Potomitan

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Sur la Francophonie…

Interview de Monchoachi par Patrick Kéchichian
 (Extraits parus au Journal «Le Monde», 14 mars 2003)

Le discours officiel ou institutionnel sur la francophonie est fondé sur un malentendu au sujet de la langue, malentendu par ailleurs malheureusement répandu à notre époque et qui consiste à considérer la langue comme objet, simple moyen d’expression, qui consiste par conséquent en l’instrumentalisation de la langue, son ravalement au rang de la technique. Ce «considérer»  est donc un «déconsidérer».

La francophonie qui avait été au départ, au début des années 60 au moment du retrait français de ses colonies africaines, comme un des éléments d’une stratégie géopolitique de redéploiement de sa domination, et qui prenait appui sur des chantres leaders littéraires francisés tel Senghor, trouvait à se justifier, au regard même des élites africaines, comme instrument d’unification de nations arbitrairement constituées par la colonisation. Cette justification ne faisait que masquer la réalité qui en constituait l’envers, à savoir: qu’une langue ne peut être réduite à un simple instrument, à un simple objet, mais ouvre sur un champ qui lui est propre, ouvre à un chant qui lui est propre, et que par conséquent la visée de la «francophonie», par delà la gloriole française, en tous cas son résultat, était de séparer les peuples africains de leur propre monde, de leur propre chant, de leur aliéner leur propre monde , pire, de les dresser contre leur propre monde. Aujourd’hui, alors que pointe le risque d’une uniformisation à l’ère de la mondialisation, la francophonie se trouve réembrigadée cette fois pour la défense de la «diversité culturelle» et pour faire pièce  à la toute puissance anglo-américaine. Mais «La France», elle, se soucie fort peu par ailleurs de l’existence de la diversité dans son propre pré-carré et refuse toujours avec  obstination d’adhérer à la Charte européenne des langues régionales.

Le créole, exemple qu’on peut dire criant de contre-francophonie, probablement une des dernières langues à être apparue sur terre, avec le yiddish, et certainement pas par pur hasard, car malgré la méprise, voire le mépris, dans lesquels il fût longtemps tenu, pas seulement ni essentiellement langue-des-îles mais, on l’oublie trop souvent, surtout langue d’exil mais également langue de réenracinement, de refondation et de recordation sur une nouvelle terre, est la seule langue qui ouvre à la Caraïbe l’espace intime du cœur.

Enfin, la francophonie relève d’un autre malentendu, bien français celui-là: la volonté d’assimilation des peuples  dont on se demande comment elle pourra faire ménage avec l’idée nouvelle ou la contrainte nouvelle de «diversité culturelle» proclamée; l’assimilation dont on se rendra compte un jour qu’elle fût pire crime que l’esclavage.

Parler de poésie ou de littérature «francophone» cela ne résonne jamais positivement, mais donne plutôt le sentiment d’un assujettissement, d’un sous-ensemble forcément dévalué, d’une littérature de seconde zone. Même avec les meilleures intentions. C’est dire à quel point le terme «francophone» renvoie à une réalité déjà saturée, dévoyée. On ne dira pas d’un auteur français qu’il est «francophone» quoi qu’il le soit . Pour ma part je préfère le terme de poésie ou de littérature de langue française.

La notion de poésie francophone apparaît dans l’alignement de la stratégie politique de la «francophonie» c’est-à-dire dans les années 60 et, en quelque sorte, pour l’illustrer. C’est comme pour la réclame ou la propagande, à partir du moment ou vous créez un produit il vous faut le décliner, il vous faut le répéter, et sur tous les tons, sous toutes les formes possibles et imaginables pour lui donner réalité et consistance jusqu’au point où il ne viendra à l’idée de personne de s’interroger sur la réalité de ce qui est ainsi présenté et qui passe dès lors pour une évidence. Chacun sait que sous chaque évidence se cache quelque chose qui n’a pas été (ou pas encore été) pensé.

«L’exotisme» est une voie à sens unique qui va du Nord vers le Sud. Il ne nous est pas permis, à nous, de l’emprunter. Pourtant il s’agit d’une notion qui pourrait être sublimée à condition de l’entendre comme échappée hors du Réel, ou d’un dialogue entre le Réel et le Merveilleux, dialogue avec «ces caractères indicibles que tout homme instaure en lui-même et salue» selon les mots de Segalen. L’espace poétique n’est-il pas précisément ce lieu d’une exotique sublimée dans les parages du  surréel, plus vrai que le réel?

L’apologie du métissage est un air du temps que chacun entonne à sa manière, une auberge où chacun amène son couvert, son boire et son manger. C’est la nature même de l’idée de métissage qui l’autorise. J’y vois pour ma part une chimère et le lieu d’innombrables confusions. L’éloge du métissage repose en réalité sur le désir secret d’une disparition des identités. Or, et c’est là sa contradiction, la disparition des identités signifierait la disparition de la diversité dont se réclament précisément les laudateurs du métissage. Ou tout au mieux, l’apparition d’un «diversement même», ce qui n’est guère plus réjouissant. Ensuite il me semble que l’éloge du métissage se situe dans le droit fil de l’assimilationnisme essoufflé dont il prend le relais avec, en prime, comme un semblant d’idéal.

Viré monté