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Paris,
il faut que tu saches...

Tony DELSHAM

Paris, il faut que tu saches..., Tony Delsham • Tableau de couverture: Jo Jean-Michel • 2007 • Martinique Édition
ISBN 2-9518512-9-4 • 19 €
 Il n’est ni blanc, ni noir. Pour Vigipirate c’est un terroriste potentiel, et il doit sans cesse prouver son identité. Âgé de  vingt-six ans, surdiplômé, il est au chômage.  «La crise n’explique pas tout» se dit-il.

Elle est blanche, elle est Juive. Âgée de vingt six ans, surdiplômée, elle est au chômage. Main dans la main, très en colère, Aline et Thierry affrontent Paris.

Tony Delsham, une nouvelle fois,  ébranle nos certitudes et nous convie à un voyage au plus profond de nous-mêmes. Un jeune homme et une jeune fille, issus de la souffrance nègre et de la souffrance juive, nous ballottent  dans l’espace et dans le temps.  «La joue tendue du Messie explose sous les balles, celle du Prophète  se désagrège sous les bombes et les missiles.  Qui aura le courage, aux yeux de l’histoire, de dire : Cela suffit, moi j’arrête!  La famille et les enfants n’en peuvent plus, et toi? Qui aura  le courage de constater que  Dieu, dans ses différentes expressions : Chrétienne, Judaïque, Islamique, Bouddhiste, hindouiste,  parle plusieurs langues et  ne peut  approuver ce qui se passe sur terre?»  demande Thierry l’Antillais. 

Extraits

La révolte

T’a-t-on déjà craché dessus? Pas le crachat accidentel, pas le crachat du désespoir de celui que tu as provoqué et qui n’a que ce moyen de te démontrer sa révolte, non!  Le crachat  vomi de siècles de mépris, le crachat de la néantisation d’un peuple par un autre, le crachat de ceux qui se prétendent de la race supérieure.
Non?
Alors, tu ne peux  comprendre!

La Nostalgie

La maison de mon enfance m’accueille avec le pathétique d’une majesté déchue. Le gigantesque flamboyant, aux fleurs d’un jaune étrange, semblables à des pépites d’or, qui jadis suscitait l’admiration de nos visiteurs et l’envie du voisinage, n’est plus que  tas de feuilles  bouffées par toutes les plantes parasites de la création et par des colonies  de dévoreurs de bois: vonvon et guêpes, chenilles et pucerons, fourmis et poux. Du gazon bien entretenu, fierté de papa, ne restait qu’un fouillis d’herbes agressives écorchant bras et jambes. La piscine n’est plus qu’un trou obscène, Salie des défécations du vent, du soleil, de la pluie. Papa et maman: m’avaient caché une telle misère, pas un mot dans leurs lettres, ou dans nos conversations téléphoniques. 

La colère rentrée

Avant de connaître Aline, j’ai emprunté ce trajet des dizaines, des centaines de fois, mais je ne me souviens que des  traversées où elle marchait à mes côtés. Ce circuit avec des travaux qui semblaient ne jamais devoir s’achever, ces murs salis de la colère des exclus, cet orchestre péruvien aux notes griffant l’âme, étaient pleins d’Aline, étaient balayés par Aline.

-- Hé le bougnoule !

J’ai bien vu les bougres de la R.A.T.P dans leur tenue vert caca manicou, j’ai bien vu leur nasse, mais tu sais, je débarque de la Martinique où je viens de passer trois mois, alors je n’ai plus le réflexe robot. Sur la plage, où la mer te parle d’espace et de liberté, sur le sol qui t’a vu naître et qui gonfle tes chevilles de certitudes, dans la foule composée des tiens, poche amniotique rassurante, tu te désintoxiques des réflexes de la survie dans le métro parisien.  Depuis ma descente de l’avion, je regarde tout le monde, mais ne matérialise personne et j’évolue dans un univers cotonneux, peuplé d’ombres.  Aussi, ce n’est pas parce que j’ai essayé de frauder que j’ai bifurqué légèrement sur la droite, c’est comme les petites voitures téléguidées que m’offraient les taties et les tontons quand j’étais enfant, elles contournaient les obstacles. Marchant au radar et ayant oublié d’ouvrir mon logiciel «survie antillaise dans le métro», j’ai seulement voulu éviter un obstacle non identifié. Et même quand  Caca manicou m’a interpellé avec son «hé le bougnoule» j’ai pas réalisé. C’est  que, j’suis pas un bougnoule, moi! J’suis un citoyen de la République après avoir été un sujet du Roi, moi!

