choisir, parmi les participants, à qui il accordera l’honneur de préparer la soirée suivante. Diab ’-la est le premier et pour la deuxième session, le couple Clovis est choisi.

Vers la fin de cette deuxième fête, lorsque Madame Clovis se retire dans sa chambre, elle découvre deux jeunes dans son lit. Dégoûtée et fâchée, elle s’évanouit.

La fête semble irréparablement gâchée, mais Diab’-la trouve les mots justes pour convaincre Madame Clovis d’accepter ce qui s’est passé: «…D’ailleurs quand les békés s’amusent, cé la même chose qui se passe. Ca même en France!»

Ma pensée spontanée est: pourquoi des nègres libres ont-ils besoin de se justifier recourant à la figure du maître-colonisateur?

Un jour, après avoir trouvé un beau couronné dans son casier, Capitan-la monte visiter Fidéline et son compagnon. Il les trouve en plein travail et la joie immédiate, sincère de l’accueil, me laisse rêveur à la pensée d’être avec eux.

La femme prépare les poissons reçus et les sert avec une igname récoltée pour l’occasion.

Fidéline et Diab’-la devant leurs deux couis et Capitain-la devant l’unique plat d’aluminium de la maison sont pris d’une émotion subite et paralysante, c’est l’étreinte trop forte du bien-être qui les embarrasse. Capitan-la coupe le silence, s’exclamant «- Ah! que c’est bon!», puis poursuit par une description alléchante du repas.

Après, les deux amis entament une conversation qui les emmène à considérer qu’il est temps que les nègres prennent leur destin en mains: «…ce que je veux dire, cé que ça doit changer à partir d’aujourd’hui!..»  «…je dis qu’il nous faudra faire cesser tout ça, changer tout ça, arranger tout ça. Oui, recommencer, pour mettre nos plants et semer des grains à nous et pour nous-mêmes.»

Leurs mots nous aident à découvrir le désir d’autodétermination enfermé dans chaque homme, ce qui avait été si brutalement contesté aux esclaves.

Fidéline, heureuse de son état, les détourne de leurs mots de lutte, les invitant à écouter les murmures des branches d’un manguier. Les deux hommes poursuivent leur conversation lentement comme «un hymne d’espoir devant une aube nouvelle».

Zobel
Les mains de Joseph . Photo Christine Simonis.

Viré monté