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Les communes d’outre-mer

Ernest Pépin

Pointe Noire
Pointe Noire, Guadeloupe, novembre 2003. Photo © F. Palli.

Les communes d’outre-mer vont à dos de mornes où les pieds dans l’eau questionner le soleil de leur existence en poussant de toutes leurs forces le cri de leur histoire.

Elles mélangent en un aménagement composite des bâtiments héritées de l’organisation française à des habitats où s’inscrit encore la misère de l’époque coloniale. Cases non peintes portant traces de la fureur des éléments (cyclones, pluies tropicales, tremblement de terre, inondations), feuilles de tôles rouillées, maisons abandonnées par les héritiers. Entourées ou traversées par des voracités végétales, elles chahutent des rues où vont et viennent des femmes et des hommes préoccupés par la quête d’un emploi, le devenir de leurs enfants, la volonté de convertir la survie en vie. D’où l’importance capitale de la mairie et de tous les radeaux de secours administratifs. Petit peuple qui, malgré tout, sait rire et préserver des liens étroits avec l’entourage en faisant de la parole, de l’humour et de la dérision une sage parade contre les tracas de la vie. Ecartelé entre le poids des traditions et le fracas de la modernité, il invente des postures, des stratégies, des ruses pour concilier les deux en un bouquet de contradictions aux couleurs de la révolte et de l’accommodation.

Partout, l’enjeu est toujours le même: consommer! Consommer pour paraître! Consommer pour exister! Consommer pour reconquérir cette part innommable volée par l’histoire. Les villas, les piscines des notables, les lotissements qui défigurent le paysage, les commerces qui s’éparpillent, les voitures, font partie de cette quête effrénée pour rattraper on ne sait quel merveille de notre temps.

Pourtant, à cause de cette débrouille individuelle nourrie aux alluvions de mille origines, on sent comme une carence du collectif. Nul n’en est comptable, nul n’en est coupable! Sauf à se plaindre des conséquences désagréables sur la vie quotidienne, la citoyenneté communale se décline en assistance et rarement en obligations. Il y a du marronnage dans l’air, de l’esquive et de la feinte. Il y a, enfoui dans les têtes, la mémoire des anciennes habitations où alternaient le paternalisme et les châtiments. Ne pas se faire prendre par l’impôt, la redevance, la police, les lois, le système tout en tirant profit. On se faufile, on se maquille en victime, tournant dos à la notion de pacte, de contrat social, de commune. Les maires connaissent bien cette logique d’évitement qui émiette souvent leurs grands projets. La solidarité existe comme une écume affective portée par des vagues de fonds insondables.

Et pourtant, elles vont les communes en outre-mer, tour à tour se modernisant – un collège par-ci, un pont par-là, une nouvelle route, une électrification, un équipement sportif – tour à tour se vitalisant – une zone commerciale, un marché, un super-marché – tour à tour s’ouvrant aux échanges, aux communications – un cybercafé – tour à tour se souvenant – une fête communale -.

Elles vont, cherchant à rattraper le temps, la moyenne nationale, les nouvelles mesures etc. Elles sont parties trop tard et elles pédalent, pédalent, pédalent, escortées par une jeunesse qui n’y croit plus et qui presse l’avenir de donner tout son jus maintenant et tout de suite.

C’est la nuit! La commune s’endort. Quelques lueurs lèchent des rues vides. La commune ne rêve pas. Elle se préserve de sa propre folie. Elle attend demain… Peut-être que l’Etat… peut-être que l’Europe… peut-être qu’un miracle! Elle pourra peut-être grignoter une espérance mais tout le monde sait: c’est inventer qu’il faut! A condition de soupeser le poids du mot «outre-mer»!

Ernest Pépin
Ecrivain

Pointe Noire
Quartier Texaco, Fort-de-France, Martinique, novembre 2003. © Photo F. Palli.

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