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Elektrik
Caribbean Writing

de

Mireille Jean-Gilles (Auteur), Gaël Octavia (Auteur),

Fabienne Kanor (Auteur), Marie-Célie Agnant (Auteur),

& 5 plus

 

 

 

Elektrik: Caribbean Writing, auteurs divers • Center for the Art of Translation •
2023 • ISBN: 9781949641509 • 166 pages • $16.95.

Elektrik: Caribbean Writing

"Alors, les Caraïbes ont-elles existé? Existe-t-elle? Pourrait-elle exister? La poésie peut-elle, dans un monde de plus en plus virtuel, consolider les frontières de notre Caraïbe? Au début d'Elektric, Mireille Jean-Gilles pose ces questions dans son essai "Dans le cœur infatigable de la mer". Ses questions portent sur les définitions, l'identité, l'acte féminin de création et la recherche d'une place pour le lyrique afin de transcender la cacophonie du discours contemporain dans un acte d'action pour les personnes historiquement réduites au silence. Elektric fait appel à huit écrivaines d'Haïti, de Martinique et de Guadeloupe, dont Jean-Gilles, pour tenter de répondre à ces questions.

La série Calico, dont Elektric est le huitième livre, publie des ouvrages traduits autour d'un style, d'un thème ou d'une région donnés. Elektric poursuit la dynamique de narration globale des précédentes anthologies Calico en rassemblant des histoires et des poèmes traduits qui rendent audibles les voix des femmes des Caraïbes. Les thèmes de la différence de classe et de l'expression féminine habitent chaque ligne et chaque phrase pour apporter aux lecteurs anglais les réalités vibrantes et nuancées des femmes vivant dans les Caraïbes, donnant à ces femmes un rôle dans les constructions fictives, mais véridiques, de leur foyer.

Le recueil se concentre sur les intersections de classe et de genre pour les femmes au cœur de ces histoires, en commençant par une série de courtes esquisses intitulées "Voracious Street" par Mireille Jean-Gilles et traduites par Eric Fishman. Dans ce poème, une flâneuse décrit les femmes de Fort-de-France, la capitale de la Martinique. Une section décrit les différences entre la danse d'une femme de la bourgeoisie urbaine et celle d'une femme pauvre de la campagne. Jean-Gilles rejette toute vision monolithique des femmes des Caraïbes, reconnaissant les différences d'éthos expérientiel, tout en donnant aux deux femmes un espace pour danser et exprimer leur beauté artistique au vu et au su des flaneurs. Ce faisant, le locuteur romance les mouvements de danse de la femme de la campagne: "Plus elle vieillit, plus elle danse (se déchaîne), plus elle se déplace, plus on sent qu'elle a acquis de l'expérience chaque jour, (chaque nuit), toute l'année. La femme bourgeoise, en comparaison, "semble n'avoir plus aucun sentiment dans son corps". Jean-Gilles éloigne le lecteur d'une vision simple des femmes en tant que catégorie homogène, choisissant plutôt de dépeindre un cortège éclectique de femmes qui défient toute définition singulière. Elle ajoute à l'idée que "repousser les frontières" des Caraïbes est bien plus compliqué si l'on considère la géographie humaine des îles.

L'identité ouvrière des personnages se manifeste tout au long de la collection. Dans "Plato's Stars" de Fabienne Kanor, traduit par Lynn E. Palermo, une serveuse vit dans la crainte de défier son employeur, bien qu'elle ait entendu ses déclarations ouvertement misogynes après avoir abrité un homme chez elle et l'avoir conduit à un rendez-vous sous la pluie. Pendant un bref instant, elle reste immobile et envisage d'entrer en résistance, de "sortir en trombe des toilettes pour les affronter directement", mais elle "n'a pas été courageuse. [Elle n'est sortie de sa cachette qu'après le départ des hommes". Elle savait que son "patron Lionel Beaufils pourrait ne pas la garder" car "trois serveuses sur la liste de paie, c'est trop. Ça veut dire qu'il gagne moins d'argent, qu'il perd son sang-froid pour une broutille et qu'il engueule sa femme". Être ouvrier et femme dans cette région du monde implique une tension entre responsabilité financière et révolution. Pour cette serveuse, la résistance solitaire peut avoir des conséquences fatales. Cette description réaliste et audacieuse de la vie des femmes de la classe ouvrière dans les Caraïbes n'inspire peut-être pas l'espoir au lecteur, mais elle fait naître chez la serveuse une conscience intersectionnelle de classe et de genre.

La représentation de la maternité monoparentale touche au cœur d'un problème social majeur dans la culture caribéenne : l'absence de responsabilisation des hommes qui ne parviennent pas à maîtriser leur libido et laissent souvent leurs enfants sans soutien financier ou sans logement. Kettly Mars s'attarde sur cette question, explorant les causes profondes et les conséquences de la masculinité toxique dans "The Patriarch's Angel", traduit par Lucy Scott. Dans cette nouvelle, la classe sociale joue un rôle dans le désir incestueux d'une femme pour son demi-frère, devenu étudiant en droit, après une fête bourgeoise où il a embrassé plusieurs femmes. Elle demande : "Qu'est-ce qu'elles ont de plus que moi, toutes ces salopes bougies que tu as tripotées toute la nuit ?", dans un effort enivré pour comprendre le désir de son frère de s'élever dans la hiérarchie des classes sociales. L'histoire explore l'impact des systèmes patriarcaux où les hommes de pouvoir (le père du frère était un politicien qui a eu une liaison avec la mère de la sœur) disparaissent au premier symptôme de paternité.

