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Ô Ayiti m

In « O Ayiti Haïti O », K Editions,
ouvrage collectif en soutien à Haïti
(extraits)

Nicole Cage-Florentiny

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ô Ayiti / Haïti O • K.Editions • 2012 • 30 €.

Ô Ayiti Haïti O

Extrait 1

(…) Maintenant, la réunion achevée, elle n’avait qu’une hâte: rentrer à la maison, se connecter pour échanger avec lui des mots-braise qui zébreraient tout le reste de sa nuit de leur incandescence…

En conduisant jusqu’à son domicile, elle ne songeait qu’à lui; elle prononçait son nom dont chaque lettre était corde résonnant en son cœur, corde pincée par un guitariste sadique. Etait-il possible, se demandait-elle, d’en être là, à son âge, d’aimer ainsi avec l’émerveillement et -elle le reconnaissait- la béate sottise des premières amours!

Jone-Batisse! Elle ne manquait jamais, en l’appelant, de trouver singulières les trouvailles des parents haïtiens pour baptiser leurs enfants. Dans le nannan de quelle calebasse allaient-ils donc puiser ces noms qu’elle n’avait jamais entendus ailleurs qu’en terre haïtienne?

Tout, dans ce pays, dans ce peuple, la surprenait, la déroutait, lui faisait question mais tout la séduisait, l’ensorcelait, la retenait captive d’elle ne savait quelle magie! Son amour pour Haïti était bien antérieur à sa rencontre avec J-B, ainsi qu’elle le hélait parfois.

«- Ce n’est pas toi qui m’as fait aimer Ayiti! Non monsieur J-B, mon amour pour ta terre est antique. Ton pays chante en moi, fait couler en mes veines une sève ardente depuis nanni-nannan-matji-kaba! Je te l’ai dit, les dieux devaient avoir bu force divin nectar, force clairin hors d’âge quand ils ont jeté leurs dés au jour de mon éveil au monde. Une main qui tremblait sans doute a fait choir le dé de la vie mienne en une terre nommée Madinina et je lui sais gré et je lui rends grâce à ma Martinique, de nous avoir accueillies, moi et ma foultitude de pourquoi; mais c’est ici-là chez toi, à Quisqueya, que mon âme a vu le jour, c’est sous le cuisant soleil de Pòtoprens que ta princesse est réellement elle-même, corps, cœur âme et esprit enfin alignés, en axe, en cohérence. Je n’y avais jamais encore mis les pieds pourtant je le savais déjà, comme un alphabet inné, hiéroglyphes dont mon âme connaissait la source, le tracé et l’ésotérique signifiance…

- Soleda ô ma princesse tes mots me font grave! Me voilà à être jaloux de mon pays! Jaloux de cet amour inexpliqué et torrentiel, jaloux d’un si mystique sentiment!

- Ah! Ou sòt pou bon boug-an-mwen! Viens, viens là! Tu n’as pas à être jaloux. N’as-tu pas l’usufruit, la jouissance en viager et même par-delà la mort, du meilleur? Stop di bétiz et prends-la, là-même, sans plus tarder, ta madone oublieuse de son voile, en déchoukans de pudibonderie! Oh viens, Toi!»

(...)

Extrait 2

Dieu, que la route est longue jusqu’à la maison! D’un geste impatient elle allume la radio pour le journal de dix-huit heures.

Non! Le charisme de l’exagération des journalistes! Elle change de station… Non! En novembre 2007 nous, on a eu un séisme de sept-point-et-des-poussières et on est là, campés-debout! Non! Trop nuls ces journalistes! Elle voudrait éteindre cette radio! Peut pas! Dieu que la route est longue jusqu’à la maison! Et ces embouteillages qui n’en finissent pas! Marre de ce pays, de ses embouteillages, de ses journalistes qui font du sensationnalisme de la moindre bribe d’info non vérifiée! Dieu que la route est longue!

Et cette main bon sang elle ne sait plus ouvrir une porte! Balancer sac, chaussures et soutien-gorge! Me ruer sur l’ordi! Il n’est pas connecté! Bah, pas encore rentré du journal ou pris lui aussi dans les embouteillages! Ceux de Port-au-Prince sont bien pires que les nôtres: une folie!

Ces images… Les premières…

Ne pas bouger… Juste rester là! Pas pouvoir décoller les yeux de l’écran! Pas pouvoir! Pa kapab! Pourquoi il n’appelle pas pourquoi il ne répond pas pourquoi le ciel soudain semble s’être affaissé sur mes épaules, ne sait-il pas que je les ai fragiles, les épaules? J’ai déjà mon billet, je dois partir dans une semaine; le retrouver; retrouver ce péyi-pa m, mon mien homme à moi ma mienne terre à moi! Pas ce charnier à ciel ouvert pas ce chaos à cœur-chiré! Pas mon pays! Pas Haïti!

J’ai déjà mon billet! Je peux pas rester là! Pourquoi il répond pas! Et sa sœur, Rosalyne, pourquoi elle répond pas sa sœur qui est aussi ma sœur? Mais vous faites quoi? Pourquoi personne ne me répond? De l’ordi à la télé, de la télé à la radio, fourmi-folle. Debout assise pas pleurer! Non, pas pleurer. Juste rester là! Plus bouger! Attendre, pierre devenue. Pétrifiée. Pierre qui puisque pierre ne sent pas ne bouge pas ne mange pas trois jours durant trois jours une éternité. Qui a dit qu’une pierre ne sent rien? Je savais pas qu’une pierre ça pouvait avoir si mal! Si peur! Voilà: peur!

Rosalyne a appelé…

(…)

Nicole CAGE

boule

 Viré monté