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Avec adaptations
Fables de La Fontaine • Édition Desnel • Févr. 2006 • ISBN 978-2-915247-06-0 • 23,80€. |
Préambule
Du fond d’une vieille malle oubliée dans un galetas quelque part en Martinique, sous la forme de feuillets jaunis grignotés par ravets et fourmis à ailes, ont surgi ces travestissements créoles des œuvres de l’illustrissime fabuliste français. En 1846, date de sa première parution, l’auteur anonyme de cette version créolisée des Fables les avait présentées «avec modestie»: il voulait «offrir à ses compatriotes un passe-temps joyeux».
À l’instar de Jean de La Fontaine, qui a lui-même puisé à la source des fables antiques, - notamment celles du fabuliste grec Ésope et du latin Phèdre, tous deux nés esclaves, - ou des poètes romains Horace et Martial, l’auteur antillais ne pouvait se borner à une traduction servile, deux ans à peine avant l’Abolition de l’esclavage en 1848. Le thème seul est emprunté, mais, affranchies de contraintes classiques, la façon de le traiter et la versification se nourrissent du génie créole. Le jeu des rimes est intact, mais le rythme est créolisé, la métrique s’infléchit au gré d’une mélodie créole que chuchotent les Bambous. Enfin, la morale est sauve, mais teintée de l’esthétique des expressions créoles, colorée de la mosaïque de l’imaginaire créole. En manière créole.
Ce n’est pas seulement la langue, c’est le cadre où se meuvent ses héros, leurs mœurs, leur mentalité, les proverbes cristallisant leurs pensées en se substituant aux morales françaises du Grand Siècle, qui sont créoles. Créoles même.
S’il est encore vrai, comme l’écrivit La Fontaine dans sa Préface «À Monseigneur le Dauphin», que «ces puérilités servent d’enveloppe à des vérités importantes», c’est donc docere ludendo, «instruire en amusant» avec une palette de couleurs tropicales, et c’est un réel plaisir que de mettre au jour ces pages, dépoussiérées puis adaptées à la graphie du créole d’aujourd’hui.
Ainsi la présente édition fournit-elle le texte créole d’il y a plus d’un siècle et demi, suivi d’une version en un créole moderne, après la fable de La Fontaine, elle-même accompagnée des sources dont le fabuliste français s’est inspiré.
À tout seigneur tout honneur. C’est à Phèdre, esclave affranchi dans la Rome du Ier siècle avant notre ère, que j’emprunterai son Épilogue (Fables, II). C’est lui qui aura le mot de la fin:
«Les Athéniens érigèrent une statue au génie d’Esope et placèrent un esclave sur un piédestal immortel pour montrer que le chemin des honneurs est ouvert à tous les hommes et que la gloire récompense le mérite et non la naissance. Un autre m’avait devancé?; je n’ai pas pu être le premier dans ce genre?; j’ai voulu du moins qu’il n’y fût pas le seul, et cela par émulation, sans aucune envie. Si l’Italie accueille mon ouvrage, elle aura plus d’écrivains à opposer à la Grèce?; mais si la critique jalouse s’y attache, elle ne m’ôtera pas du moins le sentiment de mon mérite.»
Suzanne Dracius