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La chronique littéraire de Jean Bernabé

Autour de Fanon

7. Sur les racines religieuses et politiques de l’identitarisme

Jean Bernabé

07.03.2012

Il ne suffit pas de dénoncer l’identitarisme comme dérive pernicieuse, encore faut-il en indiquer les origines dans la pensée et les pratiques sociales des humains. Un minimum de réflexion philosophique et historique s’impose afin que ces analyses ne restent pas comme suspendues dans l’air. Ici encore, l’enjeu consiste non pas à appliquer la pensée de Fanon, mais à s’inspirer de sa dynamique.

L’identité est liée à la conscience que tout sujet a de lui comme étant lui et pas un autre. C’est donc, redisons-le, un phénomène strictement individuel. Descartes a fondé sa philosophie sur le fameux «Je pense, donc je suis». Mais il a omis de rappeler que si je pense, c’est parce que j'ai un cerveau. Autrement dit, être, c’est être conscient, pour un individu, qu’il est ce qu’il est X et non pas Y, X ou Y étant une accroche instrumentale de l’identité fondamentale, mais ne constituant pas l’identité elle-même. Ce n’est pas parce que je m’appelle Paul ou Pierre que mon identité se ramène à Pierre ou Paul. De toute manière, je suis un Pierre ou un Paul spécifique, unique, invariable.

Le travail de la conscience

Un peuple n’est pas un individu. Il ne possède pas un "grand cerveau" capable de lui faire prendre conscience de lui-même. Les consciences ne s'additionnant pas spontanément, le propre de la politique, c'est justement d'amener les consciences à converger vers un but commun. Le travail de la conscience est, rappelons-le, de parvenir à gérer la clôture de l'identité (forcément individuelle) et l'ouverture au monde de l'individu. Cette gestion devient impossible quand on transfère l'identité à un peuple ou à une nation. Pourquoi? Parce que l’absence d’un grand cerveau interdit toute action régulatrice. C’est alors le départ vers des dérives incontrôlées, parce qu’incontrôlables, de l'identitarisme et du communautarisme.

Le modèle hébraïque, source de l'identitarisme

L’exemple d’Israël constitue le modèle tout à la fois religieux et politique du transfert implicite de la notion d’identité de l’individu à une communauté. L’idée du peuple élu implique un contrat entre deux instances: Yahvé et ce peuple. D’où une personnification du peuple d’Israël, inscrit dans une identité singulière, comme s’il était un «peuple-individu». C’est précisément ce statut symbolique d’individu assigné à ce peuple qui entraîne une confusion maintenant multimillénaire entre une identité assignée  et une personnalité historique. Du coup, la Palestine, malgré les aléas tragiques d’une histoire diasporique, reste pour les Juifs orthodoxes une terre spécifiquement et immuablement juive. D’où, au-delà des frontières de 1967, la scandaleuse occupation des territoires palestiniens, ce qui est une manière de jouer la montre, en escomptant un aval, jugé indubitable, de l’histoire! Pourtant, en dépit des visées expansionnistes du Grand Israël, la présence des Palestiniens sur cette terre est parfaitement légitimée, ne serait-ce que par une continuité historique remontant à l’Antiquité.

Si la conception juive orthodoxe de l’identité et du territoire identitaire avait été appliquée aux Amériques, ce continent ne devrait-il pas redevenir une terre exclusivement amérindienne? Tous les Européens, qui l’ont conquise n’en devraient-ils pas alors  en être chassés, tout comme les Palestiniens qui, du point de vue des Juifs orthodoxes, semblent devoir être éliminés de leur territoire? D’aucuns (notamment les Amérindiens!) pourront le regretter, mais pareille hypothèse, par son côté aberrant et irréaliste, démontre à l’évidence le caractère antihistorique de la notion d’identité des peuples.

Un modèle fait sur mesure et pas adoptable par tous

Ainsi donc, la notion, foncièrement identitariste et communautariste, de peuple-élu, aura assigné au peuple d’Israël le sentiment d’une identité immuable, traversant les siècles. Tant mieux ou tant pis pour lu! Malheureusement, ce modèle conduit tous les peuples de la planète à se croire des peuples élus. Et même si, dans cette bataille un seul entre tous semble éligible, attention aux embouteillages et aux queues de poisson pour atteindre le but fixé! Faute de Yahvé, on se donne d’autres dieux qui ont nom: Hégémonie politique, Supériorité raciale, Compétition et prédation économiques,  etc. Tout cela étant dit, une chose est sûre, l’évolution des mentalités laïques en Israël ne manquera pas de remettre en cause une idéologie identitariste et, par conséquent communautariste, fondée sur la prépondérance des théocrates et autres intégristes.

Le modèle politique de l’«Etat, c’est moi! » et les errements de la Révolution Française, révolution bourgeoise

Le couronnement de Louis XIV par le pape (comme tous les rois de France), confère à son absolutisme un droit prétendument divin. Sa célèbre formule «L’Etat, c’est moi!», révèle, au-delà de la personnalisation du pouvoir, parfaitement attendue dans un régime monarchique, une personnification de la nation à travers la confusion entre le roi et le pays. Il se produit, en d’autres termes, un transfert de l’identité de la personne royale à l’ensemble du pays, sorte d’individu-miroir assujetti au monarque.

La Révolution Française, tout en ayant contesté et renversé la monarchie, n’a pourtant eu de cesse de reproduire les idéologies et pratiques de cette dernière au regard du fait national. Le jacobinisme, dont une des conséquences est la politique d’éradication des langues et cultures régionales est héritier, en droite ligne, du centralisme monarchique. La personnification de la France, constituée en «Grand-Individu» doué, par voie de conséquence, d’un illusoire «Grand-Cerveau» et d’une prétendue identité singulière implique un mépris de la personnalité particulière des diverses provinces, qui sont néanmoins autant de facettes de la personnalité du pays-France. Ce sont précisément elles qui configurent la culture et la civilisation françaises.

La notion d’identité close, telle que formulée par Glissant est, redisons-le, une redondance, car toute identité est, par nature et définition, close. L’identitarisme, qui est une dépravation imputable à une assignation pernicieuse de l’identité aux peuples, constitue un reflet de la théocratie et du monarchisme, autrement dit un ferment anti-démocratique. On l’aura compris, l’identitarisme est l’hommage du vice communautariste aux vertus communautaires.

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