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La Martinique après le débat sur les articles 73-74

31. Eléments de glossaire : assimilation

Jean Bernabé

29. Avril 2011

Instruit et encouragé par les réactions positives de lecteurs, je n’ai pas cru inutile de prolonger cette chronique par le rappel et l’approfondissement de quelques notions qui en ont structuré  le contenu.

ASSIMILATION: ce mot renvoie au latin «similis» signifiant «semblable». L’assimilation est étymologiquement le fait de rendre semblable. Puisque ce terme revêt une importance capitale dans l’histoire des pays (singulièrement la Martinique), affectés par la colonisation française, il est important d’en appréhender toutes les implications.

Il y a assimilation et assimilation

Assimilation passive (être assimilé) n’est pas assimilation active (assimiler). Le sens passif présente une connotation liée à une forme d’aliénation. Le sens actif intervient couramment dans un contexte biologique: on assimile des aliments, par exemple. Selon un proverbe africain, un tigre mangeant une gazelle, fabrique de la chair de tigre et non pas de gazelle. Mais cette valeur active concerne aussi les pratiques socioculturelles, car si on peut être culturellement assimilé, en revanche, on peut aussi assimiler une culture. Dans nos pays soumis à la colonisation française, d’inspiration centralisatrice, l’assimilation, quand elle est passive, exprime un drame collectif et, quand elle est active, caractérise toujours parcours individuel.

Si Aimé Césaire a dénoncé l’assimilation sous sa forme passive, il n’a pu le faire que pour avoir assimilé (assimilation active) non seulement les valeurs humanistes des Lumières, mais encore les itinéraires de grands écrivains parmi lesquels il suffit de citer Arthur Rimbaud ou encore Lautréamont. Rimbaud, le prince des poètes a affirmé dans sa fameuse Saison en enfer «Je suis un Nègre», devenant par là-même le fondateur paradoxal d’une Négritude symbolique, bien antérieure à celle assumée par l’Antillais Césaire, l’Africain Senghor et le Guyanais Damas. Cette sorte d’«aliénation positive» à laquelle s’est livré cet immense poète (dans sa Lettre à Paul Démény, il disait que «Je est un autre») aura fait de lui, à travers ces deux étonnantes professions de foi, un des précurseurs de la reconnaissance des Arts nègres et de la dignité africaine.

Le drame césairien

L’assimilation positive, fondement d’échanges interculturels ne doit pas être confondue avec l’aliénation culturelle générée par la domination coloniale, aux stigmates encore très visibles dans nos pays. L’action de Césaire n’a pas transformé, de son vivant, les pratiques d’assimilation active d’individuelles en collectives. Autrement dit, le mouvement de la Négritude n’a pas eu l’effet désaliénant escompté par son initiateur antillais. Est-il choquant d’affirmer qu’aujourd’hui encore la représentation que les Afro-descendants ont d’eux-mêmes au plan esthétique, par exemple, reste encore très marquée par le complexe d’infériorité, en dépit de tonitruantes affirmations de type négriste, qui ne font qu’occulter la réalité de la domination coloniale? Sur cette question-là, Frantz Fanon a produit des analyses d’une intense actualité. Il n’empêche, une graine a été semée par les promoteurs de la négritude et par leurs successeurs, et la germination de celle-ci connaît une diffusion, qui, malgré les aléas de l’histoire n’est pas totalement insignifiante.

Les ruses de l’histoire antillaise

Pour le Césaire de 1946, l’accession des Antillais à des droits semblables à ceux des Métropolitains devait être émancipatrice. En fait, ce fut le cas, mais à titre individuel et sélectif, non pas collectif. En réalité, le mécanisme de l’aliénation culturelle a été beaucoup plus rapide que celui de l’assimilation sociale et politique (qui n’a pas pris moins d’une cinquantaine d’années pour se concrétiser), et ce déséquilibre-là a été ravageur. En 1956, Césaire, dénonçant les limites d’une décolonisation par intégration à la métropole, stigmatise les perversions et dérives de la départementalisation, précédemment appelée de ses vœux, comme expression d’une volonté ancienne de l’ensemble de la classe politique (globalement mulâtre, au sens sociopolitique et non racial du terme). Il s’est pourtant gardé d’envisager pour la Martinique l’autre modalité de décolonisation, à savoir celle qui opère selon le principe de la rupture et ce, conformément au modèle historique de la révolution américaine de 1776. Un principe dont il serait trop long d’expliquer ici la genèse historique chez les colons anglo-américains. Il me suffira, pour l’éclairer, de suggérer le schème de la créolité, comme désir plus ou moins conscient d’enracinement dans un espace nouveau et de distanciation par rapport aux Pères européens.