Oui, mais pour l’heure je suis le seul à le savoir et  une diarrhée caca manicou m’entoure.

-- Tonton, t’as ton ti-cket?

Patatsa!

Ca recommence. Tu m’fais chier Paris. Bordel, tu m’fais chier. J’ne suis pas le tonton d’ce con, et pourquoi il me tutoie?  Je pense à Aline. Fort. Très fort. Je pense à papa, à maman, à Mathieu, à papa Edouard, à la Martinique aux mille blessures, Fort. Très fort. Et je me calme. En vitesse, j’appuie sur la touche «redémarrer l’ordinateur», je clique sur le logiciel «Survie antillaise dans le métro» et je tends le ticket à Caca manicou en chef. Il le passe deux fois dans son zinzin à contrôler les fraudes, pour final me le rendre  avec l’air déçu du pêcheur qui voit  le poisson, qui pourtant paraissait bien ferré, lui échapper. A dix mètres de là, trois policiers  suivaient la scène d’un air intéressé, et je sors de la diarrhée caca manicou, pour entrer dans la merde bleue.

-- Toto t’as tes tafs?

Patatsa!

Je tends mes tafs.

-- T’es Antillais?

-- Je suis Antillais.

-- Ah! Les Antilles, le soleil, la mer, le rhum,  faut que j’y aille un jour...

Je reprends ma carte d’identité, je la remets dans ma poche. Je continue mon chemin.

L’impuissance

--"C’est là," murmure-t-elle.

-- "Patatsa!"

Elle s’agenouille, du plat de ses deux mains, elle parcourt le sable, comme à la recherche d’une trace de son corps écrasé. Ma pauvre chérie, donne-moi ta douleur. Elle se  met  brusquement à pleurer et frappe le sol de ses poings. De toutes ses forces. Effrayé, je lui touche doucement l’épaule. Elle sent à peine ma main, je deviens plus ferme en hurlant son nom. Elle s’arrête pile, semble me découvrir, je tombe à genoux face à elle.  Elle ne détourne pas la tête, on se regarde. Profondément. Je suis affolé par ces yeux sans éclat, enfoncés dans un visage amaigri, par cette bouche agitée de tics, par  ce corps aux os désormais apparents. 

Femmes, peut-on jamais  réparer pareils dégâts, pareilles sauvageries d’hommes?

 

Tony Delsham

Paris, il faut que tu saches...
Le nouveau Delsham

ANTILLA, l'hebdo de la Martinique - Juin 2007

Comme chaque année, les librairies proposent un nouveau Delsham. Cette fois, l’écrivain nous entraîne dans l’univers  et dans les préoccupations des jeunes Antillais confrontés au chômage  et l’accueil, pas toujours favorable, de la société française.

Visite guidée avec l’auteur
 

Quelle est votre intention en écrivant cette fiction en prise directe avec les réalités du présent?

Tony DELSHAM: Sans doute établir un lien entre générations. L’auteur d’un certain âge, et j’ai un âge certain, qui voudrait dire ce qu’il croit avoir compris de l’humaine condition, peut-il le faire sans se préoccuper des nouvelles générations? Je ne le crois pas. La jeunesse c’est le renouvellement. Que serait une société  qui se satisferait de l’acquis? La contestation est la garantie du progrès. Alors, c’est à travers le regard d’un jeune de vingt six ans que je tente de parler de notre expérience d’adultes. Thierry est fils d’Afrique, fils d’Europe, fils de l’Inde. Bref, un Martiniquais, un G.M.A, une Gueule de Métis des Antilles, comme il dit.  La Martinique est le pays du métissage, qu’on le veuille ou non. Métissage biologique pour beaucoup d’entre nous, métissage culturel pour 100 % d’entre nous. Mais que devenons-nous dans ce mic-mac?