Suzanne Dracius subvertit ce système patriarcal dans "The Macho's Marathon, the Major's Martyrology, and the Coquer's Calvary", traduit par Nancy Naomi Carlson et Maigret Kellogg, où des femmes écoutent un documentaire qui explore les histoires entremêlées de l'oppression des classes et du sexisme à Port-au-Prince. Dracius y intègre sa propre théorie, qui transforme la Sainte Trinité, intrinsèquement masculine, en une représentation plus complète du machisme en action. Elle établit des liens entre la propriété masculine de la Saint-Valentin et de la fête des mères - les hommes recherchent le sexe pendant l'une, tandis que l'autre reflète les conséquences de cet accouplement - tout en encourageant les femmes, par le biais de métaphores, à s'emparer des systèmes de pouvoir qui permettent la misogynie et l'infidélité sans avoir à en rendre compte. La narratrice du documentaire juge irresponsable l'éloge de la femme qui élève seule son enfant, car cet éloge commun peut justifier les actions des hommes qui fécondent les femmes et les quittent immédiatement. Dracius introduit un discours plus profond sur la complicité féminine au sein de structures toxiques et sur ce que le narrateur estime être une valeur déplacée dans les systèmes familiaux matrifocaux.

L'anthologie apporte une réponse, selon Dracius, à une approche problématique du féminisme - la célébration de la matrifocalité - sous la forme d'une féminité sans complexe dans le cadre de la classe ouvrière de ces histoires. Ce type de féminité façonne une réponse féministe conflictuelle au patriarcat. African Mask" d'Octavia Gaël, traduit par Kaiama L. Glover, raconte l'histoire d'une jeune femme, Frédérique, qui éprouve un fort désir sexuel pour un acteur nigérian marié en visite chez elle. Elle se sent éclipsée par sa sœur, qui l'a précédée dans la puberté. Son éveil sexuel et sa première expérience du plaisir passent par le souvenir de l'attrait de l'acteur, et elle revient à ce souvenir pour atteindre l'orgasme, même à l'âge adulte. L'affirmation de sa sexualité et l'"énergie particulière qui se répand dans ses mollets et ses cuisses, puis explose, irradie dans tout son corps" qu'elle ressent pour la première fois en présence de l'acteur est emblématique de l'action féminine dans l'espace liminal entre l'enfance et la féminité. Même lorsque Frédérique voit l'acteur plus tard dans sa vie, en train de s'adonner à l'adultère, c'est sur son désir et son action que se concentre le récit, refusant toute dictée masculine sur le comportement ou la sexualité de Frédérique. Ce geste de défi déplace la narration vers une femme et l'éloigne du machisme familier de nombreuses œuvres caribéennes.

L'anthologie se termine sur une note méta de création féminine dans "Defiant Islands" de Gerty Dambury, traduit par Judith Miller et Dambury elle-même. Si Jean-Gilles cherche à définir la Caraïbe et sa poésie, Dambury cherche à répondre à des questions plus étroites, mais tout aussi profondes: Que signifie être une femme écrivain caribéenne? Créer une terre invisible et oser en parler? Sortir de la position subalterne en générant une action par le biais de l'art? Les écrivains de cette anthologie sont conscients de leur intersectionnalité; les cicatrices de leur oppression traversent les sauts de ligne et les espaces blancs de chaque histoire et de chaque poème inclus dans cette anthologie. Mais, comme le souligne Dambury, il existe un optimisme compliqué dans l'action et l'art:

Je suis en exil d'un pays à naître.
Je choisis de traverser une fiction à grandes enjambées.
L'île que j'espère est un rêve caché.

Dans le refrain de "So sorry, it just slipped out", Dambury met l'accent sur la résistance dans l'expression et dans la faim débordante de créer, une faim qui ne sera peut-être jamais assouvie. Alors que l'auteur du poème souligne que les mots de l'oppresseur "sont dans [sa] tête", elle choisit malgré tout "d'ouvrir [sa] bouche et [...] de déverser des torrents".

La Caraïbe dépeinte dans cette anthologie est une Caraïbe envisagée et définie par ses auteurs, porteuse d'un avenir radieux par le simple fait de la production féminine. La présence de la féminité dans le texte subvertit les représentations masculines des îles. Pour les femmes mises en avant dans cette collection, l'acte d'écrire est un défi critique qui donne une voix aux femmes sans voix et, de plus, s'engage dans la création d'une féminité caribéenne redéfinie qui défie la coercition patriarcale ou coloniale.

Tous les traducteurs de cette collection ont réussi à conserver l'éclat et le lyrisme des divers créoles français qui forment les textes originaux de ces histoires. Ce faisant, ils ont amplifié les voix des écrivaines caribéennes pour un large public. Dans les traductions, le lyrisme s'exprime au rythme de la prose dansante et de la poésie audacieuse. Les voix refusent toute catégorisation ou définition simple. Les modes d'écriture intersectionnels présentent des réalités oppressives et des futurs ascendants.

Elektrik est une traduction qui fonctionne comme une bonne traduction devrait le faire: comme un mégaphone pour les écrivains qui, autrement, resteraient inaudibles dans le canon occidental. Pour répondre à la question de Jean-Gilles, la poésie et les récits d'Elektrik permettent aux femmes des Caraïbes de définir, de "consolider" les frontières de leur propre monde".

Clayton Bradshaw-Mittal

https://www.barrelhousemag.com/blog/barrelhouse-reviews-elektrik-caribbean-bradshaw-mittal

Elektrik: Caribbean Writing

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 Viré monté