La décolonisation par intégration à la métropole française découle d’une logique dont personne ne pouvait prendre conscience au moment de la départementalisation des plus anciennes colonies de l’Empire français. Cette logique relève, de façon très paradoxale, de ce qu’il convient d’appeler une endocolonisation (ou colonisation intérieure), opposée à l’exo-colonisation (ou colonisation extérieure). En faisant sécession d’avec la couronne d’Angleterre, les provinces américaines engagées dans la révolution initiaient un mécanisme d’endocolonisation objective, en ce sens que les colons anglais cessaient d’être une courroie de transmission du centre impérial britannique pour devenir les acteurs de la poursuite de la conquête du territoire américain (au grand dam, bien sur, des Amérindiens et des esclaves d’origine africaine). De là vient précisément la pratique du communautarisme américain, qui traduit la prise de conscience par les gouvernants d’une réelle diversité ethnoculturelle sur le même territoire.

Genèse et effets d’une idéologie de la décolonisation

Une telle vision politique explique d’ailleurs le mécanisme du fédéralisme étasunien, qui intègre précisément la notion de diversité. En un mot, le gouvernement américain devient le colonisateur des parties non encore soumises de son territoire, lesquelles vont progressivement se constituer en Etat, au fur et à mesure de l’avancée des conquêtes. Cette vision va très loin, car selon l’esprit de la loi Monroe (l’Amérique aux Américains) l’espace étasunien ne s’arrête à la partie septentrionale du continent américain. D’où le monstre de l’impérialisme yankee! C’est sur le modèle séparatiste étasunien que s’est déroulée la révolution haïtienne (tel n’était pas au départ le point de vue de Toussaint-Louverture, plutôt partisan d’une large autonomie) qui a abouti en 1804 à la création, dans l’ex-colonie de Saint-Domingue, de la première république noire des Amériques (république éphémère, mais inauguratrice de l’indépendance haïtienne). Pour un certain nombre de raisons, il se trouve que la diversité ethnoculturelle de Saint-Domingue se soldera par une scission du pays en deux États: Haïti et la République Dominicaine, le premier de ces deux pays n’ayant pas réussi à coloniser le second.

La construction paradoxale d’une identité politique

La colonisation française, quant à elle, à part le cas de Saint-Domingue, a fonctionné de façon objective et apparente comme une exocolonisation. Bref, dans le cadre d’une dissociation géographique entre le territoire de la métropole colonisatrice et le territoire colonisé, c’est depuis le centre que la périphérie extra-continentale est colonisée par l’intermédiaire d’«envoyés». Il y a bien eu dans le courant du XVIIème siècle un mouvement de rébellion des Békés martiniquais sous la forme dite du gaoulé, mais il est resté sans lendemain. En sorte que précisément le statut de vieilles colonies a produit une intégration puissamment symbolique de ces dernières au sol de la métropole. En effet, quoique en position extra-continentale, il se trouve que pour des raisons liées à la mainmise d’un pouvoir béké tirant profit de sa dépendance envers la métropole, ces territoires ont été pensés et ont fini par se penser comme « des morceaux de France palpitant sous d’autres cieux».

Cette élaboration mythique tout à fait «extra-ordinaire» est constitutive d’un type particulier d’identité politique: tout en relevant objectivement d’une exocolonisation, nos pays se sont donc retrouvés subjectivement inscrits dans une endocolonisation. Il est évident que, dans un tel cas de figure, ce qui prévaut ce n’est pas la rupture, mais  l’intégration dans l’instance colonisante. Bref, la départementalisation, dont Césaire s’est fait l’interprète et l’avocat, est le résultat obligé d’une vision politique associant émancipation et assimilation socio-politique. Au nom d’une endocolonisation paradoxale, fictive et mythique (de la nature et des implications de laquelle Césaire ne pouvait, à cette époque, prendre conscience), la voie a tout naturellement été ouverte par lui-même au concept d’autonomie (concept qui a présidé à la fondation en 1958 du Parti Progressiste Martiniquais), mais pas à celui d’indépendance, prôné seulement à partir des années 1960, sur le modèle des indépendances africaines, inspirées du modèle séparatiste américain. Tout cela étant dit, si le modèle des indépendances africaines est séparatiste dans son principe, leur réalité, elle, ne l’a pas été et ne l’est toujours pas vraiment. En effet, les toute récentes manifestations de la Françafrique attestent que le néo-colonialisme n’a pas épargné les prétendues indépendances africaines. Jusques à quand?

Toute identification plonge ses racines dans le mythe, et le mythe identitaire selon lequel «la Martinique, c’est la France» a manifestement été profondément intériorisé (à tort ou à raison, qui peut en décider rationnellement?) par les populations. Il est même devenu une réalité politique (réversible ou non, qui peut le dire?) contre laquelle bute, notamment au plan électoral, le discours indépendantiste-séparatiste. Compte-tenu de l’histoire particulière de la Martinique, d’une part, et, d’autre part, des impératifs de désenkayaj de ce pays, la question se pose de savoir comment, au-delà des articles 73 et 74, instaurer une voie moyenne praticable entre assimilation politique et séparatisme intégral. Bien entendu, toute transition vers un statut significatif requiert le temps d’une réflexion approfondie voire d’une large consultation populaire, selon un mode interactif inédit, sur les ajustements nécessaires à prévoir en de nombreux domaines dont notamment la capacité d’emploi, les ressources, l’accès à une autosuffisance minimale, l’orientation économique et le positionnement géopolitique.


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La Martinique après le débat sur les articles 73-74

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