Vous avez la réponse?

Nous sommes dans un monde en mouvement permanent et il serait prétentieux de penser que La Martinique est l’unique laboratoire de ce monde. Ce qui se passe chez nous n’est qu’une répétion générale avec un casting au niveau de la planète. Le métissage est le projet de la nature et la mondialisation n’est qu’un  instrument. Cette mondialisation, donc le métissage, commence  au moment précis de la volonté de conquête de la case ou de la hutte voisine, puis du village voisin, puis de la ville voisine, puis du pays voisin. Cela s’est accompagné de guerre, puis de racisme, puis de colonialisme, juste le temps de s’apercevoir que le métissage est la finalité de la mise en relation des cultures, des hommes, des pays, des continents. Qu’il se fasse par la violence des temps passés ou par l’adhésion, plus ou moins forcé, des temps modernes.

Dans cette mise en relation, il  y a toujours un dominé et un dominant, non?

Bien évidemment! La mise en relation de Rome avec le restant du monde s’est faite avec une brutalité inouïe mais l’alchimie s’est produite, il y eu un formatage par le biais d’une religion récupérée qui a soudé l’occident. La mondialisation, qui est encore au stade de la violence à cause des intégrismes qui s’affrontent, est en train de reformater la planète. La question est de savoir si cette violence nous laissera temps  d’accoucher d’une synthèse honorable pour tous car évacuant les notions de dominants et de dominés.

Utopie?

Simple respect de l’autre. Respecter l’autre c’est l’admettre tel qu’il est. La mise en relation se charge du reste.

A la Martinique les notions de dominants et  de dominés, semblent avoir la vie dure.

En réalité, c’est une douleur d’anciens combattants  peinant à quitter la scène, car refusant le réel. La domination par l’esclavage, chaînes aux pieds, a cessé le 22 Mai 1848. La domination par le colonialisme pur et dur a duré jusqu’en 1946. Le concept politique de la décentralisation a permis de prendre en compte l’identité des régions. La Martinique est historiquement française, aucune offensive militaire d’une armée martiniquaise ou même l’embryon d’une armée secrète martiniquaise, comme à la Guadeloupe dans les années 80, ne vient contredire ce fait. La Martinique est également politiquement française, les votes successifs l’attestent. Elle est enfin, économiquement européenne, les subventions le démontrent. Mais, vous avez raison, certains s’estiment encore dominés, car l’offense de la déportation, de l’esclavage, de la colonisation n’a pas été lavée par le sang et dans le sang. Ceux-là oublient, étrangement et  complaisamment, d’être les guerriers, armes à la main, de cette vengeance revendiquée, comme l’ont été les autres colonisés de la planète. Ils refusent le devenu et  n’envisagent même pas de l’accepter afin de mieux préparer le devenu, alors que des peuples identitaires européens, américains,  africains, abandonnent des pans entiers de leur souveraineté afin de bâtir le bloc estimé nécessaire à leur survie.

Mais mieux, des pays de religion différente, de culture différente comme la Turquie, sollicitent leur adhésion dans un ensemble plus large pour mieux affronter l’adversité et sont prêts à faire des concessions car, fort de leur identité, ils savent, comme le professe Edouard Glissant, qu’ils peuvent échanger sans se perdre.

