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Qui nous pardonnera?

Ernest Pépin

8. Août 2011

J’apprends avec tristesse la mort de Marny. Le plus vieux prisonnier de France! Je dis que d’une certaine manière la société l’a assassiné en utilisant une arme redoutable: l’arme du temps!

C’est une vie gâchée derrière les barreaux dont les plus durs sont les barreaux de la conscience.

Combien de fois, sans doute, a-t’il ressassé sa jeunesse et les crimes qu’elle occasionna. Combien de fois, sans doute, a-t-il constaté qu’il a été victime des circonstances! D’une sorte de folie sans folie qui nous emporte dans la spirale maladroite d’un comportement inapproprié.

Cela aussi c’est l’être humain, la pulsion de la colère, l’impulsion de l’aveuglement et ce surmoi qui éclate devant une supposée injustice.

Cela peut donner Césaire!

Cela peut donner Marny!

L’un n’est pas réductible à l’autre mais l’un et l’autre sont des faces de lumière et d’ombres d’un seul jaillissement qu’on appelle l’homme.

Toute jeunesse est une force d’ivresse. Seul le temps apprend l’humilité. Mais il arrive que l’humilité soit une souffrance insupportable. Elle l’était sans doute pour lui!

L’humilité, dans ces conditions là, où vivre c’est pourrir ou demain n’ouvre aucune porte sinon celle d’un pardon que personne n’accorde.

Il m’est impossible, ce disant, d’oublier les victimes. Elles furent aussi victimes des circonstances de tout ce qui entraîne une sociopathie.  La Martinique, pour de multiples raisons, baignait dans sa folie. Folie de l’argent! Folie de la vengeance! Folie de la fuite en avant! Folie même des solidarités ataviques!

Dans cette affaire mal élucidée, la frénésie a son mot à dire.

Je me souviens comment l’inconscient collectif «fabriquait» Marny à la manière d’un nègre marron revenu des hauteurs. Quelque part, nous l’avons incité à être ce nègre marron là qui n’a pas hésité à se baptiser «La panthère noire».

L’époque était à Django contre Zorro. L’époque était aussi au Black Panther Party, aux résistances ouvertes ou  larvées. A une sorte d’héroïsme insu, qui pouvait prendre aux tripes l’intellectuel comme le petit gars de nulle part. Marny a été une forme d’ignorance mêlée à l’air guerrier des temps. Une sorte d’innocence qui «joue» au «major ».

Je pleure ses victimes tapissées par l’ombre d’un autre temps.

Je le pleure aussi opposant à l’irréductibilité de son histoire l’irréductibilité confuse de son destin.

Il est mort! Il aurait choisi de mourir! Lui à qui on avait fait l’aumône inhumaine d’une petite sortie de fauve sans griffes. Il devait être puni! Il méritait d’être puni! Mais nous avons confondu la punition avec un décret divin donc immuable.

Ceux qui furent ses victimes, comme ceux qui lui offrirent une sorte de solidarité tardive. Ceux qui l’ont déchaîne, comme ceux qui l’ont enchaîne, doivent sentir peser l’ombre d’une Martinique qu’à sa manière, il incarnait.

Encore une fois l’histoire a rusé avec un homme, la religion a failli et la justice prétendument aveugle est passée à côté d’une forme humaine de sanction.

La peine de mort est abolie mais elle palpite encore au bout de la corde qui étrangla Marny. Nous éprouvons ce drame! Il nous dérange! Et nous n’avons que ces mots à jeter sur sa tombe. Il arrive qu’un coupable soit martyr. Cela s’appelle la loi du Talion!

Qui nous pardonnera?

Ernest Pépin

 

Viré monté