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D’évidence la politique n’est pas en mesure d’apporter réponse à la crise… MONCHOACHI |
D’évidence la politique n’est pas en mesure d’apporter réponse à la crise qui secoue et va continuer de secouer durablement les sociétés modernes que ces dernières soient développées ou non. Elle en est réduite à faire de la gesticulation, ce que dans un premier temps, au début de la crise financière mondiale, on a pris à tort pour un «retour du politique». Quant aux sociétés, elles sont désormais dans un état de révolte latent ou manifeste qui va se révéler chronique. Les sociétés modernes semblent progressivement mais irrésistiblement gagnées par le chaos. L’impuissance de la politique tient à son étroite adhésion et subordination aux logiques accumulatives ainsi que le révèle la crise actuelle. Celle-ci ne se laisse pas appréhender par l’un des termes de la classification binaire classique: soit crise conjoncturelle, soit crise structurelle, l’une requérant une régularisation cyclique, l’autre des réaménagements d’instances et des amendements de procédures. La crise révèle que la politique, l’économique et la finance même, sont assujetties à de puissantes logiques accumulatives qui à la fois les englobent et les surpassent. Elle révèle encore que le cours des sociétés n’obéit pas à des choix opérés par la libre délibération de ses membres, ce qui est pure illusion. Mais que ceux-ci, du plus riche au plus pauvre, sont constamment soumis à l’impérieuse contrainte de ces logiques accumulatives. Elle fait apparaître de même soudain ce que ces logiques ont de sourdes et d’aveugles : loin d’être au service des sociétés, ce sont elles qui les soumettent entièrement à sa loi discrétionnaire. Non seulement elle asservit les hommes à ce qu’ils produisent mais elle les contraint, par une logique implacable et sans terme, à produire toujours plus pour le seul résultat avilissant de consommer ou d’être rationné toujours plus. Enfin, elle active l’éveil des esprits quant à l’insondable absurdité de logiques qui se réclament de la raison et quant à la ruine du monde à laquelle mènent des sociétés censées y propager les Lumières. Affectant à présent notre société martiniquaise cette donnée générale des logiques accumulatives a un effet d’inhibition notoire sur l’expression identitaire singulièrement sur la volonté d’Indépendance. Le poids et la pression des logiques accumulatives dans les sociétés modernes sont tels qu’ils ont pour conséquence de tirer celles-ci vers le nivellement, vers la ressemblance (la non-différenciation) puisque renvoyant toutes au même modèle, obéissant aux mêmes normes, repoussant aux marges leur tradition, leur culture, leur «couleur», leur teinte ou leur tonalité. Bien moins pesantes à l’époque des indépendances ces logiques n’exerçaient pas de véritable contrainte sur le mouvement qui portait celles-ci, de sorte qu’ils pouvaient aisément mobiliser le sentiment identitaire, voire en appeler à un modèle distinct du capitalisme, le socialisme. Aujourd’hui une expression identitaire forte, une volonté d’Indépendance réelle ne peut faire fond que sur la rupture avec les logiques accumulatives. Seule cette rupture en appelle en effet à la fois à ce qui est à venir, à savoir une société établie sur des fondements non productivistes, et au renouement avec la parole créole et sa vision du monde. Or cette rupture, les partis politiques (indépendantistes ou autres) ne sont pas en mesure de l’opérer du fait justement de leur subordination absolue aux logiques accumulatives, ce qui justifie leur existence même, les caractérise en propre et ne manque pas à se manifester à travers l’orientation de leurs actes de gestion. Sans être à proprement parler sans enjeu lorsqu’elle est centrée sur la question identitaire, leur action ne se ramène en définitive qu’au seul jeu politique, ne proposant qu’un nouvel habillage du productivisme qui a montré ailleurs ces limites et pour lequel nombre de compatriotes ne perçoivent pas le gain mais bien plutôt la déperdition à l’aune de la mise à disposition de biens de consommation. D’où il résulte la paralysie de la force d’Indépendance. D’où peut venir dès lors l’élan visant le dessein d’une réforme telle de nos modes de vies? Cette force pourrait naître de la rencontre, de la conjonction et de la conjuration de trois souffles. Le premier se constituant de ce que l’on pourrait dénommer les animateurs organiques de la société. Ils sont, à travers la variété de leur situation, ceux qui recueillent et font l’épreuve de la parole commun: travailleurs sociaux et éducatifs, animateurs de vie associative et de médias… expérimentent et vérifient, et l’étrangeté et la perversion des dispositifs, l’inanité des réponses toujours et à jamais quantitatives apportées à cette parole comme pour la châtier d’aspirer au très peu. Le second souffle est le souffle des jeunes. Placides, ils portent à merveille tous les simulacres comme toutes les mutilations de ce monde, s’apprêtent à en porter aussi les attentes, en particulier celle-ci: de la privation de travail à la négation du travail comme vérité fiévreuse de l’homme («travailler plus pour gagner plus»); à faire œuvre de dépuration et de révélation; tirer l’homme, occulté par le travail, du côté par où l’on voit en lui ; s’initier de vivre d’un rien et de se consommer plutôt tout en œuvre de présence. Chant d’épousaille, le troisième souffle, à l’épure du monde qui a trouvé refuge dans les plis et dans les laps de la terre natale. Qui l’épelle, le convoque, le convoie, le loue. Se formant des artistes, le troisième souffle est, en un sens, augural. Car il ouvre à la terre natale, le célébrant-célébré, qu’il consacre et enjoint de croître et de s’accroître tout en requérant d’elle la garde et la grâce. Et paix aux dissidents. Augural, le troisième souffle se doit d’être orienté. Et il se doit d’être orienté en considération première d’épouser le rythme essentiel, la tonalité et les formes fondamentales de la terre natale. C’est de ce mouvement et de nul autre que ressortit la création d’un monde. Croire qu’un artiste, en quelque domaine qu’il soit, réussit à créer ex-nihilo son univers propre n’est que sotte illusion moderne. Il ne parvient à élaborer sa propre modalité d’inscription qu’à l’intérieur de rythmes, de tonalités, et de formes qui lui pré-existent et qui attestent d’une terre et d’une culture. Dès lors que celles-ci ne sont pas siennes, c’est que, de façon ou d’autre, elles lui sont étrangères et qu’il s’y aliène à son insu ou de son plein gré. La langue créole est le modèle accompli de ce mariage du ciel et de la terre auquel tout art doit prétendre entre rythme, tonalité et formes d’une terre. Et la parole de ceux qui restent. DEBAT LAKOUZEMI |
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