Ceux qui,  dans la Martinique d’aujourd’hui, traînent la patte ne sont que les témoins, ou les descendants de témoins, de l’époque où le colonisé se battait les armes à la main pour retrouver sa souveraineté face à un colonisateur, lui aussi les armes à la main. Ils ont admiré ce colonisé. Parfois ils l’ont rejoint, comme Frantz Fanon ou Guy Cabor Masson, mais nos révolutionnaires n’ont jamais fait le sacrifice de leur vie pour le pays Martinique. A ce rythme-là, la Martinique n’échange pas avec l’autre, elle subit l’autre. Elle est de plus en plus diluée et est un oiseau étrange au mitan de la Caraïbe sous les ricanements à la fois envieux et méprisants de nos voisines des petites Antilles. Pour beaucoup, surnage le sentiment d’un étouffement culturel, alors nous sombrons dans une hystérie de la revendication  identitaire où on ne vit pas sa culture mais on l’affirme à coup de slogans, de concepts: La Négritude, l’Antillanité, la  Créolité, l’Indianité, la Coulitude etc.

La France se fiche pas mal de la francité, en dépit des vociférations de Lepen ou de l’attitude circonspecte du nouveau président. La France, comme les Etats-Unis ou l’Angleterre, est à l’heure du bilan des cultures qui se malaxent depuis des siècles sur son territoire. Alors dans le paysage audio-visuel apparaissent des noirs, des Arabes, des Indiens. Elle affirme et fait respecter son identité par une laïcité imposée, en attendant l’étape suivante. Dès lors, le communautarisme l’effraie moins car la réalité est bien le regroupement par quartiers, d’hommes et de femmes venus du monde entier. Chez nous  ce n’est pas tant le regroupement qui est vécu comme invasion, mais bien le sentiment d’être exclut de notre propre pays, par des gens qui ont les moyens financiers de nous exclure.

«Paris Il faut que tu saches» aborde tous ces problèmes?

Ce roman, car s’en est un, même s’il s’appuie sur un passé réel et un présent d’une actualité brûlante, est avant tout une formidable histoire d’amour entre deux jeunes de 26 ans. Thierry est un G.M.A, une  gueule de métis des Antilles. Le regard  originel de l’Afrique lui a signifié qu’il n’était plus noir. Le regard originel de l’Europe lui a également signifié qu’il n’était plus blanc. Il a intégré ce fait et constate que ce rejet lui a désigné son berceau, la Martinique. Il n’est ni blanc, ni noir. Car à la Martinique, où les stratèges de l’esclavage ont imposé une hiérarchisation en fonction, non pas de la couleur de la peau, mais en fonction du degré de pigmentation de la peau,  il ne suffit pas de se déclarer ni Africain ni Européen comme l’avait affirmé Césaire, il faut également déjouer ce mic-mac de la couleur en s’affirmant Martiniquais.

Thierry, il s’appelle Thierry, estime être le symbole de la mise en relation des trois continents. Son arrière Grand-père est blanc. Son arrière Grand-mère est noire. Son grand-père paternel est mulâtre, sa grand-mère maternelle est Indienne. Cela a donné son père qui a épousé une mulâtresse issue de la même cuisine. Il est donc issu de la souffrance nègre. Il a vingt six ans, il a les poches bourrées de diplômes et ne trouve pas de travail. Il est très en colère.

Aline, elle s’appelle Aline, elle aussi a 26 ans. Elle aussi a les poches bourrées de diplômes. Elle ne trouve pas de travail. Elle aussi est très en colère. Elle est blanche, elle est juive. La main dans la main, très en colère Aline et Thierry affrontent  Paris, affrontent le monde.

Une histoire d’amour?

Oui, comment pourrions-nous affronter les laideurs du monde s’il n’y avait pas l’amour? L’amour de l’homme pour la femme. L’amour de la femme pour l’homme. Aline et Thierry, Thierry et Aline réinventent Roméo et Juliette. Thierry est confronté au viol d’Aline par deux pauvres épaves de la société. Le choc  est terrible. Ils sont face à eux-mêmes. Il doit l’aider à se reconstruire. Seul leur amour, loin de toute recette psychanalytique, y parviendra. 

Propos recueillis par  Christiane B.
Photo Ingrid Fordant.

anis

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