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Les migrations d’Homo Sapiens et leurs succédanés

2. De la «colonation» à la colonisation,
de l’immigré innocent au «néo-autochtone» coupable

Jean Bernabé

28. Novembre 2012

Le précédent article a présenté en les revisitant dans une perspective très large les notions de migrant et de colon. Le colon, à une première étape de son parcours, peut relever de la «colonation» (issu du mot français «colonat»), néologisme que je propose pour le distinguer du processus de colonisation. Ce faisant, ledit processus de colonisation dans sa dimension colonialiste et destructrice n’a pas pour autant été évacué. Comment de migrant simple colon (inscrit dans une sorte de régime pour ainsi dire de colonat) devient-on un colonisateur?

La réponse à la question qui précède peut être illustrée par l’épisode relatif à l’arrivée en 1620 du May Flower sur le continent américain et à ses conséquences. Ce navire emblématique a amené d’Europe de pauvres hères britanniques et hollandais, persécutés dans leurs pays d’origine. Arrivés dans un état lamentable, ces immigrants sont pacifiquement accueillis par les Amérindiens, qui mettent à leur disposition quelques acres de terre et vont même jusqu’à les initier à la culture du maïs, nourriture qui pourvoira à leur subsistance. Ces terres ne leur appartiennent en aucune façon, car dans la philosophie amérindienne, la terre étant un bien commun – et de surcroît sacré! –  ne saurait faire l’objet d’une appropriation individuelle. On peut de manière purement métaphorique assimiler leur régime à celui du colonat.

De la «colonation» à la colonisation: un rapport mental pervers et destructeur à la propriété

Les migrants du May Flower sont donc des colons, au sens qui découle de l’analyse que j’ai faite du phénomène encore actuel du colonat. Du latin «colere» qui signifie à la fois «cultiver» et «honorer», le terme «colon» désigne, en la circonstance, un migrant débarquant sur le continent américain et se livrant pour sa survie à l’agriculture. L’agriculture étant, de façon primordiale, la pratique à travers laquelle on cultive la terre mais aussi on l’honore: on lui rend hommage parce qu’elle vous permet de subsister dignement. Mais cette colonation, ne durera pas longtemps. Très vite, elle  fera place à la colonisation, autrement dit à l’appropriation de la terre. Ce phénomène relève d’une volonté de devenir autochtone, c'est-à-dire indigène de la colonie, de s’enraciner dans son sol. On a affaire là à un mécanisme de créolisation. Cette créolisation, je la qualifie de symbolique, parce qu’elle engage des processus relevant de l’imaginaire. C’est un processus à travers lequel le colon deviendra précisément colonisateur, se fera colonialiste.

Vers une redéfinition inédite et atypique du concept de créolisation

Je rappelle que dans les représentations coloniales traditionnelles, ne peuvent être considérés comme Créoles ni ceux ou celles qui sont nés en Europe (appelés «Vié Blan»), ni ceux ou celles qui sont nés en Afrique (nommés Bossales). Seule la naissance sur le sol de la colonie octroie ce titre. La quête d’un monde neuf, sorte de «Nouvelle Jérusalem» sous le regard de Dieu, exalte la notion de novation, de création, ce dernier mot étant en rapport, précisément, avec le terme «créole». Dans leur inconscient, les Créole sont en quelque sorte les représentants d’une lignée en rupture, différente de celle des Pères européens (les Vié Blan). Mais on sait a quoi ont abouti en définitive toutes ces espérances et autres aspirations mystiques: aux crimes inexpiables de la colonisation! En tout état de cause, ce n’est que dans le courant du XVIIIème siècle que ce qualificatif sera étendu des colons blancs aux esclaves noirs nés dans la colonie, en même temps qu’aux plantes et aux animaux.

Les habitants actuels des USA relèvent donc seulement de la dimension symbolique et non pas fonctionnelle de la créolisation, mis à part le cas du territoire très circonscrit qu’est la Louisiane, où se sont développées une langue et une culture dites créoles. C’est la raison, pour laquelle les Etasuniens ne se considèrent pas comme Créoles, contrairement aux Békés, qui, eux, relèvent de la double créolisation symbolique et fonctionnelle. Fonctionnelle, redisons-le, parce qu’elle implique l’élaboration d’une langue créole et d’une culture, dites créoles, bien commun des Békés et des gens de couleurs. Cela dit, colons étasuniens ou Békés antillais présentent un point commun: leur volonté de devenir les seuls autochtones. Pour y parvenir, le meilleur moyen est d’éliminer les vrais autochtones, à savoir les Amérindiens, légitimés par une présence immémoriale sur cette terre. Cette démarche, pas nécessairement consciente, est inscrite dans un processus mental, lié à la volonté de rebondir. Les pauvres hères qui ont quitté l’Europe ont en eux un farouche désir de rebond, autrement dit de résilience. Et ce désir conduira leur nation à devenir la plus puissante du monde, le rebond en question ayant été réalisé à la fois sur le dos des esclaves et l’extermination des Amérindiens. Mais la puissance hégémonique des USA n’est pas éternelle. La montée des pays dits émergents ne peut que lui porter ombrage, voir la ramener à plus d’humilité.

Colonisation depuis l’extérieur et colonisation en interne

On l’aura compris, la guerre d’indépendance de 1776 contre l’Angleterre, fondatrice des USA, est une guerre en vue de l’enracinement du migrant. Un enracinement non pas harmonieux et pacifique, mais agressif et destructeur. Cette guerre d’indépendance est en réalité anticoloniale et non pas anticolonialiste. Il était en effet important de se libérer de la tutelle du donneur d’ordre (la couronne britannique) pour devenir à la fois une république par opposition à un régime monarchique, et un pays indépendant, pour émerger comme Etat-nation, bref pour être un ressortissant de l’Amérique. Objectif atteint par le processus d’éradications des habitants premiers et de colonisation de leurs terres, en se les appropriant. D’où la tragédie (masquée en épopée par les colons euro-descendants), de la conquête de l’Ouest. On assiste même dans ce peuple d’immigrés en construction que sont les USA à une sorte d’hypertrophie de la volonté d’autochtonie, d’ancrage dans le sol.  D’où la naissance d’un nationalisme véhément et crispé sur un terre au départ étrangère. Je rappelle que le mot «nation» est étymologiquement en rapport avec le terme latin «natus», qui renvoie aux mots «naissance», «nature»? La nature, en effet, n’est-elle pas le lieu par excellence, le berceau «naturel» des humains? C’est ce mécanisme-là qui explique que les Etasuniens, obsédés par un imaginaire exacerbé du sol, du lieu, se font appeler contre toute logique, «américains», alors que les Colombiens, Mexicains ou encore Vénézuéliens ne sont pas moins américains qu’eux. Est-ce vraiment normal? Non! Mais l’histoire a des ressorts étranges que seule une analyse adéquate permet de découvrir.

Une anecdote: quand,  il y a quelques années, dans une université  du Vermont, aux USA, j’ai,  à l’occasion d’une leçon inaugurale,  interprété de la sorte la guerre d’indépendance de 1776, mon public a été enthousiasmé par une telle interprétation, venant d’un étranger, de la guerre d’indépendance de 1776. Ils ne l’avaient jamais soupçonnée, voire imaginée. Apparemment une réflexion sans visière sur la créolité peut mener, sinon à tout, du moins ou à quelque chose!

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